Un accord de pêche historique mais léonin dans les eaux de la ZEE de Madagascar Chine-Madagascar

, par  CHEREL, Jacques, HUSSENOT DESENONGES, Gérald

Il y a un peu plus de 3 mois, le 5 septembre 2018, à Pekin, dans le cadre du Forum sur la Coopération Sino- Africaine a été signé un accord cadre portant sur l’économie bleue de 2,7 milliards de US $ sur 10 ans entre la Chine et Madagascar.
A priori tout un chacun peut se réjouir de voir investis des fonds aussi importants sur un domaine porteur d’avenir pour la Grande Ile. Cependant, cet accord « privé » et non pas « d’Etat » selon les chinois, pose un certain nombre de questions et soulève de nombreuses critiques, dont la préalable est celle de l’opacité de son contenu précis.
De plus cela fait partie d’une politique globale de mainmise de la Chine sur l’océan indien (voir l’annexe).

En effet, cet accord co-signé par le directeur de l’Agence Malgache de Développement Économique et de Programmation des Entreprises (AMPD), association privée, et Miao Jirong représentant le consortium chinois Taihe Century Investments Developements Co ltd (TCID), en présence du Président Hery Rajaonarimampianina - alors encore en exercice pour quelques jours à l’époque -, n’a pas fait l’objet à ce jour de publication ; de plus, il semblerait que le ministre des ressources halieutiques et de la pêche, Augustin Andriamananoro, n’a été ni associé, ni même informé.

L’objet de l’accord repose sur 5 axes majeurs et essentiels pour l’économie halieutique malgache : la construction de chantiers navals, le développement de la pêche, la création de fermes aquacoles, le contrôle des pêches illicites et illégales, la création de centres de formation maritime.
Il comporte également un second volet contractuel signé entre l’AMDP et l’International Network for Bamboo and Rattan (INBAR) visant à créer une centrale de désalinisation de l’eau de mer dans la région de Tuléar et une exploitation agricole industrielle de bambous.

Regardons la partie liée à la pêche maritime :
En l’état actuel, compte tenu du peu de publicité qui lui a été offerte, cet accord interroge.
Question préalable : comment ce vaste programme s’insère-t-il dans les nombreux schémas de développement des activités halieutiques soutenus auprès du gouvernement malgache ?
En particulier :
 le Programme Sectoriel Agriculture Elevage Pêche (PSAEP) 2014-2025
 le Cadre de Programmation - Pays (CPP) de Madagascar promu par la FAO en 2012,
 la mise en œuvre du projet SWIO Fish2 (Deuxième Projet de Gouvernance des Pêches et de Croissance Partagée du Sud-ouest de l’Océan Indien) 2017-2022 qui vise à promouvoir le secteur de la pêche dans ces pays, en termes d’économie, social et environnemental, etc.....

A y regarder de plus près, et d’après les informations disponibles, 700 millions de US $ seraient consacrés dès 2018 et sur 3 ans à l ’exploitation des ressources halieutiques des eaux territoriales, en contrepartie des investissements réalisés par la Chine. A cette fin, est prévue la création d’une (ou de plusieurs ?) société de pêche côtière armant 330 navires chinois chalutiers de 14 m et créant, selon le projet, 3.600 emplois (10.000 à terme pour l’ensemble du projet).

Quelle sera la nationalité des équipages ? Quel sera l’effort de pêche de ces navires ? Quelles espèces seront ciblées ?

On peut supposer sans trop d’erreur que leur régime d’exploitation sera optimisé et que leur tonnage sur le court terme se situera dans une fourchette comprise entre 150.000 et 250.000 Tonnes /an ; les estimations officieuses font état de 130.000 T.
Sachant qu’historiquement le potentiel annuel de pêche en mer dans la ZEE malgache est aussi estimé à 130.000 tonnes, le doublement voire plus de cette production pose un problème.

