Rencontre WFF-Collectif Pêche & Développement Lorient , 15-16 juillet 2018 De Loctudy 2000 à Lorient 2018

, par  LE SANN Alain

Les animateurs du World Forum of Fish harvesters (WFF) ont sollicité le Collectif Pêche&Développement pour organiser deux rencontres à Lorient. Le Collectif a répondu positivement à cette proposition qui avait deux objectifs : la réunion du Comité de Coordination du WFF et une rencontre sur l’enjeu de la mise en œuvre des directives volontaires sur la pêche artisanale dans le contexte européen. Il s’agissait aussi pour nous de retisser les liens entre le WFF et les organisations de pêcheurs en France et en Europe.

Le Collectif avait coorganisé avec le comité des pêches du Guilvinec la première assemblée générale du forum mondial des pêcheurs artisans à Loctudy en octobre 2000. Après la scission, le collectif a maintenu des liens avec les deux forums tandis que Danièle Le Sauce et André Le Berre, parmi d’autres, s’investissaient fortement dans le WFF. Danièle Le Sauce en fut la co-présidente pendant plusieurs années. Elle avait porté la revendication de la parité dans les délégations durant la préparation de l’Assemblée Générale. L’avenir a montré que cette représentation paritaire allait considérablement modifier la vie et le fonctionnement des deux forums et particulièrement le WFF. A Loctudy même, les femmes avaient fortement exprimé le souhait du maintien de l’unité du mouvement. Suite au départ en retraite de ces représentants et à la restructuration des comités des pêches autour des comités départementaux, le relais n’a pu être assuré avec une nouvelle génération. Cette rencontre a permis de recréer des liens entre les représentants des pêcheurs bretons et le WFF au cours des deux journées de rencontres des 15 et 16 Juillet à l’hôtel des gens de mer, au cœur du port de pêche de Keroman.

La première journée fut consacrée à l’accueil des participants et à la découverte du port de pêche. La visite des lieux a permis de visualiser la complexité de la pêche bretonne et lorientaise grâce à la présence de nombreux bateaux de tous types, ce qui n’est pas fréquent dans le port de Lorient. La journée s’est conclue par la finale de la coupe du monde de foot au bar « Chez Finette », haut lieu de rencontre des pêcheurs lorientais.
Le lendemain a été consacré aux pêcheurs européens et à la mise en œuvre des directives volontaires de la FAO portées par les deux forums, WFF et WFFP. Les directives sont d’abord conçues dans le contexte de la pêche et des communautés des pays du Sud mais elles ont aussi à voir avec la pêche artisanale européenne. La rencontre a rassemblé une trentaine de personnes dont une quinzaine de membres et invités du Collectif Pêche & Développement. Outre le comité de coordination du WFF au complet, sauf le co-président retenu au Nicaragua à cause de la grave crise politique que traverse le pays, une délégation de pêcheurs portugais participait à cette rencontre polyglotte, rendue possible grâce à la participation bénévole de 4 jeunes interprètes.

Complexité de la pêche artisanale européenne.

La matinée a été consacrée à des échanges sur la situation des pêches en Europe et l’organisation des pêcheurs en France après une présentation de l’organisation, des objectifs et du rôle du WFF. Solenne Le Guennec, Secrétaire Générale du CDPMEM du Finistère, qui était également représenté par Virginie Lagarde et André Berthou, Président du syndicat des récoltants d’algues de rives, a présenté l’action et l’organisation du comité. Elle a mis l’accent sur la diversité des pêches finistériennes et la complexité de son organisation, le Conseil d’administration réunit plus de 40 membres.

