Un gros plan sur les réseaux sociaux de la communauté de pêcheurs du Lac Victoria

, par  NUNAN, Fiona

Les pêcheries du Lac Victoria, le deuxième plus grand lac d’eau douce du monde, assurent la subsistance d’environ trois millions de personnes dans les pays qui bordent le lac - Kenya, Tanzanie et Ouganda. Mais de fortes craintes sont apparues depuis le début des années 2000, car les stocks de poisson et les captures de perches du Nil, clés de la pêche commerciale, déclinent. Ceci est largement attribué à la pollution, à la surpêche et à l’usage très répandu d’engins de pêche illégaux qui prennent des poissons trop petits.

Avec environ 1500 sites de débarquement, le Lac Victoria fait vivre environ 200000 pêcheurs, en prenant en compte à la fois les propriétaires des bateaux et les équipages qui travaillent à la pêche. Il y a ensuite les transformatrices de poisson à petite échelle, les agents qui achètent du poisson pour les usines de traitement de poisson et les marchands locaux qui achètent pour les marchés locaux et plus lointains.
Ces membres de communautés de pêcheurs vivent et travaillent sur les sites de déchargement où ils développent des liens sociaux et économiques étroits au fil du temps. Ces liens forment des réseaux sociaux qui sont cruciaux pour accéder à l’emploi : la main d’œuvre pour le bateau, et la transformation du poisson ou la vente. Les efforts pour relever les défis auxquels fait face le Lac Victoria, particulièrement celui de la pêche illégale, devraient donc prendre en considération ces liens communautaires étroits car ils démontrent qu’il existe une coopération étroite et une dépendance au sein de la communauté. Ceci pourrait être consolidé pour renforcer leur implication dans la gestion de la pêche.
Nous avons mené une étude dans les trois pays bordant le lac pour mieux comprendre les réseaux personnels des trois principaux corps de métiers ; l’équipage des bateaux, les propriétaires des bateaux ainsi que ceux qui traitent le poisson et le vendent. Nous avons aussi cherché à comprendre comment ils bénéficiaient de leurs liens sociaux forts. Nous avons trouvé que les gens font fortement confiance à ceux qui travaillent dans le même métier et vivent sur le même site de déchargement, en dépit d’une migration significative entre les sites de déchargement, et que la fourniture de crédit, d’emploi, de travail et de soutien social rapprochait les gens et sécurisait leur mode de vie.
Nos découvertes sont importantes parce que les liens sociaux influencent leur attitude face à la gestion de la pêche et leur volonté de s’y impliquer avec le gouvernement. Comprendre la base de la cohésion sociale peut donc nous informer sur l’élaboration et la mise en œuvre du développement de la pêche et des approches de sa gestion pour qu’ils se construisent à partir des liens qui existent entre les gens, et sont nécessaires à leur bien-être.

Comprendre les liens sociaux

Les recherches consistaient à la fois en un questionnaire quantitatif et une interview qualitative. Les interviews ont été menées avec un échantillon de propriétaires de bateaux, d’équipages de bateaux et de transformatrices de poisson sur 18 sites de débarquement – six dans chaque pays. Nous avons interviewé 85 hommes et 19 femmes. La plupart des femmes étaient des marchandes de poisson alors que les hommes étaient en majorité des membres d’équipages de bateaux ou des propriétaires de bateaux.

Pour découvrir ce qui comptait le plus dans les réseaux personnels des gens liés à la pêche, on a demandé aux personnes interrogées de nommer sept personnes avec lesquelles elles avaient discuté de leur activité de pêche durant les deux semaines précédentes. Ce que nous avons trouvé, c’est que leur réseau personnel était majoritairement lié à leur métier, même si c’était encore plus vrai pour les vendeurs de poisson que pour les équipages et les propriétaires des bateaux.
C’était surprenant. Nous nous attendions à ce que les réseaux de vendeurs de poisson soient plus divers étant donné qu’ils interagissaient fréquemment avec les équipages et les propriétaires de bateaux pour acheter du poisson. Leurs relations étroites dans le corps de métier reflétaient le haut degré de dépendance qu’ils ont entre eux. Les dépendances incluaient le besoin de développer leur commerce, d’avoir accès au crédit et de recevoir des conseils pour mener leurs affaires. Environ la moitié des membres de leurs réseaux vivaient hors du site de débarquement, ce qui reflète l’étendue de leurs réseaux commerciaux.
Mais nous avons découvert que la plupart des membres du réseau des équipages de bateaux et des propriétaires de bateaux restaient sur le même site de déchargement. La mobilité des pêcheurs pourrait suggérer que leurs réseaux sont plus divers géographiquement, mais les équipages de bateaux font confiance à leurs amis locaux quand ils migrent à la recherche de meilleures captures de poisson et de meilleurs prix, en utilisant leurs réseaux pour les aider à se déplacer.

Bénéficier des liens

Alors, comment les gens bénéficient-ils de ces liens sociaux ?
Pour l’équipage des bateaux, l’aide financière et la fourniture de conseils étaient les avantages les plus cités. La plupart des conseils étaient relatifs aux zones de pêche, mais ils comprenaient aussi des conseils sur la façon de mener des affaires et de se faire une place dans les pêcheries. Les membres d’équipages peuvent souvent compter sur les autres, par exemple ils peuvent remplacer un ami qui ne peut pas sortir pêcher ou partager leur part de captures avec d’autres qui n’avaient pu sortir ou qui avaient pris peu de poisson.
Ces arrangements réciproques fournissent un important filet de sécurité.
Les propriétaires de bateaux ont rapporté qu’ils bénéficiaient du savoir- faire de leurs équipages, de leur ardeur au travail et leurs connaissances. Ils bénéficiaient aussi des liens avec d’autres propriétaires de bateaux à travers l’assistance financière et les conseils. En ce qui concerne leurs relations avec les vendeurs et les transformatrices de poisson, les propriétaires ont accès au crédit et sécurisent un marché pour leurs prises. Les marchands de poisson qui se connaissent bénéficient aussi de manière significative des conseils et de l’assistance qu’ils reçoivent les uns des autres, comme aider à sécuriser l’accès aux marchés et le transport du poisson.
Les réseaux sont donc cruciaux pour avoir accès au crédit et à l’emploi, pour maintenir un travail sûr et de haut niveau, et pour assurer l’accès aux marchés. Les gens se tournent les uns vers les autres quand ils ont besoin de ressources et de conseils, que ce soit en relation avec les pêcheries, pour mener leurs affaires ou pour des motifs personnels. Grâce à ces réseaux, le poisson, les revenus, l’emploi et les informations circulent, sur les sites mêmes de déchargement et à partir de ces sites. Ils confirment aussi qu’il y a des interactions économiques et sociales constantes, avec des vies personnelles et professionnelles étroitement liées.
Ces réseaux, associés à la fourniture de conseils et de crédit, pourraient être mis à profit pour utiliser la communication entre pairs pour s’attaquer à la pêche illégale. Ils pourraient aussi être utilisés pour renforcer les pêcheries du lac menacées, pour la mise en place et la mise en œuvre de la cogestion. Les résultats de notre étude confirment que la forte cohésion qui caractérise les communautés de pêche est encourageante pour la gestion communautaire et collaborative étant donné que les membres de la communauté se sont montrés capables de travailler ensemble efficacement.

Fiona Nunan, Senior Lecturer in Environment and Development, University of Birmingham

Traduction : Maximilien Gilles

Voir en ligne : https://theconversation.com/a-close...

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