De la pêche à l’alose dans l’oued Sebou à l’essor de la pêche des civelles

, par  BORKI Jamal-Eddine

Au Maroc, la pêche de l’alose est une activité saisonnière assez ancienne. Elle s’est ancrée dans les traditions culinaires du peuple marocain, depuis des siècles, dans les milieux rural et urbain. Mais, elle a disparu vers la fin du XXe siècle. Notre objectif est de présenter une partie du patrimoine culturel et gastronomique du peuple marocain, mais aussi expliquer les causes de la disparition de l’alose et essayer de soulever ce problème auprès des autorités compétentes pour voir si l’on peut la réactiver, techniquement, pour des raisons économiques, culturelle et sociale.

Cet article est fondé sur des documents et sur des enquêtes personnelles réalisées au cours de la compagne de pêche 1985/1986. Les enquêtes ont touché particulièrement les pêcheurs de l’alose de l’oued Sebou (spécifiquement la plaine du Gharb, entre l’estuaire du Sebou jusqu’au Mograne, zone de confluence entre l’oued Sebou et son affluent oued Beht)

I – Présentation de l’espèce :

L’alose est un clupéidé migrateur qui se plaît dans l’eau de rivière. Il s’agit de la grande alose ou chabel (alosa alosa) et de la petite alose ou chbok (Alosa falax). L’alose marocaine porte le nom scientifique de « l’alosa vulgaris », espèce bien connue. L’aire de répartition s’étend le long de la côte Est-Atlantique, depuis le Maroc jusqu’à la Norvège. Les migrations de type diadromique s’effectue entre la mer et les eaux continentales. L’alose est un poisson anadrome, mais qui se reproduit en eau douce [1]. Donc, l’alose migre pour une raison génésique. La ponte des œufs (frai) s’effectue sur les bords des rivières. Ensuite, l’alose, à l’état embryonnaire, suit son chemin vers la mer, entraînée par le courant, jusqu’à l’océan. Les eaux littorales (plateau continental) deviennent leur lieu de séjour privilégié jusqu’à leur plein épanouissement, soit quatre années. Après cette phase essentielle, elle retourne dans l’oued, particulièrement dans leur lieu de naissance, pour frayer. La période de remontée se situe entre le 15 décembre et le 15 avril [2]. La période de reproduction débute le 15 avril et se termine début juillet. Selon J. Lecoz : « La marée se fait sentir le long du Sebou jusqu’à sidi Allal Tazi » [3]. Les zones de frai se localisent principalement dans la partie amont de l’oued. Selon Ch. Wattier : « La grande alose pond à peu près 100 000 œufs par kilogrammes » [4]. Et pour la petite alose, Gourrada R. précise que « La fécondité varie de 15 000 et 100 000 œufs par femelle » [5]. La grande alose mesure entre 40 et 80 cm. Son poids se situe, généralement, entre 0,85 et 4,5 kg. Parfois, elle peut atteindre jusqu’à 5 kg. Au niveau de l’alose feinte : 24 à 46 cm et le poids 0,1 à 1,10 kg.

II – La pêche de l’alose de l’oued Sebou dans le temps et l’espace :

A – Le passé ancien

Les archives nous permettent d’avoir un aperçu sur la pêche de l’alose dans l’oued Sebou et ses affluents. Les archéologues avancent la pratique de ce type de pêche à l’époque antique grâce à la présence de dizaines d’hameçons de différentes tailles en bronze, découverts lors des anciennes fouilles à Banasa [6], et la présence probable d’une usine de salaison à Thamusida [7]. La cité de Banasa se trouve près de Mechraâ Bel Ksiri et Thamusida au nord de Kenitra.
Au moyen-âge, Ibn Abi Zor’ rapporte que : « […] c’est dans ce fleuve que l’on pêche le chabel et le boury (l’alose et le mulet), qui arrivent si frais et en si grande quantité sur les marchés de la ville […] » [8]. L’auteur anonyme d’Al Istibsar « on pêche dans cette rivière grande quantité d’alose qui y remonte jusqu’à la source…. Le poisson est apporté à la ville à dos d’âne, cette espèce est appelée par les gens K’orb » [9]. Le fleuve lui-même était navigable : « Le Sebou arrose tout le riche pays du Gharb dont les produits en tant que leurs exportations est permise, seraient facilement portés à la côte par cette voie économique » [10]. La preuve « Au XIIe siècle, les Portugais venaient pêcher sur le Sebou » . [11]

