Le Mexique investit dans son potentiel halieutique, mais pour qui ?

, par  CHEREL, Jacques

Avec 11 000 km de côtes et de nombreux lacs, la pêche au Mexique génère plus de 2 millions d’emplois. La production est de 1,7 millions de tonnes, l’aquaculture compte pour 15% des produits et 40% de la valeur (données du SAGARPA, Secretaría de Agricultura, Ganadería, Desarrollo Rural, Pesca y Alimentación). Cette pêche est tournée vers le marché intérieur (9 kg en 2010,12 kg en 2012 par pers.) et vers l’exportation (crevettes, langoustes, thon jaune, poulpes) ; par exemple la France importe plus de produits halieutiques mexicains qu’elle n’y exporte.

Une politique de développement du secteur halieutique

Il existait une tradition populaire préhispanique de la pêche et de la pisciculture. Et le pouvoir politique investit depuis longtemps pour développer les filières halieutiques à la fois pour l’apport de protéines et pour la création d’emplois en réponse à l’exode rural. On trouve presque partout du poisson sur les étals des marchés et aux menus des restaurants.
Des structures adaptées ont été créées. Le SAGARPA et la Commission nationale de l’aquaculture et de la pêche (CONAPESCA) sont responsables de la gestion, de la coordination et du développement de la politique menée pour le développement des ressources halieutiques et aquacoles. L’Institut national de la pêche (INP) apporte le soutien scientifique et technologique pour la préservation des espèces aquatiques, avec la tenue d’un Registre national de la pêche, instaurant une sorte de planification de l’exploitation des ressources halieutiques.
Parallèlement la demande intérieure a été développée sous l’impulsion d’un Comité national pour l’encouragement à la consommation de produits halieutiques et aquacoles. Un Programme alimentaire national est mis en place au début des années 2000 avec les organisations professionnelles de la mer comme avec la grande distribution. Sa finalité est de garantir l’approvisionnement en produits halieutiques et aquacoles mexicains, la variété des espèces disponibles, des prix abordables pour la population, tout en menant des campagnes d’information.

L’aquaculture : un choix de dépendance financière et scientifique ?

Mais l’offre de poissons d’élevage croît de plus en plus par rapport à celui de la pêche. L’aquaculture devient un secteur prioritaire, le Mexique étant un des premiers producteurs au monde et exportateurs de crevettes et de divers poissons, comme le tilapia. La Bancomext aide à l’exportation, par exemple les crevettes pour une valeur d’environ 410 millions de dollars EU. Les Etats Unis, qui importent plus de 80% de leurs besoins en produits halieutiques, en sont les 1ers clients.
Les groupes américains apparaissent de plus en plus dans le secteur. Cargill investit dans la société Regal Springs tilapia. Celle-ci, créée par Lamprecht Wallhoff, est réputée pour sa production de qualité de tilapias et prétend appuyer les communautés locales pour une production équitable ! Regal Springs tilapia gère des entreprises aquacoles sur les lacs Peñitas et Malpaso et dans le monde entier. Elle vient d’ouvrir au Chiapas, à Acuagranjas Dos Lagos, un complexe d’exploitation, avec école et centre de formation. Elle concurrence les importations chinoises aux Etats Unis. Cargill a investi 7,8 millions $ en 2014 dans son usine d’aliments pour poissons de 60 000 tonnes à Tehuácan, deuxième ville de l’État de Puebla. Cette usine peut fournir plus de 5 000 tonnes d’aliments chaque mois à des entreprises aquacoles. Depuis Cargill étend son influence au Mexique. C’est un bel exemple de la mainmise des groupes agro-alimentaires sur l’aquaculture intensive. Or cette domination risque de mettre en difficulté l’activité de piscicultures artisanales des lacs et rivières qui était tournée vers l’alimentation de la population locale et qui assurait des revenus aux communautés rurales. L’orientation actuelle vers une aquaculture intensive vise davantage l’exportation (vers les Etats Unis) et renforce la place des multinationales. Celles-ci y trouvent des débouchés avec les intrants alimentaires et chimiques qu’elles fabriquent.
Dans le domaine maritime, en 2009, le plus grand programme mondial d’aquaculture marine off-shore est lancé dans le Golfe du Mexique. La multiplication de champs de cages à poissons provoque les réactions d’associations environnementales et d’organisations de pêcheurs qui réclament l’arrêt de ce programme. Le gouvernement s’appuie sur un document technique de la FAO, « Evaluation globale du potentiel de développement de l’aquaculture marine au large à partir d’une perspective spatiale », qui semble cautionner l‘aquaculture marine. Il analyse la situation et le potentiel de développement de la mariculture en mer à partir d’une perspective spatiale adaptée à l’ensemble des pays maritimes. Ce document identifie également les pays qui ne pratiquent pas encore la mariculture, mais qui ont un potentiel dans l’aquaculture offshore. L’objectif de ce document est de pousser les pays à évaluer précisément leur potentiel dans la mariculture au large (aquaculture offshore).

