La mer en débat : environnement, éolien en mer, activités maritimes et littoral Contribution de l’équipe collégiale de la Mission de la Mer – Stella Maris France au débat public

, par  BOUGUEON, Robert

La mission de la mer a publié cette contribution au débat public. https://www.debatpublic.fr/la-mer-en-debat.
La Mission de la mer est présidée par un pêcheur retraité Robert Bouguéon, ancien président du comité des pêches du Guilvinec puis du comité des pêches du Finistère.
Avis partagé sur le formulaire accessible par le lien ci-dessous : https://participer-la-mer-en-debat.cndp.fr/project/consultez-les-avis-sur-les-projets/collect/partagez-votre-avis-et-commentez-les-contributions-deja-en-ligne

La Mission de la Mer – Stella Maris France est un mouvement chrétien qui se donne pour but :
 Le bien-être spirituel, moral et social, dans le service fraternel des gens de mer de toutes nationalités et de leurs familles
 L’aide au fonctionnement d’organismes maritimes exerçant une activité culturelle, sociale, éducative ou cultuelle.
Elle rejoint dans ce travail toutes les Églises chrétiennes œuvrant dans le monde maritime.

L’équipe collégiale (équipe de direction) de notre mouvement n’a pas vocation a se prononcer sur le détail de chaque projet de planification maritime ouvert au débat public, qu’il s’agisse de projet éolien en mer, d’aire marine protégée ou de tout autre activité en mer ou sur le littoral.
Elle entend cependant se faire entendre par la commission du débat public sur les questions de méthodologie tant de l’organisation du débat lui-même que sur les modes de gouvernances, nationale, régionales ou locales qui en découleront.

Conformément à l’objet de notre mouvement, nous souhaitons en effet mettre en avant la place et l’avenir des populations qui vivent de la mer :

Notre propos se résume en ces quelques mots : la planification des espaces maritimes, des « Merritoires », ne peut se faire en excluant celles et ceux dont l’activité et l’existence dépend de ces espaces. La planification maritime doit tenir compte de la perception de leurs enjeux, doit tenir compte de leurs connaissances et de leur expérience, au-delà de leur difficulté, pour des raisons anthropologiques et culturelles, à prendre toute leur part à ces débats.

Notre mouvement s’est intéressé à la question de la mer en partage.

Cette réflexion nous amène au constat d’un véritable accaparement des mers, un véritable « colonialisme bleu » que nous déplorons : Pourquoi les gens de mer, les populations qui vivent de la mer se sentent-ils ainsi dépossédés de leur « merritoire » ?

Comment l’historiographie qualifie-t-elle, depuis la fin du XXe siècle, le processus qui conduisit plusieurs grandes puissances européennes, à partir de la renaissance et jusqu’au début du XXe siècle à s’approprier par la contrainte (et souvent par la violence) des territoires où vivaient jusqu’alors des populations autochtones, à s’accaparer leurs richesses et à marginaliser ces populations ?

Ce processus est sans hésitation nommé « colonialisme », dont nous peinons à trouver des aspects positifs (n’en déplaise au parlement français). C’est exactement ce terme qui convient pour définir ce que ressentent les populations qui vivent de la mer dans nos société moderne. Les marins pêcheurs français et européens ont fait ces dernières décennies d’intenses efforts pour sortir du cercle vicieux de la surexploitation des ressources halieutiques. La réduction de moitié de l’effort de pêche, ces 20 dernières années, les progrès de la sélectivité des engins de pêche portés par la politique commune des pêche (PCP) ont permis d’atteindre, en Europe le rendement maximum durable (RMD) pour une majorité des stocks de poissons. Des efforts sont encore nécessaires. Les pêcheurs en sont conscients et y sont prêts.

En dépit de ces efforts, ils se sentent à présent exclus de leurs « Merritoires », par la multiplication des mises en réserve de nombreux espaces en zones côtières, dédiés à des projets d’éoliennes en mer, d’activités extractives ou d’aires marines protégée. Ils sont de fait exclus de la planification et de la gouvernance des ces projets.

Notre réflexion, notre expérience partie des réalités de terrain nous conduisent a développer ici 4 points qui nous semblent fondamentaux :

Mer nourricière
• Mer, bien commun
• Mer menacée
• Populations maritimes en danger

La Mer nourricière : La mer produit 20 % des protéines animales consommées dans le monde.
Dans certains pays côtiers (à l’exemple du Sénégal) le poisson peut représenter jusqu’à 40 % des apports en protéines animales. Cette dimension, pourtant fondamentale à l’échelle de l’humanité, est malheureusement le plus souvent absente du débat en cours sur la planification maritime.

Mer, bien commun Pour notre mouvement, la Mer est un bien commun : Le partage, ne doit pas signifier l’accaparement et l’expulsion des communautés de pêcheurs.
Les biens communs (selon Elinor Ostrom), reposent sur trois piliers  :
• un bien qui est ouvert au partage,
• une communauté chargée de sa bonne gestion
• des règles de fonctionnement et de gouvernance de cette communauté.
Les communs sont des espaces, des pratiques et des services auto-organisés, sans devoir faire appel à la propriété comme outils de régulation.