B – Pêche de l’alose dans l’oued Sebou au XX° siècle

1 – Le cadre juridique
Initialement, le droit de pêche appartenait au souverain. Puis, il fut cédé aux Habous. [12] Depuis la loi du 11 avril 1922, les oueds furent confiés à l’Administration des Eaux et Forêts (Ministère de l’Agriculture). Après l’indépendance nationale (1956), les autorités ont senti le besoin de réorganiser cette activité livrée, jusque-là, à l’anarchie. Certains pêcheurs de Safi et d’El Jadida remontaient la côte et rentraient souvent en conflits avec les pêcheurs de l’oued Sebou. Le regroupement des pêcheurs est devenu nécessaire. En 1959, deux coopératives d’armement à la pêche de l’alose furent mises en place : la première dans la région de Fès-Meknès (dissoute en 1976) et la seconde à Kenitra (COPAK), dissoute en 1987.
2 – La pratique de pêche de l’alose
A la fin de la première guerre mondiale, M. Wattier « estimait à un millier de tonnes le poids total des aloses pêchées chaque année au Maroc, soit 600 à 800 tonnes dans le Sebou… » . [13]
Durant la décennie 1960, la pêche de l’alose fut très prospère dans ce de la côte marocaine. En 1961, la production de la Coopérative d’Alose de Kenitra (COPAK) a atteint 646 tonnes, selon le responsable de COPAK. « En 1968, la coopérative fluviale débarquait plus de 500 t pour une valeur commerciale de 1 million de dirhams » [14]. Le tonnage de 1973 a atteint 178 tonnes. Elle restera prospère jusqu’aux années 1980.
La pratique de la pêche de l’alose a connu un développement réel lorsque les pêcheurs se sont organisés en coopérative. Les membres de cette coopérative étaient originaires des villages de la plaine du Gharb (Sidi Allal Tazi, Souk Tleta et Sidi Yahya Al Gharb). Le local de la COPAK a été implanté près du port de Kenitra. [15] Son capital social s’élevait à 80 000 DH [16]. Elle disposait, au début, de 50 barques, 7 camions, un tracteur et une voiture de service [17], selon le représentant de la COPAK. Son siège comportait différents magasins, des hangars pour le stockage du matériel et du poisson.
Au niveau de Kenitra et sa région, la pêche de l’alose est pratiquée, entre les mois de novembre et mai, entre l’embouchure de l’oued Sebou et le lieu-dit Mograne [18]

, soit 35 km de distance. Les pêcheurs occupaient des postes de pêche ou Mechraâ. Chacun d’eux est séparé de l’autre par une zone tampon distante de deux kilomètres. Chaque poste comportait une hutte ou nouala, construite à l’aide de roseaux et d’herbes sèches (paille). Elles tenaient de lieu d’abri temporaire durant la période de pêche.

Photo J.Borki, 1986
Durant l’autre moitié de l’année, ces paysans-pêcheurs consacraient leur temps à exercer l’activité agricole. De fait, ils se relayaient entre eux. Chaque barque était constituée de six hommes. Trois d’entre eux passaient la semaine dans leur village pendant que les trois autres pratiquaient la pêche. Celle-ci s’exerçait durant toute la matinée. L’instrument de pêche est le filet maillant. Les pêcheurs se partageaient des rôles bien définis. L’un des pêcheurs restait sur le bord de l’oued pour retenir la corde supérieure du filet. Les deux autres traversaient l’oued en larguant progressivement le filet. Au retour, l’un des deux pêcheurs le relevait lentement pendant que l’autre retirait le poisson. Cette opération, qui se déroulait le long de l’oued, se répétait à maintes reprises. A Fès et sa région, l’alose et le bouri (mulet) sont pêchés dans les cours d’eau proches, l’oued Fès et l’oued Sebou, dans lesquels remontent des aloses très prisées des fassis [19], selon Jean Léon l’Africain.
Cette activité a été maintenue jusqu’à 1991 [20], date après laquelle, le poisson s’est considérablement raréfié et a même disparu jusqu’à nos jours. En 2014, un artisan-pêcheur du port de Mehdia a pu pêcher, accidentellement, une pièce de 3,5 kg. Il a pu la vendre à 1350,00 DH [21].