Certes, il reste une marge de manœuvre puisque les statistiques du service du Ministère de la Pêche et des Ressources Halieutiques font état en 2016 pour l’année 2015 d’une production globale de pêches maritimes déclarées d’environ 70.000 tonnes (voir note 1 infra) ; cependant des observations scientifiques tendent à montrer que les pénéidés, les poissons démersaux, les stocks côtiers et les thonidés sont pleinement exploités ; seuls les petits pélagiques le seraient modérément.

Il est bien évident qu’en plein exercice, la production de ces navires opérés par la Chine contribuera à la coupe réglée des ressources naturelles au détriment des ressources vivrières des populations côtières de pêcheurs et à la production de protéines animales dont Madagascar a tant besoin.

Source de conflits futurs, cet accord ne contribuera qu’à accroître les difficultés actuelles déjà constatées par les pêcheurs traditionnels vis à vis des pratiques des navires étrangers fréquentant la ZEE et en particulier la bande côtière, ainsi que des chalutiers chinois qui n’hésitent pas déjà à bouleverser les modes opératoires traditionnels essentiels pour les flottilles piroguières sans grand respect des secteurs de pêche des acteurs historiques. (voir notes 2, 3 & 4 infra)

D’ailleurs des réactions ne se sont pas fait attendre réclamant la nullité de cet accord, notamment de la part des pêcheurs artisanaux inquiets, qui réclament déjà depuis de longues années un meilleur équilibre de la répartition des efforts de pêche sur la côte en fonction de la taille des navires qui la fréquentent.

On peut aussi se poser la question de la destination des produits pêchés, soit disant devant approvisionner en partie les marchés locaux ? Les besoins insatiables de la Chine visant à sécuriser ses propres approvisionnements domestiques permettent d’en douter (voir en cela le pillage des ressources d’holothuries dans l’ensemble du bassin Indien).

Enfin nulle part n’est fait état d’une quelconque étude d’impact social et environnemental de cet accord, ni pour le volet pêche, ni pour le volet aquaculture. Et pourtant, les richesses naturelles uniques bien mises à mal de la Grande île exigeraient de commencer par des analyses sérieuses préalables.

Malgré les efforts et la bonne volonté manifeste de certains fonctionnaires qui ne réclament que des moyens et de la considération , le champs de travail dans le domaine halieutique pour améliorer la gestion des pêches est immense : contrôles des pêches, dispositions réglementaires régissant la pêche crevettière (taille – périodes – maillages des engins), droits à produire, statistiques, ressources, encadrement des activités, aménagement des pêcheries, dispositifs de concentration de poissons, confortation des stocks etc,etc.... sans parler de l’aquaculture.

Malheureusement, la corruption omniprésente handicape tout développement soutenable.

Confrontée à la stratégie chinoise assise sur la B.R.I. « Belt and Road Initiative » que les occidentaux qualifient naïvement de « nouvelles routes de la soie », la France serait bien inspirée de suivre de près ce contrat afin d’en mesurer les risques, si elle veut conserver sa ZEE autour des îles éparses. Notamment celles du canal du Mozambique, l’île Europa, Bassas da India et l’île Juan de Nova ( 312.000 Km2).

Le gouvernement malgache, en effet, depuis de nombreuses années (1979) réclame sans trop de virulence le retour de ces eaux sous sa souveraineté ; leur potentiel de gisements pétrolifères et surtout les implantations chinoises dans les ports de la côte Est de l’Afrique et notamment dans le canal du Mozambique pourraient politiquement y contribuer.

Cela devrait donner à réfléchir...

Note 1 : Production de la Pêche maritime en 2015
Source (service des statistiques du Ministère de la Pêche et des Ressources Halieutiques (2016)
Pêche industrielle : Thons 31.680 T ; Autres 2.475 T ; Crevettes 3.878 T
Pêche Artisanale : 22 T
Pêche Traditionnelle : Crabes 4.750 T ; Langoustes 390 T ; Trépangs 1.598 T ;
Poissons 15.572 T
Autres produits 8.104 T
Crevettes 852 T
Total : 69.321 T
Pm : Aquaculture Crevettes 3.446 T

Note 2 : Protocole fixant les possibilités de pêche et la contribution financière prévue par l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République de Madagascar et la Communauté Européenne. 2015- 2018.
Concerne : Thonidés et espèces assimilées (thons, bonites, thazards, marlins, espadon)
– 40 thoniers senneurs congélateurs
– 52 palangriers
en contrepartie du versement de 6 millions d’€.

