Alain Jégou, une personnalité rare, marin pêcheur, poète, écrivain.

, par  LE SANN Alain

Lors de la création du Festival Pêcheurs du Monde à Lorient, le Comité local des pêches, présidé par Liliane Carriou, proposa à Alain Jégou de participer au comité d’organisation.

Alain Jégou ( au centre) et l’équipe du Festival pêcheurs du monde, lors de l’inauguration de l’exposition de photos de Robert Le Gall, qui lui était consacrée (Photo Robert Le Gall)

C’est ainsi que je fis connaissance avec cet ancien pêcheur que je connaissais déjà par plusieurs de ses écrits. J’étais séduit par la force de son écriture et de ses images, sa radicalité. Ce fut un grand plaisir de le rencontrer, de l’entendre, de collaborer à la réalisation de plusieurs expositions. Nous avions le même âge, des expériences différentes de la mer, mais le même respect pour le travail et l’expérience des marins pêcheurs.
Il décrivait avec des images fortes sa passion et les difficultés de son métier, la violence des rapports avec la mer. J’étais séduit par la radicalité de ses textes ; elle contrastait avec sa voix douce et posée. Il témoignait ainsi sur ces deux registres de son amour de la mer et de son métier. A la fois nomade et fidèle à son port d’attache, il avait les yeux grands ouverts sur d’autres horizons. Il aimait particulièrement rencontrer ses amis Amérindiens aux États-Unis. Ce n’est pas un hasard, car les pêcheurs sont les indigènes de la mer. Ils n’en sont pas propriétaires mais ils en dépendent pour vivre, au prix d’un travail passionnant mais éprouvant et plein d’aléas que les terriens ont du mal à comprendre.
Artiste, il aimait le cinéma et il fut l’un des premiers pêcheurs membres du jury. Comme il l’écrit dans son dernier texte, il n’avait : « Rien à foutre de la notoriété, rien à foutre de la postérité ». Il les mérite pourtant car il est un témoin rare, capable de nous faire comprendre l’expérience unique d’un pêcheur, sa dureté mais aussi sa beauté.

« Ses doigts gourds
Et ses muscles abrutis
Par des jours et des nuits
D’activité chtarbée
Des caps au large
Et retours essoufflés
Des virages des filages
Des levées nulles ou bonnes... »

Il est décédé d’un cancer en 2013.
Une telle voix nous manque aujourd’hui face à tous ceux qui façonnent un imaginaire qui ne peut que détourner la jeunesse d’un métier et d’un mode de vie pourtant essentiels pour notre bien-être.
Lui-même ne venait pas d’un milieu de pêcheur mais il y a trouvé son bonheur et il a su le partager.

Alain Le Sann

Le festival Pêcheurs du Monde lui a rendu hommage à Larmor Plage en présentant une belle exposition avec ses textes, des peintures de son ami Georges Le Bayon et des hommages originaux d’étudiants de l’école Estienne.
Il a reçu le prix Henri Queffélec en 2008 au Festival Livre et mer de Concarneau pour « Passe Ouest » suivi de « IKARIA LO 686070 » dont est extrait ce texte.

« Il est trois heures. Le port s’ébroue de son silence et nippe ses néons de ses premières écailles. Sous la criée 3, les côtiers débarquent et étalent leurs caisses de poissons brillants et de langoustines excitées par le remue-ménage naissant.
Au ponton, les équipages gagnent leur bord. Les lampes des passerelles et des projecteurs de pont s’allument successivement. Les moteurs sont lancés, ronronnent et fument paresseusement. L’heure d’une nouvelle partance a sonné.
Même si certains, encore engourdis de nuit, renâclent et ronchonnent en enjambant la lisse, en retrouvant les gestes de l’appareillage, leur humeur maussade rapidement s’évanouit. Pas le temps de s’écouter, s’appesantir sur quelque état d’âme foireux. A chaque fois c’est le même engouement, la même déglinguerie aventureuse qui supplante, estourbit tous relents et regrets de devoir tout quitter, le même élan de fierté combattive qui affriole les esprits lorsque les bosses sont larguées et les passes embouquées pour aller quêter au large les moments essentiels d’une existence intense qui n’appartient qu’à eux.
… Celui qui prend le cap à la mer ne sait jamais quand, ni même s’il reviendra. Seul l’Océan demeure maître de cette décision-là. Et c’est bien ainsi. Chacun, à son premier embarquement, a accepté une fois pour toutes la règle du jeu. Seuls ceux que la pétoche hantait trop âprement sont partis bafouiller leurs vies vers d’autres horizons moins braques. Les autres ont conclu le pacte de la fascination et ne le rompraient pour rien au monde. »

A voir un film sur Alain Jégou « le Chant des mers » de Christophe Rey ; 25’, 2011

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