Photo J.Borki, 1986

III – Commercialisation des captures

Au début de chaque après-midi, un chauffeur de camion se chargeait de faire la tournée à travers les différents postes de pêche pour le ramassage des prises débarquées sur les berges du fleuve. Cette opération dure jusqu’à la fin de l’après-midi.

Le poisson est acheminé vers la COPAK. Juste après, on procédait à la pesée et au conditionnement du poisson (glace). Une partie des captures est vendue sur place (marché central de Kenitra). Le reste était acheminé vers Fès, Casablanca, Meknès, Sidi-Kacem. L’ordre ou le classement des points de vente est lié à l’importance du tonnage vendu. L’alose se vendait bien. Les prix étaient relativement élevés à l’époque (une moyenne de 13 DH/kg). La COPAK avait mis en place des représentants qui, dans chaque ville, assuraient la vente. Ne faisant pas partie de la COPAK, chaque vendeur recevait, en contrepartie, 4% du produit de la vente. Au niveau de la distribution du chabel dans le milieu rural (plaine du Gharb), elle se faisait à dos de mulets et d’ânes par les pêcheurs locaux (Mechraa Bel Ksiri, Souk Tlat, Sidi Allal Tazi, Sidi Mohamed Lahmar…).
Les revenus étaient répartis au fur et à mesure du déroulement de la campagne de pêche. Généralement, une avance mensuelle était accordée aux membres de l’équipage : 300 DH pour l’artisan-pêcheur (matelot) et 375 DH pour le patron-pêcheur. A la fin, on établissait le bilan entre les recettes et les dépenses. Parmi celles-ci, la taxe représentait à elle seule 15% de la valeur (7% les dernières années 1980). Cette taxe est retenue par l’Administration des Eaux et Forêts. Les dépenses se composaient aussi de la glace et du carburant. Quant aux recettes, après déduction de toutes les dépenses ou charges, elles se répartissaient comme suit : une part pour le matelot et une part et demi pour le raïs (patron pêcheur).

IV – Consommation du Chabel

Le chabel faisait parie intégrante des plats cuisinés avec beaucoup de raffinement par les Gharbaouis [22] et les Fassis [23]. Ce poisson est qualifié de « chrif » (noble) ou roi des poissons par les pêcheurs. Les Gharbaouis disaient : « Chabel Lyali ma yaklou ghir sidi wamoulay » [24]. La grande alose est absolument excellente. Sa chair est un vrai délice. Elle est connue par ses tâches dispersées ; contrairement à l’alose feinte (chboc) détenant des tâches plus alignées. Elles sont consommées aussi bien par les citadins que par les ruraux. Les marocains juifs sont considérés comme les plus grands consommateurs d’alose au Maroc, selon le témoignage d’anciens mareyeurs de Rabat et de Kenitra.
La préparation se faisait dans le fameux tagine marocain à base de terre cuite. En premier lieu, on met des morceaux de roseaux plats bien taillés et bien disposés sur le fond du Tagine. Ensuite, on les couvre de rondelles de pommes de terre. Après, on met de gros morceaux de poisson de « chabel » avec sa sauce ou tcharmila (huile d’olive, coriandre haché, poivre, cumin, ail pressé, sel). On le laisse mijoter sur le braséro traditionnel marocain à l’aide du charbon de bois. Vers la fin, on ajoute des rondelles de tomates. La cuisson se faisait, généralement, à feu doux pendant des heures.
Au niveau de la ville de Fès et sa région, la préparation se caractérise par la friture d’œufs de l’alose et des pièces de chabel à base d’huile d’olive. Ensuite, ils mettent la « charmoula » [25]. Les Marocains juifs de Fès étaient de grands connaisseurs au niveau de la préparation. Généralement, le poisson faisait partie intégrante de leurs traditions culinaires.