Note 3 : Navires étrangers à l’Union Européenne autorisés à pêcher dans les eaux malgaches en 2011 :
 10 senneurs
 50 long liners

Note 4 : Cet article ne traite pas des navires et des installations à terre des acteurs du GAPCM (Groupement des Aquaculteurs et des Pêcheurs de Crevettes de Madagascar) qui depuis plus de 20 ans plaide pour une exploitation crevettière raisonnable.

Annexe

L’accord de pêche qui vient d’être signé entre Madagascar et la Chine doit être relié à tout un ensemble d’accords qui tissent la toile chinoise sur la partie occidentale de l’Océan Indien.
Cette présence suscite des résistances et des oppositions comme à Madagascar précisément . Il existe une pétition contre l’accord de pêche passé avec la Chine, elle compte déjà plus de 17 461 personnes ... M. Mitsiky a lancé cette pétition à destination du gouvernement malgache : il s’agit de protéger la population de l’île Madagascar et de préserver son secteur halieutique fragile et unique.( Madagascar : Faire révoquer l’accord de pêche signé avec la Chine ; https://secure.avaaz.org/...petitions)
Mais cet accord n’est pas isolé.
On pourrait rajouter les accords entre Maurice et la Chine (4 accords de coopération, dont un sur la pêche non public + 1 accord de libre échange économique : le 1er avec un état d’Afrique). Maurice a signé aussi avec le Japon(la reprise de la pêche à la baleine est aussi une menace pour cette région, quoique ces bateaux de pêche sont autant de prétexte à une présence japonaise, faute de flotte militaire suffisante pour le moment).
Avec les Seychelles, la Chine multiplie les accords bilatéraux tant au niveau de la défense, de l’éducation, que maritime….
Ajoutons que le Mozambique et la Chine ont conclu des accords d’une valeur totale de 100 millions $ afin de soutenir le développement du Mozambique et de renforcer les relations économiques entre les deux pays, a indiqué l’agence de presse chinoise, Xinhua. Selon les informations relayées par le média, ces accords devraient permettre à l’empire du Milieu de financer la mise en œuvre de quatre grands projets dans ce pays d’Afrique australe. Les domaines de la formation, des infrastructures et de l’agriculture devraient mobiliser les principaux investissements qui auront lieu dans le cadre de ces accords. (Agence Ecofin)
Bien entendu la Chine a parié sur Djibouti, où elle a acheminé 10 000 soldats, à quelques encablures des bases américaines et françaises. Certes les difficultés sont nombreuses ainsi que les déconvenues pour les Chinois, mais le maillage de l’océan Indien repose aussi sur cette implantation.
Le canal du Mozambique voit transiter 30% de la production mondiale de pétrole et les échanges de matières premières minérales entre la Chine et l’Afrique de l’Est vont s’intensifier. De plus, de récentes explorations dans le canal du Mozambique ont permis de révéler la présence d’importantes réserves d’hydrocarbures.
Ainsi la Chine est en train de se tailler une place dans cette partie de l’Océan Indien, au détriment de l’Inde, des Occidentaux et de la France en particulier.

Les positions françaises

Il est clair que les positions de la France autour de Mayotte et de la Réunion sont très menacées, notamment les iles Eparses aux riches potentiels halieutiques et pétroliers.
il est fort à parier que la Chine se mobilise pour soutenir la revendication des Comores à réclamer Mayotte, ce qui la mettrait en rapport de force pour exploiter la zone.
Il semble que la France ne mesure pas l’impact chinois dans la région, à moins que la récente rencontre à Brest entre les ministres français et japonais soit le début d’une politique d’envergure !
Bien entendu tous ces accords se font contre l’intérêt des pêcheurs artisanaux de cette région de l’océan indien (cf pétition ci-dessus et film de Mathilde Jounot, "Unis pour durer").

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