Une immense réserve marine qui protégera davantage les riches touristes que les poissons Le petit archipel de Palau dans le Pacifique

, par  HOWSON Peter

Origine de l’article : "The Conversation"

Le petit archipel du Pacifique de Palau a un problème de braconnage.

Quand je suis allé là-bas en 2016 par exemple, quatre équipages vietnamiens avaient été détenus pendant près de deux mois après que leurs « bateaux bleus » à coque de bois aient été appréhendés dans les eaux locales. Ils pêchaient le thon, mais on avait aussi trouvé des requins à bord ainsi que des concombres de mer, un mets coûteux sur le marché chinois.
Les autorités de Palau brûlèrent trois de leurs bateaux en mer, tandis que les équipages étaient escortés sur le navire restant jusqu’à la frontière maritime de Palau. Qu’ils aient atteint l’horizon ou pas, cela n’avait pas d’importance pour le gouvernement. Ces pêcheurs font souvent l’objet d’une traite en tant qu’esclaves, et pendant leur détention, ils n’avaient aucune communication avec leurs proches. Comme l’a dit un employé d’une ONG humanitaire : « Ce sont des victimes et ils doivent être traités comme des victimes. La plupart viennent juste de se faire embaucher pour pêcher. Ils ne savent pas où ils vont. Ils ne savent pas comment naviguer. Ils n’ont pas le choix. "

Néanmoins, cette méthode de rapatriement des équipages vietnamiens est une pratique courante. Depuis 2014, de nombreux équipages ont vu couler leurs bateaux et ont été rapatriés de cette manière.
Palau est un État souverain avec un droit de vote à l’ONU, mais avec seulement 18 000 habitants. En 2015, le pays a désigné 80% de ses eaux territoriales - une superficie à peu près équivalente à celle de l’Espagne – comme sanctuaire national marin. Dans le "Bul", nom sous lequel le sanctuaire est connu localement, la pêche commerciale est interdite.
La réserve a attiré plusieurs des plus grandes ONG de conservation et de développement au monde. Il a reçu plus de 90 millions de dollars US de promesses de dons, provenant pour la plupart d’entreprises, de fiducies caritatives et d’organismes gouvernementaux d’Australie, du Japon et des États-Unis.

Les récifs coralliens ne sont pas protégés

Pourtant, la logique scientifique derrière le sanctuaire est discutable. Considérez les récifs de corail de Palau, qui sont parmi les endroits ayant la plus grande biodiversité de tous les océans et restent le dernier symbole d’eaux vierges dans la région. Ils attirent surtout les pêcheurs sportifs de haut niveau ainsi que les plongeurs et les plaisanciers et, grâce au sanctuaire, il y en aura encore plus.
Les images des récifs sont très présentes dans le matériel promotionnel et les plans stratégiques de la réserve marine. Pourtant, le sanctuaire ne commence réellement qu’à 12 miles de la côte, trop loin de la côte pour qu’il y ait des récifs coralliens. L’accès aux récifs est réglementé par diverses autres lois, mais, contrairement au sanctuaire, ces autres réglementations n’étaient pas conçues pour promouvoir le tourisme.
Les efforts de conservation de Palau font partie d’un projet pour devenir une destination touristique pour les super-riches. De nouvelles lois et des incitations fiscales visent à ce que seuls les hôtels cinq étoiles obtiendront une approbation de planification à l’avenir, tandis que les célèbres Rock Islands, un site au patrimoine mondial de l’UNESCO, seront probablement interdites à quiconque n’ayant pas de yacht privé. Un important plan d’extension de l’aéroport, géré par les Japonais, devrait permettre d’augmenter considérablement le nombre global de touristes.

Cela pose la question de savoir à quoi sert le sanctuaire. S’il est en place pour protéger le récif, alors il ne fait pas un très bon travail car il ne couvre pas la bonne zone. S’il est là pour protéger l’environnement au large, alors au lieu de l’utiliser pour stimuler le tourisme, Palau devrait également limiter le nombre d’arrivées d’étrangers qui pour la plupart pratiquent la pêche sportive au large.

Protéger à la fois le poisson et la souveraineté ?

En mer, Palau prévoit de développer l’affleurement souvent inhabité de Helen Reef, à 350 miles au sud des îles principales de Palau, ostensiblement pour le suivi et la surveillance. Mais en plus d’un quai, d’un dépôt de carburant et d’une station de rangers, les chefs de projet de Palau disent que l’expansion potentielle pourrait inclure le développement touristique, y compris un complexe de station de plongée. Les ONG japonaises, la Nippon Foundation et la Sasakawa Peace Foundation ont également financé les garde-côtes de Palau, et cette dernière a récemment fait don d’un nouveau patrouilleur de 40 mètres, le PSS Kedam, et a déjà aidé Palau à surveiller la zone.
Les eaux entourant Helen Reef sont disputées avec l’Indonésie voisine. Les implications géopolitiques en sont encore peu claires, bien qu’il soit probable que le Japon ait un intérêt significatif à ce que le sanctuaire serve de tampon contre l’expansion chinoise dans la région. Le président de Palau, quant à lui, a déclaré que le sanctuaire marin "n’a pas seulement pour objectif la conservation ; mais il a aussi pour objectif la sécurité nationale ".
Gardant à l’esprit cette dernière motivation, le président a parrainé un plan visant à adopter des réserves de conservation similaires sur 30% au moins des océans du monde. Cette position n’est plus radicale - c’est le courant dominant. Depuis 2006, sept nations insulaires du Pacifique ont désigné d’immenses étendues d’océan comme aires protégées. Michelle Grady, du Pew Charitable Trust, a récemment suggéré que l’objectif de 30% « ait le statut d’avis d’expert, tout comme la science sur laquelle repose le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ».
Mais de tels objectifs audacieux peuvent servir à promouvoir une conservation musclée, peut-être même violente. Mais à moins que la consommation ne soit réduite et qu’on s’attaque aux causes de la pauvreté et de l’esclavage en mer, peu de gens en bénéficieront, sauf les super-riches à la recherche du paradis.

Peter Howson, 24 octobre 2017.
Lecturer - Human geography and development studies, Northumbria University, Newcastle
Traduction : Maximilien Gilles

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