V – Causes et conséquences de la disparition de l’espèce

A – Les causes :
Autrefois, l’alose abondait. Mais, à cause de différents facteurs pénalisants (pollution fluviale, exploitation excessive de l’espèce, politique des barrages), le tonnage débarqué commença à diminuer progressivement pour disparaître à la fin des années 1980.
Les aménagements hydrauliques sont ici les plus à incriminer. Construits en amont des oueds, zones des frayères, ces barrières pratiquement infranchissables coupent inévitablement la migration de l’alose de ses lieux de reproduction. Il faut dire que le planificateur ne s’est guère soucié de ce problème. Certes, la politique de construction des barrages, lancée à travers le pays depuis l’indépendance nationale, fait partie intégrante de la politique nationale d’aménagement de l’espace. Le problème de la maîtrise de l’eau [26] et la lutte contre une sécheresse endémique justifient ce choix. Seulement, après l’installation des barrages sur l’oued Sebou et ses affluents [27], le déclin de la production de l’alose commença [28].
La pollution de l’oued Sebou et ses affluents est un autre grand facteur de perturbation et de dégradation du milieu. Il s’agit de déversement de déchets urbains et industriels en provenance des villes (Fès, Meknès, Sidi Kacem, Sidi Slimane, Mechraâ Bel Ksiri et Kenitra). A Fès, par, exemple, il y a les activités des dinandiers et des tanneurs. Leurs déchets nocifs contiennent du chrome. On incrimine, aussi, les différentes sucreries et l’usine de cellulose de Sidi Slimane dont les rejets toxiques de matières organiques soumises à oxydation et autres opérations chimiques représentent un grave danger pour la faune et la flore. Aussi, la centrale thermique de Kenitra déverse de l’eau chaude qui porte atteinte à la croissance des alevins. Le tout est aggravé par la marée dynamique ressentie jusqu’à 35 km de l’embouchure dont l’effet le plus immédiat est de bloquer et de concentrer ces produits toxiques. En l’an 2000, le Département de Biologie de l’Université Mohamed V de Rabat est arrivé à des conclusions alarmantes sur l’état de l’oued Sebou : « L’oued Sebou en aval de Fès, par exemple, est un fleuve mort, de Fès à Kenitra, il constitue le principal collecteur pour les rejets des égouts, des huileries, des sucreries et autres usines agro-alimentaires implantés sur les deux rives. Cette pollution est l’un des facteurs expliquant la quasi-extinction de l’alose de l’oued Sebou ». [29]
Les filets maillants dressés par les pêcheurs au milieu de l’oued constituent de véritables barrages. La réglementation des Eaux et Forêts accorde la pose du filet sur les deux tiers de la largeur du cours d’eau ; le non respect de ces normes a amplifié, il va sans dire, la raréfaction de l’espèce.
Les facteurs soulignés ci-dessus sont les principaux perturbateurs. Mais, on peut ajouter d’autres éléments moins pénalisants, mais participent à la dégradation du milieu et par conséquent à la raréfaction de l’espèce : surpâturage, prélèvement des graviers, drainage...

