La planification spatiale maritime : un processus d’exclusion des pêcheurs ?

, par  QUENTEL, Armand

Intervention d’Armand Quentel lors de la Journée Mondiale des Pêcheurs, le jeudi 24 novembre 2022 à Lorient (Université de Bretagne Sud).

« Une planification de l’espace marin qui se concrétiserait sans prise en compte du traumatisme des pêcheurs, pour qui la Mer a viscéralement une Vocation nourricière, ne peut que transmettre un sentiment d’injustice. »

A l’international :

La Mer, espace de convoitises et de conflits plus que de coopérations. Lieu de planification des eaux sous juridictions des Etats, et lieu de foire d’empoigne sur les 60 % qui sont au-delà des eaux sous juridictions (la haute mer)
La Haute Mer, un « commun » (non un « bien ») qui mériterait une gouvernance internationale, portée par la Justice et non par la raison du plus fort, par la raison des puissances économiques . Ce point montre l’incompétence des Institutions internationales, plus précisément du Droit international des Institutions, dans leur diversité : les États, les organisations privées, les ONG et les représentations des citoyens…
Cf. Samantha BESSON sur le Droit International des Institutions https://www.college-de-france.fr/chaire/samantha-besson-droit-international-des-institutions-chaire-statutaire

Au sein de l’Union Européenne :

Le planning de l’espace marin est défini par la Directive européenne 2014/89/UE demande aux Etats-Membres de l’Union Européenne de présenter leur « processus d’analyse et de d’organisation des activités marines dans le but d’atteindre les Objectifs économiques, sociaux et environnementaux ». Les Objectifs sont basés sur les 17 ODD de l’ONU (2015)
En août 2018, environ 70 pays préparaient ou avaient rédigés leur PSM, à diverses échelles.
La Commission océanographique Intergouvernementale l’UNESCO (COI-UNESCO) et la direction générale des affaires maritimes et de la pêche (DG MARE) ont adopté en mars 2017 une feuille de route conjointe pour accélérer les processus de planification de l’espace maritime/marin dans le monde entier [1] .

En France métropolitaine :

La déclinaison française est portée par la Stratégie Nationale de la Mer et du Littoral (SNML) et le Conseil National de la Mer et des Littoraux (CNML) et les déclinaisons inter-régionales que sont les Conseils Maritimes de Façades CMF, lesquels produisent leurs Documents Stratégiques, les DSF  ; ceux-ci présentent les représentations cartographiques de leurs Objectifs qui sont : économiques, sociaux et environnementaux sous l’appellation générique (Cf. Le Code de l’Urbanisme) de « Cartes des Vocations ».

Planification ?

- Concilier et concrétiser dans le temps et l’espace le Planning d’utilisation d’un zonage marin … en priorisant les choix et en veillant à ne pas dépasser les limites des capacités environnementales est une option … (à l’image du planning d’utilisation des salles de cours)
Ou,
- Verrouiller des zones à vocations exclusives et figées dans le temps, (ad vitam aeternam !) en imposant le principe de non-régression porté par l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN), qui ne permet aucune possibilité de « revenir en arrière ».
Avec les changements climatiques en cours, peut-on récuser la possibilité de s’adapter ?

Cf. la définition des AMP portée pas la SAP (nationale, terrestre et marine), écrite sous la gouverne de l’IUCN : une aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés »
Quand une vocation de conservation, protection est décidée, la notion de consécration lui donne un caractère irréversible. La sémantique n’est pas innocente : « Vocation et Consécration » sont des termes qui font référence à la terminologie religieuse. (Vocation de « vocare », la voix de Dieu. Consécration : du latin consecratio, « action de consacrer aux dieux »)

Spatiale ou des espaces ?
La spatialité en mer se réalise en volume, pas seulement en surface ; le sol et le sous-sol de la mer représente aussi une réalité. Classer « par surfaces » n’est qu’une politique du nombre.

Gouvernance et légitimité des acteurs
Reconnaître parmi les « parties prenantes » ceux qui vont sur la mer, qui en vivent (et des fois en meurent) ne méritent-ils pas une légitimité plus significative que ceux qui n’ont rien à perdre des décisions qui impactent les activités en mer ?

Présentation à l’écran :
• Carte représentant les enjeux du DSF NAMO vus par les pêcheurs ;
• Carte des zones classées sous AMP ;
• Carte du CEREMA, montrant les zones « favorables » à l’éolien en mer.

