Flottes de pêche lointaine, entre indolence et complicité

, par  AVENDANO GARCES, Pedro

Beaucoup de pays se contentent, de façon informelle, de maintenir des accords non déclarés. En échange d’aides financières, de prêts, de campagnes, etc., la pêche sert de monnaie d’échange et ainsi se maintiennent complicité et indolence dans la tragédie planétaire de la pêche.

Les autorités équatoriennes signalent 9000 requins morts trouvés dans un bateau de pêche chinois retenu dans la réserve de Galapagos. Source : WildAid

Depuis des décennies, les flottes de pays éloignés profitent des faiblesses de la législation internationale pour opérer dans les limites de la Zone Économique Exclusive des pays qui se considèrent en voie de développement ou d’économies dépendantes. Le cas de l’Équateur est symptomatique, 197 bateaux de grand tonnage opèrent à la limite de la zone économique exclusive des Îles Galapagos. Ces bateaux font partie de la flotte chinoise, bien qu’ils puissent opérer sous pavillon de complaisance.

197 navires de pêche la flotte chinoise situés entre Galapagos et l’Équateur continental. Source : Quotidien El Universo, à partir du Commando d’Opérations Navales de l’Équateur.

Le cas n’est pas nouveau en Amérique latine et a souvent été dénoncé par les organisations de pêcheurs, spécialement celles qu’ils représentent la pêche artisanale. Pour leur part, les autorités des états nationaux indiquent que les règlements internationaux, dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, garantissent parfaitement la durabilité des ressources nationales, empêchant les flottes des pays éloignées d’entrer dans la Zone Économique Exclusive des 200 milles marins. Dans la pratique, ce n’est qu’à moitié certain, puisque ces flottes se positionnent juste à la limite de la Zone Exclusive, en créant une véritable barrière pour la capture d’espèces dans leur majorité protégées comme les poissons de stocks chevauchants et hautement migrateurs. Mais la flotte chinoise n’est de loin pas la seule à opérer sur des États tiers. La Fédération de Russie et l’Union Européenne déplacent aussi leurs bateaux industriels vers des eaux internationales en encerclant la juridiction des États nationaux.
Il y a dix ans, la FAO a annoncé la crise des principales pêcheries commerciales du monde et a indiqué que les stocks de poissons diminuaient, tandis que les flottes et la pression sur les lieux de pêche traditionnels augmentaient, dans une relation indirectement proportionnelle. Des espèces comme le requin, le chinchard, l’anchois, le thon, la morue, le merlu sud austral, le saumon (sauvage), le marlín, l’espadon et la raie rouge ont été surexploitées ou sont franchement en voie d’extinction. Dans tous les océans du monde, la chaîne trophique est touchée. La pression sur les grands poissons empêche la reproduction d’autres espèces et ainsi successivement jusqu’à l’épuisement des ressources, y compris mollusques, crustacés et algues. Certainement, les pays côtiers voient les effets directs, mais ce sont les communautés côtières qui souffrent le plus de la surpêche.

Relation de taille entre un bateau moyen de pêche industrielle et un bateau moyen de pêche artisanale. Ce bateau est le point rouge dans le coin inférieur gauche du bateau. Source d’Images : The conversation.

En effet, à l’intérieur la Zone Économique Exclusive, la mer territoriale n’est pas exempte de la déprédation des ressources. Les flottes industrielles nationales exploitent les lieux de pêche ; ils utilisent des engins de pêche non sélectifs ; ils utilisent les chaluts presque dans le premier mille, lieu où se reproduisent les espèces ; ils négocient avec les entreprises transnationales ; ils font des accords de pêche sous le parrainage de l’ordre juridique national et ils ne s’arrêtent pas dans leur modèle de développement extractiviste, base de leur industrie. Les flottes industrielles nationales ne sont pas moins alarmantes que celles de pays éloignés

Il y a des années qu’on essaye d’imposer un modèle de pêche basé sur le système des quotas individuels transférables, QIT. Il s’agit, d’un système qui cherche la privatisation des ressources de pêche en les transférant aux entreprises de de la pêche industrielle. Par cette mesure les ressources sont transférées de manière gratuite, à perpétuité et peuvent être louées ou être vendues sur le marché futur. C’est la réalité à laquelle font face les communautés côtières dans leur propre pays, avec l’indolence intéressée de ceux qui ont pour mission primordiale d’assurer le bien-être et le développement de ces communautés directement menacées.

Sur le plan international, les flottes de pêche lointaine se déplacent sur toute la planète ; face aux côtes de la Mauritanie ces bateaux ont presque épuisé les ressources de pêche et ont été responsables du déplacement de milliers de pêcheurs artisanaux, ceux qui au milieu de la crise, ont cherché d’autres métiers, en abandonnant pour toujours la culture de la côte et leur relation intime avec la mer et ses ressources.

Dans le cas de Galapagos, qui a un statut spécial parce qu’il s’agit d’une zone d’exclusion de pêche, la flotte chinoise se situe dans un couloir adjacent à la Zone Économique Exclusive équatorienne, ce qui constitue un véritable crime, parce que, bien qu’elle soit dans des eaux internationales, elle pêche indistinctement des espèces qui pourtant sont protégées par les lois nationales et internationales.

Graphique explicatif sur le fonctionnement des filets dérivants, qui interceptent des trajets migrateurs.

Les flottes de pêche lointaine, spécialement de Chine, utilisent, entre autres, des filets dérivants dont les dimensions sont semblables à un terrain de football. On les laisse dans les courants marins pendant une ou deux semaines et ils pêchent tout ce qui est intercepté sur ce trajet. Le bateau les localise par le signal GPS qu’ils émettent.
Une donnée de plus au milieu de cette tragédie : 40% de ce qui est pêché, correspond à des rejets, c’est-à-dire, est jeté. Ainsi, la crise de la pêche des pays « industrialisés » est exportée vers les pays qui sont dans la périphérie de la mondialisation et ce sont ceux-ci qui voient leurs ressources marines pillées, avec,en plus, toutes les externalités négatives.
La Flotte de Pêche de l’Union Européenne, établie à Vigo, pêche dans le Pacifique Sud Oriental, le merlu sud-austral et ensuite l’exporte comme si c’était un produit local. Dans le cas de la ressource de sardine, pêchée dans l’extrémité du Pacifique, le long des côtes du Chili, elle est traitée dans des ports nationaux et ensuite vendue aux pays mêmes d’où elle est extraite sous l’étiquette de « Sardine espagnole ». Presque de caricature…

Le système international dispose d’un seul outil, la Convention sur le droit de la mer, et celle-ci qui a été ratifiée par pratiquement tous les pays de Nations Unies, n’a pas pu sauvegarder la richesse des océans du monde.
Le cas d’Équateur est seulement le cas type d’un modèle d’affaires qui a cessé depuis longtemps de prendre en considération les écosystèmes marins et qui cherche seulement le profit, au dépens de n’importe quoi et de n’importe qui

Voir en ligne : https://www.sinergia-lab.org/single...

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