B – Les conséquences :
Cette dégradation avait des conséquences prévisibles sur l’avenir de l’activité et celui des pêcheurs. Ainsi, la COPAK, faute d’apports suffisants, a commencé à perdre progressivement de son dynamisme. Dès le début de la décennie 1970, elle avait perdu la moitié de ses adhérents suite à une cascade de démissions, de mise à la retraite ou de décès. En 1973, on comptait 13 postes regroupant au total 40 canots. En 1978, il n’y avait plus que 11 postes et 34 barques. A partir de 1982, il ne restait plus que 10 postes et 30 felouques. Depuis cette date, il n’y a eu aucun nouvel adhérant, sauf quelques jeunes qui ont pris la place de leurs parents ; l’âge moyen des membres est devenu assez élevé : 45 à 50 ans. Le matériel de pêche n’a cessé de se réduire : 30 canots à rames (deux filets maillants par unité de pêche), un seul camion pour le ramassage du poisson, un menuisier, un mécanicien, un ramendeur et un broyeur de glace. La production a connu une chute significative à partir de l’année 1983. A titre indicatif, le tonnage débarqué durant la campagne de 1985-1986 n’a pas dépassé 18 tonnes (416 000 DH) [30] ; alors qu’en 1981, il a atteint 140 tonnes (1,3 million DH). A cause de la faiblesse des quantités pêchées, chaque pêcheur gagnait à peine 15 DH par jour. Pour survivre, les pêcheurs n’hésitaient pas à pratiquer la vente directe ou de gré à gré (vente illicite). Ils finirent par se rappeler la bonne époque où les gains étaient importants. Généralement, ils dépensaient ce qu’ils gagnaient. Ils n’ont jamais imaginé que la ressource allait se tarir un jour.
La COPAK a déposé le bilan (1987) et le groupe s’est disloqué. Les plus jeunes ont regagné la mer. Les plus âgés sont devenus des ramendeurs de filets dans le port de pêche de Mehdia. Quelques-uns participaient à la construction de canots dans le petit chantier naval de Kenitra. Ceux qui ne veulent pas quitter leur milieu ont préféré s’adonner à la pêche du mulet (« bouri »), une espèce bien présente dans les eaux de l’oued Sebou
Durant la décennie 2000, les pêcheurs commençaient à pêcher la civelle. Une centaine de felouques (soit 700 pêcheurs) pratiquaient cette pêche à l’aide de viviers, entre Kenitra et Mograne. Le tonnage annuel dépasse 300 tonnes par an. Une usine d’anguille (NOUNEMAROC ACQUACULTURE) [31] a été implantée à Kenitra, non loin du port, en 2007. Elle se charge de la collecte de cette espèce, de son pré-grossissement dans 80 bassins d’eau pure avant son exportation vivante par avion vers les pays asiatiques (Japon, Corée du sud, Chine).

C – Les solutions envisagées :
Est-ce la fin d’une époque ou y a-t-il des possibilités techniques pour que la pêche de l’alose renaisse de nouveau ? Les expériences de pays étrangers méritent d’être soulignées.
Les Canadiens ont conçu des barrages qui ont des espaces de passage de l’alose vers l’amont des fleuves. Il s’agit d’échelles à poisson ou passes à poisson. On parle aussi d’ascenseurs à poisson. En 1989, les Français ont installé l’ascenseur à poissons des Tuilières (Département de la Dordogne). On peut citer, aussi, le cas du barrage allemand sur l’Isar près de Pullach. Il s’agit « d’un dispositif en escalier où le poisson trouve une zone de repos après chaque passage ayant nécessité un effort » [32]. Certains pays ont rendu ce dispositif obligatoire avant d’entamer la construction des barrages. Ces derniers « devant être installés dans le lit du cours d’eau ou à proximité. Leur aspect est plus artificiel ou intégré dans l’environnement » [33]. Les autorités marocaines compétentes ont intérêt à prévoir ces techniques avant d’entamer toutes nouvelles constructions de barrages sur les fleuves qui débouchent sur la mer Méditerranée ou l’océan Atlantique. Des visites scientifiques dans les pays cités précédemment méritent d’être envisagées pour évaluer les réussites et les échecs de ces ascenseurs. Nous savons que d’autres barrages sont programmés, dans l’oued Sebou et ses affluents, pour mettre fin aux inondations de la plaine du Gharb. Les inondations de 2010 et de 2011 constituent des facteurs qui encouragent les autorités de lancer d’autres ouvrages hydrauliques.
Au niveau environnemental, les autorités compétentes viennent d’installer des stations de prétraitement près de Fès et de Kenitra. Globalement, un projet d’assainissement et de dépollution de l’Atlantique a été programmé. L’objectif est de traiter les déchets urbains pour rendre aux eaux leur qualité première. La conjugaison de ces deux actions techniques (stations et ascenseurs) peuvent-ils faciliter le retour de l’alose dans son milieu ? En tout cas, l’expérience mérite d’être tentée.