Solenne précise le fonctionnement démocratique des comités des pêches en Bretagne qui ont largement contribué à structurer l’exploitation de la bande côtière des 12 miles, en établissant des réglementations fixant les droits de chaque pêcheur, mais aussi les protégeant des comportement opportunistes d’autres acteurs du milieu maritime.
Ce tour d’horizon montre que la simplification outrancière de la définition de la pêche artisanale par la Commission et de nombreuses ONGE ne peut rendre compte de cette complexité. La FAO, comme le WFF, au-delà des principes généraux, laissent la liberté aux acteurs locaux de définir la pêche artisanale qui va bien au-delà de la petite pêche. Il en est ainsi de la question de la longueur, il suffit de regarder le port de Lorient : on trouve côte à côte deux fileyeurs, l’un de 12 m avec 3 hommes à bord, l’autre de 13 m avec 4 hommes à bord, ils pêchent dans les mêmes zones ; faut-il considérer le second comme un bateau industriel ? Comment peut-on exclure systématiquement les arts traînants de la définition de la pêche artisanale alors qu’elle correspond à une pratique généralisée, saisonnière au non, par de nombreux petits bateaux polyvalents et qu’elle est strictement encadrée ? Une organisation du WFF, au Costa Rica, a d’ailleurs été confrontée à ce débat lorsque de petits chalutiers crevettiers ont été menacés d’interdiction sous la pression d’ONGE. En l’absence d’alternative, le gouvernement a finalement décidé de maintenir leur activité suite à une campagne menée par l’organisation des pêcheurs. Pour sa part, le représentant portugais, Joaquim Pilo, a insisté sur l’effondrement de la pêche portugaise confrontée maintenant à la disparition de la sardine, sans doute du fait de modifications environnementales. Par contre cette activité se porte bien en Bretagne avec un nombre réduit de bateaux.
Le problème vient plutôt d’une concentration des droits de pêche entre les mains d’armements industriels qui achètent maintenant des bateaux traditionnellement réservés à des artisans, patrons armateurs embarqués. Cette tendance est aujourd’hui renforcée par l’absence ou la faiblesse des d’aides pour la construction de bateaux neufs qui sont donc de plus en plus réservés à des sociétés d’armement disposant de capitaux et du soutien des banques. Il n’existe pas de mesure adaptée permettant de combattre cette tendance à la concentration qui touche de plus en plus le secteur artisan. L’exemple canadien a été rappelé par un jeune pêcheur québécois représentant le Conseil Canadien des pêcheurs professionnels qui défend avec succès l’idée de zones réservées aux bateaux avec propriétaire embarqué.

Le WFF, un réseau international avec une forte implication des femmes.

Pour leur part, les représentants professionnels présents et les membres du Collectif ont été frappés par l’engagement et le dynamisme des dirigeants du WFF et notamment les femmes dont le rôle est majeur à la tête de l’organisation. En ont témoigné les représentantes de l’Equateur et du Mexique ainsi qu’Editrudith, la co-présidente du WFF, venue de Mwanza en Tanzanie. La secrétaire exécutive, Margaret Nakato vient également du lac Victoria, mais de Katosi en Ouganda, où elle anime une organisation de femmes. Toutes deux sont confrontées aux problèmes liés à la perche du Nil et à la crise environnementale du lac. Margaret était déjà présente à Loctudy lors de la scission où elle avait suivi les représentants africains au WFFP, elle a finalement choisi le WFF, tout en conservant des liens de coopération avec le WFFP. Il est d’ailleurs frappant de constater que, dans de nombreux pays, on trouve des organisations des deux forums. Présent dans 43 pays, essentiellement en Amérique et en Afrique, il est également représenté en Europe et en Asie, notamment en Inde.
La rencontre de l’après-midi a été plus précisément consacrée aux enjeux internationaux et à l’action du WFF, notamment pour la mise en application de directives de la FAO. Les deux forums sont d’ailleurs présents à chaque réunion du Comité des pêches de la FAO, ce qui leur assure une tribune régulière, comme ce fut le cas en ce début juillet. Ils interviennent aussi dans divers comités qui font la promotion de la souveraineté alimentaire. Le WFF a organisé plusieurs rencontres régionales sur la mise en œuvre des directives et ses organisations nationales sont engagées auprès des gouvernements pour défendre ces directives ; ainsi au Costa Rica, en Equateur et en Ouganda. Les représentants des pêcheurs présents ont été impressionnés par ce réseau international et la forte implication des femmes. Le débat a permis de mettre en avant plusieurs enjeux, dont celui de la perte d’accès aux zones de pêche qui s’ajoute aux menaces de la concentration des droits entre les mains d’armements industriels. La question de la pêche illégale reste un problème important, beaucoup de pêcheurs traditionnels sont aussi concernés car ils pêchent par exemple des juvéniles. S’il faut lutter contre ces pratiques, le WFF n’accepte pas la violence avec laquelle on traque parfois des pêcheurs qui ne font qu’essayer de survivre. Ainsi en Ouganda, l’arrestation de pêcheurs pour cause de pêche illégale de juvéniles s’est traduite par l’incendie de bateaux, l’interdiction de pêcher pour tout un village. Des errements individuels ont mené à des sanctions collectives inacceptables. De même la création de réserves marines sans concertation avec les pêcheurs vise souvent à satisfaire avec brutalité des obligations internationales pour parader dans les forums internationaux sans considération pour les conséquences sociales de ces mesures et les conditions concrètes de leur application. Le Canada en fournit un parfait exemple avec la création brutale de réserves sur 10% de la ZEE, à laquelle s’ajoutent de longues interdictions temporaires lorsqu’une seule baleine s’aventure dans les zones de pêche aux homards.