Ce qui se prépare :

Paix durable et bien-être portés par une planification empreinte de Justice sociale ?
C’est pourtant la Vision exprimée par le Document Stratégique de Façade NAMO : « En 2030, le bien-être et l’emploi sont reconnus Objectifs premiers de la Transition… »
Or…
• Après le déploiement de zones à vocations de « protection » … qui s’érigent en gestionnaires de TOUTES les activités …. Et vont ainsi au-delà de leurs mandats de gestionnaires des mesures environnementales, ou de conservation (d’habitats ou d’espèces pour les Zones Natura 2 000, par exemple)

• Après la Haute Mer sous domination des géants de l’alimentaire …
L’exemple de l’agriculture qui passe sous l’influence des lobbies industriels de l’agroalimentaire, de l’agrochimie et son intégration dans des firmes… donne à réfléchir. Alors que la France métropolitaine importe environ 80 % de sa consommation de produits halieutique, l’idée d’en finir avec la pêche de capture est lancée. Vive le poisson BIO … sachant que seul celui qui a la traçabilité peut avoir ce label, il n’est accessible qu’aux produits de l’aquaculture !
Le poisson BIO justifie la pêche industrielle des petits pélagiques pour l’élevage des poissons carnivores. Cf. le développement de la Pêche minotière industrielle sur les petits pélagiques.

• Voici la Mer bordière, objectif des énergéticiens :
Le Projet de Loi « Accélération du développement des EMR (Energies Marines Renouvelables) » se propose de « lever les barrières environnementales » ! Avec la décision de transformer systématiquement la qualification de « déclaration d’Utilité Publique » des projet EMR en « Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur » (RIIPM), le tour est joué.
Le Texte final (pour 2023) montrera le niveau des possibilités qui vont être offertes aux développeurs des Energies Marines Renouvelables (éolien etc.) pour ne pas être « bridés » par l’environnement, le sociétal et le Droit Social !!!
Une planification de l’espace marin qui se concrétiserait sans prise en compte du traumatisme des pêcheurs, pour qui la Mer a viscéralement une Vocation nourricière, ne peut que transmettre un sentiment d’injustice. La Mer doit garder sa vocation nourricière, le sujet de l’énergie ne doit pas se résumer à l’alimentation (électrique) des machines… L’alimentation (halieutique) des humains doit rester un objectif majeur.
Pour les pêcheurs, déjà cible désignée de la vindicte publique et de certains courants conservationnistes partisans de leur exclusion des « AMP », le développement des sites industriels éoliens génère un « sentiment inguérissable de victimisation » pour reprendre les termes de Paul Ricœur… Avec la planification des AMP et des EMR, jusqu’à quel point allons-nous au-delà de la volonté de reconquérir l’état de santé de la mer (le Bon état écologique de la directive 2008/56/CE ?
Sans présentation « intégrée » de ces Objectifs environnementaux et industriels, sans prise des mesures « à la source » des pollutions externes qui impactent le Milieu Marin… Le débat démocratique ne sera pas accompli et le résultat espéré ne sera pas atteint.
En CMF NAMO, lors des travaux d’écriture des fiches-actions du DSF, en pleine pandémie, il n’a pas été possible de « revisiter » les Objectifs opérationnels validés en 2019… Les instructions de l’Etat central sont restées fermes : « C’est la relance, il faut faire comme prévu et présenter le plan d’action qui permettra d’atteindre les Objectifs validés !
Il n’a pas été acté comme « recevable » de revoir l’éclairage des Objectifs à la lumière des enseignements de la pandémie… Aucune remise en cause n’aura été acceptée.
En mer, lieu du pouvoir de l’Etat, les possibilités pour les Régions ou Intercommunalités d’exprimer leurs volontés de projection sur leurs mers bordières, (SRADDET, Volet maritime de SCOTs…) se sont avérées inopérantes. Et rien n’a transpiré des débats des Commissions Administratives de Façades (que certains surnomment les « cabinets noirs »).
Un trouble se fait jour de même, sur le « statut » des Agences, Offices et autres instances qualifiées « d’indépendantes » et/ou d’Etablissements Publics de l’Etat qui sont, selon le cas, représentants de l’Etat ou Bureau d’études – Cabinets Conseils… (un peu à l’image de la chauve-souris de la fable (Cf. « la chauve-souris et les belettes » J. de La Fontaine 😉.
Malgré l’écoute des Missions de Coordination des Politiques de la Mer et des Littoraux (MCPML), le sentiment de n’être que « Libres d’obéir » est installé (Cf. Johan Chapoutaux) ;
Le discours présidentiel de Belfort du 10 février 2022 se présente comme étant de fait le résultat des concertations sur l’Energie, le Mix énergétique, la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) alors que le sens global de nos activités face au Changement Climatique et géopolitiques induits n’est pas évoqué. Mais cette réflexion est-elle seulement possible ?

« La mer est ton miroir, tu contemples ton âme… » Baudelaire

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