Effectivement, depuis le début de la décennie 2010, les autorités du pays ont édifié deux stations d’épuration : une à Fès et une seconde à Kenitra. Le bassin versant de Sebou est le plus important au Maroc (6,6 milliards de m3/an). Un volume de 120 millions de m3 d’eau usées est déversé dans les divers affluents du Sebou (soit 40% au niveau national). Le pôle régional de Fès rejette, dans l’oued Sebou, un volume de 105 000 m3/jour d’eaux usées. La surface engendrée par cette pollution atteint une longueur de 100 km. La station d’épuration de Fès dispose d’une capacité de traitement du volume annuel d’eaux usées de 40 millions de m3. En 2014 [34], l’usine fut édifiée et installée à l’Est de la ville sur une superficie de 14 ha [35].
La construction de la station d’épuration de Kenitra, lancée en 2015, sera, normalement, achevée en 2019, pour assurer l’épuration des eaux usées de Kenitra, de Mehdia et de Sidi Taybi. Cette station va permettre d’assurer la production de 50% de ses besoins en énergie électrique. Logiquement, les deux stations sont conçues pour l’épuration des eaux usées, la production de l’électricité et l’irrigation des terres agricoles environnantes.

Conclusion générale

La pêche de l’alose faisait partie intégrante de notre patrimoine maritime et fluvial depuis des siècles. Ce patrimoine a volé en éclat depuis les années 1980. Beaucoup de nos compatriotes disaient : « c’était la bonne époque. Il y avait vraiment la baraka ». Les gens observent les fleuves avec beaucoup de tristesse. Ils disaient qu’ils « étaient pleins de poissons variés ». Ils faisaient vivre beaucoup de personnes. Ce patrimoine fluvial alliait les côtés économiques, social et culturel.
En fait, ils se sont rabattus, actuellement, sur la pêche de la civelle et du mulet. La civelle est une espèce qui se plait dans l’Oued Sebou. Elle est devenue l’espèce ciblée.

[1Par contre, l’anguille est un poisson catadrome c’est-à-dire elle vie essentiellement en eau douce et se reproduit en eau de mer. D’ailleurs, l’oued Sebou regorge d’anguilles et de civelles (actuellement)

[2Sabatié M.R., Alexandrino P., Baglinière J.L. : « Comparaison des caractéristiques biologiques de la grande alose (alosa alosa) dans l’oued Sebou (façade Nord-Atlantique du Maroc) et dans le fleuve Lima (Portugal) », site : www.mnhn.fr/.../06-Sabatié....

[3Lecoz J. : « Le Rharb : fellahs et colons, étude de géographie régionale », Rabat, 1964, p. 192.

[4Wattier Ch. : « La pêche de l’alose au Maroc », Grenoble, 1918. Source soulignée par Ch. Le Cœur : « Grandeur et décadence des pêcheurs d’Alose d’Azemmour », Bull. Eco du Maroc, Vol. IV, n °16, 1937, p. 130.

[5Gourrada R. : « Étude d’exploitation des aloses sur le bas Sebou », mémoire de second cycle – IAV – Rabat – 1982, p. 2

[6Thouvenot R. : « Une colonie romaine de la Mauritanie tingitane Iulia Valentia Banasa », Paris, 1941, p.54 et 95.

[7Rebuffat R, Callu J.C., Morel J., Hallier J., Marion J. : « Thamusida, I, fouilles du service des antiquités du Maroc », École française de Rome, Diffusion de Boccard, 1965, janvier 1965.

[8Ibn Abi Zor’ : « Roudh el-Kir tas : histoire des souverains du Maghreb (Espagne et Maroc) et Annales de la ville de Fès », traduit de l’arabe par Beumier A., Paris, MDCCCLX, p.40.

[9Al Majhoul : « Kitab Al Istibsar fi ajaib al-Amsar, description de la Mecque et de Médine, de l’Égypte et de l’Afrique septentrionale », texte arabe annoté par Saad Zaghloul Abde-Hamid, Casablanca, 1985, p. 186.