Se faire entendre dans les organisations internationales

La discussion a permis aussi d’évoquer deux problèmes : le développement des usines de farine de poisson en Afrique de l’Ouest et la protection de la biodiversité. Les deux forums pourraient soutenir la mobilisation des communautés d’Afrique de l’Ouest qui s’insurgent contre le développement de ces usines qui privent les populations d’une nourriture vitale. Les deux forums sont très engagés dans les instances internationales sur la défense des droits humains des pêcheurs et de leurs communautés, en particulier auprès de la FAO. Mais il faut souligner que les directives restent volontaires et qu’elles peuvent entrer en contradiction avec d’autres textes qui ont une portée plus grande comme la Convention sur la Biodiversité qui établit des obligations comme la mise en place d’AMP sur 10% des océans. L’objectif affiché de l’UICN est d’en faire au maximum des réserves intégrales et d’aller vers un objectif à plus long terme de 30% de réserves. Des ONGE comme Greenpeace veulent même aller à 40%. Or les organisations de pêcheurs sont très peu ou pas représentées dans ces instances et encore moins écoutées. Mais comment accéder à ces instances de plus en plus puissantes qui fixent des cadres qui s’imposent aux Etats de manière irréversible ? Comment influencer l’UICN ou l’Assemblée Générale de l’ONU, où les ONGE sont des partenaires reconnus et entendus. Comment dégager des forces pour s’y faire entendre alors que les moyens humains et financiers des forums sont très limités ?

Tisser des liens humains

Cette rencontre de Lorient fut l’occasion de contacts informels entre le WFF et des représentants locaux de la pêche professionnelle. Des liens humains ont été renoués entre des pêcheurs bretons et le WFF, c’est maintenant à eux de voir comment poursuivre et concrétiser ces relations et cette collaboration car ils ont pu prendre conscience qu’il est impossible pour eux de rester en dehors de ces débats qui se déroulent au niveau international. Ces débats en apparence lointains ont ensuite des conséquences concrètes sur le quotidien des pêcheurs et conditionnent leur avenir.
Les représentants du WFF ont aussi découvert l’importance des films et des médias pour la défense des droits des pêcheurs. C’est au cours de cette rencontre qu’un pêcheur canadien engagé auprès des indiens Micmac découvre le film « Angry Inuk », les Africains du WFF découvrent des films comme « La vague à l’âme » et « Poisson d’or, poisson africain » sur les problèmes de l’Afrique de l’ouest, le représentant indien apprend l’existence du film « Le droit de survivre » tourné dans son pays sur une AMP consacrée à la protection des tortues. En conclusion de ces journées, les membres du Comité de coordination ont pu visionner le film réalisé par le Collectif sur le 20ème anniversaire de la fondation du Forum à New Delhi, un outil pour favoriser la transmission et permettre la poursuite d’une histoire qui ne fait que commencer.

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