La pêche artisanale pour assurer le développement local ?

Pourtant, au sud du Mexique, notamment au Yucatan, sur les bords de la mer des Caraïbes, la pêche vivrière connait une réalité particulière. Les ressources sont importantes dans cette zone de contact entre les masses d’eau atlantique et celle des Caraïbes, avec des espèces locales comme la mojorra, appréciée des Mexicains.
Le gouvernement y avait encouragé le développement d’un système coopératif sur le modèle de l’ejido, intégrant la zone maritime à l’espace agricole : la terre agricole restait la propriété d‘un village et était exploitée de façon coopérative. Les pêcheries locales reprenaient le même principe (PSSE) et bénéficiaient dans les années 1970 d’une aide pour tenter d’absorber une part de l’exode rural. Dans le nord, au Baja Californie, ces PSSE sont entrées en concurrence avec de coopératives de pêcheurs bien organisées et n’ont pas eu de résultat déterminant. L’excellent film-documentaire « Punta Abreojos, une communauté exemplaire » de Stéphanie Brabant, montre le dynamisme de ces communautés de pêcheurs. Au contraire au Yucatan cette politique a aidé à développer une véritable pêche artisanale face à la pêche industrielle.

Durant les années 1980, 80 % des prises y ont été réalisées par la flotte artisanale. Les pêcheurs artisanaux représentent encore 5% de la population active, près de 11 000 emplois en augmentation constante. Paysans devenus pêcheurs ils restent liés aux communautés rurales, dont ils sont issues.
Si aujourd’hui, sous l’effet de la demande, de l’internationalisation du marché, de l’emprise des capitaux privés…ces PSSE s’éloignent de leur modèle initial, il reste au Yucatan une pêche artisanale active et nombreuse. Tout le long de la côte du Yucatan, comme à Champoton, se trouve une multitude d’embarcations et de petits pêcheurs maitres de leur investissement. Le développement du tourisme autour de Cancun est à la fois un handicap avec la confiscation de l’espace maritime et un atout assurant une partie des débouchés. L’aide apportée à la pêche est à mettre également en relation avec les subventions accordées aux villages indiens sous la pression des mouvements zapatistes. Ainsi les villages ont pu s’équiper en salle de sport, en dispensaires etc…

En conclusion

Le Mexique est donc à l’heure des choix et des interrogations : peut-on concilier longtemps une politique de soutien à une pêche artisanale qui répond à un marché intérieur et une politique d’essor d’une aquaculture intégrée et dépendante des groupes multinationaux nord-américains ? Il s’agit de choix entre modèles sociaux, modèles écologiques et niveaux d’exigence d’indépendance.

Voir

• RICARJDXE LFIQNU EZADA La pêche artisanale sur les côtes de la péninsule du Yucatan, au Mexique : l’exemple des pêcheries soumises au système de 1’Ejido.
www.fao.org › Accueil FAO › Pêches et aquaculture ; une annexe examine la télédétection pour le développement durable de la mariculture au large des côtes. (FAO -Fisheries and Aquaculture Technical Paper. No. 549. Rome, FAO. 181 pp. ;Food and Agriculture Organization of the United Nations,Rome, 2013)
http://www.cargill.com/150/fr_fr/FR_REGAL-SPRINGS-TILAPIA.jsp#sthash.Z4CSQvDZ.dpuf

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