[10Oscar L. : « Tombouctou voyage au Maroc au Sahara et au Soudan », traduit de l’allemand par Pierre Le Haut Court. , T. I., Paris, 1886, p. 142.

[11Gourrada R. : « Étude d’exploitation des aloses sur le bas Sebou », mémoire de second cycle – IAV – Rabat – 1982, p. 10.

[12Les Affaires Religieuses.

[13Wattier Ch. : « La pêche de l’alose au Maroc », Grenoble, 1918. Source soulignée par Ch. Le Cœur : « Grandeur et décadence des pêcheurs d’Alose d’Azemmour », Bull. Eco du Maroc, Vol. IV, n °16, 1937, p. 130.
Le tonnage présenté par Wattier Ch. correspond aux aloses pêchées dans les différents oueds marocains propices au développement de l’espèce : Sebou, Bou Regreg, Loukos, Oum Rbii, Moulouya, Tensift.

[14Sabatié M.R. : « Recherches sur l’écologie et la biologie des aloses au Maroc », Université de Bretagne Occidentale, 1993. Thèse de Doctorat, U.F.R. des Sciences et Techniques, pp.1et 2.

[15Il est encore présent jusqu’à nos jours, mais fermé (avril 2016). Cette information m’a été confirmée par le surveillant du local.

[16Chiffre spécifié par la COPAK.

[17Données recueillies suite à des enquêtes personnelles menées au sein du siège de la COPAK (campagne de l’année 1985-1986).

[18Mograne, mot arabe qui signifie confluence. Il s’agit de la zone de rencontre de l’oued Sebou et son affluent oued Beth (voir photo).

[19Jean Léon l’Africain : « Description de l’Afrique », nouvelle édition traduite de l’italien par A. Epaulard, 1956, p. 231.

[20Selon l’Office National des Pêches, le tonnage débarqué en 1991 (oued Sebou) était de 3 tonnes.

[21Selon Mr Saikouk, Président de l’Association des Mareyeurs du Port de Salé (Entretien réalisé le 20 avril 2016 au port de pêche de Salé).

[22Habitants de la plaine du Gharb.

[23Habitants de Fès.

[24L’équivalent : le chable de l’hiver n’est consommé que par les Sidi et Moulay (titres de noblesse).

[25Les Fassis disent Chamboula et non Charmille.

[26Les habitants de la plaine du Gharb étaient menacés régulièrement par des inondations catastrophiques aux plans humain, économique et social.

[27Il s’agit des barrages suivants : barrage El Gansera construit en 1935, Barrage Idriss Ier mis en fonction en 1973 (oued Inaouen), barrage Al Wahda mis en service en 1997 (oued Ouargha).

[28Ce phénomène s’est produit à Azemmour dès 1933, bassin de l’oued Oum Rbi. En 1929, les autorités coloniales françaises ont construit le barrage de Sidi Maacho. Les conséquences sur la vie économique et sociale des pêcheurs et même des habitants de la ville d’Azemmour ont été catastrophiques.

[29Azeroual A., Crevelli A.J, Yahyaoui A., DAKKI Med. : “L’Ichtyologie des eaux continentales du Maroc », Université Mohamed V, Département de biologie, Rabat. 2000

[30A ne pas confondre avec la production de 1969 : plus de 240 tonnes.

[31L’usine est la propriété d’un couple franco-marocain (Jérôme et Sanaa Gurruchaga).

[33M. Larinier (CEMAGREF), chap 5 ; Pool Fishways, pre-barrage and natural bypass channels.

[34La construction de cette station a été lancée en 2012 et achevée en 2014.

[35Ismail A. et Bendaoud T. : « Procédés de traitement des eaux usées à la station d’épuration –Fès », Mémoire de fin d’Etudes pour l’Obtention du Diplôme de Licence Sciences et Techniques : Eau et Environnement. Université Sidi Mohammed Ben Abdellah – Fès. Année : 2012-2013. p.8.

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