La gouvernance de la Mer est donc un défi démocratique
Plus que des ressources ce sont aussi des territoires marins qui sont à gérer démocratiquement. Les communautés locales qui vivent de la mer doivent y être associées (pêcheurs, conchyliculteurs, etc.).
Nous plaidons pour un partage des usages en associant les pêcheurs et reconnaissant leurs droits et leurs compétences.
Des outils existent : à l’exemple du Parc Marin d’Iroise et son contre-exemple avec la gestion déséquilibrée de la réserve des Sept îles.
Nous plaidons pour la mise en place de parlements de la mer, qui associeraient les pêcheurs aux choix (éoliennes, AMP, etc.), pour planifier les transitions indispensables.

Reconnaître les savoirs des pêcheurs et non les mépriser
Les savoirs des pêcheurs ne sont pas uniquement négligés par les scientifiques à la pointe de la recherche halieutique, mais également par la plupart des décideurs et des organismes de gouvernance

Gérer les espaces marins sur la base des droits humains

 Nous appelons au respect des droits les plus faibles particulièrement dans les rapports Nord - Sud : en particulier en établissant des accords de pêche équitables ;
 Nous rejetons la marchandisation des droits de pêche : QIT,…
 Nous rejetons la privatisation des Merritoires
 Nous appelons à une répartition équitable des droits de pêche et rejetons leur monopolisation
 Nous appelons à reconnaître le droit des organisations de pêcheurs à être entendues dans toutes les instances, du niveau local au niveau international

Mouvement chrétien, nous puisons dans « Laudato Si » notre inspiration :
L’être humain n’est pas le « seigneur » de l’univers mais son « administrateur responsable » « Cela ne signifie pas que tous les êtres vivants sont égaux, ni ne retire à l’être humain sa valeur Particulière… Parfois on observe une obsession pour nier toute prééminence à la personne humaine, et il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que nous n’engageons pas pour Défendre l’égale dignité entre les êtres humains »
« L’environnement fait partie de ces biens que les mécanismes de marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate »

La mer est menacée
La pollution de la mer vient essentiellement de la terre (pollution chimique, macro-déchets et microplastiques). Les maux dont souffre la mer ne peuvent pas (tous) être attribués aux populations qui vivent de la mer.
Quelles sont les menaces ?
 Les menaces sur le plancton, base de la vie, sont les plus graves : zones d’anoxies, planctons toxiques, marées de toutes couleurs, etc
 Le réchauffement climatique, phénomènes de vagues de chaleurs exceptionnelles des eaux qui menacent des espèces, des coraux, des planctons, ils sont inéluctables
Et cela nous met au bord du gouffre et dans l’obligation de changer.

Restaurons la nature… Oui, mais laquelle ?
Depuis 1950 et surtout les années 70, la mise en place de mesures fortes contre la pollution a permis d’améliorer progressivement la qualité des eaux. Des efforts importants restent à faire et nous les encourageons sans réserve. Nous portons le soucis de la protection de la nature, mais nous refusons de souscrire à une conception antihumaniste de l’écologie qui mythifie un ré-ensauvagement de la mer, et qui nie toute dignité et toute place aux populations qui vivent de la Mer.
Restaurer la nature, restaurer les espaces maritimes doit conduire à réinscrire la place de l’Humain dans cette nature, dans un lien durable, et non pas à nier la place des femmes et des hommes dans cette nature, au seul profit des fous de bassan ou des phoques qui sont l’objet de l’intérêt de beaucoup d’associations de protection de l’environnement.

La pêche est désormais gravement menacée par les ONGE :

La pêche est devenue la cible principale des ONGE, souvent encouragées par la Commission européenne.
Ces ONGE parfois soutenues financièrement par des fondations liées à des multinationales responsables du déni du réchauffement, témoignent d’une incapacité véritablement anthropologique de nos sociétés modernes à concevoir que l’activité des dernières populations de chasseurs cueilleurs puissent être durable. Ces activités d’exploitation des ressources halieutiques existent cependant depuis la présence des premiers hommes sur la terre… L’atteinte du RMD (rendement maximum durable) pour de nombreuses espèces marines en Europe, prouvent que ces activités peuvent être durable.
Ces efforts ne pas justement reconnu. Par exemple la Convention Citoyenne (sur le climat) proposait "d’éviter de pêcher les poissons dans leur milieu naturel", ce qui est un non sens, compte tenu des efforts de bonne gestion et du défi de la production de protéines de qualité, pour nourrir les populations.

La mer colonisée : les pêcheurs expulsés
Par la généralisation des Réserves et AMP : politique 30x30
Les ONGE ont pour la plupart une vision totalement irréaliste de la pêche, comme en témoigne la définition de la pêche dite « industrielle » Selon l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature ) :
« ...dans le contexte des aires protégées, on définit par « pêche industrielle » celle pratiquée par des navires motorisés (> longueur de 12m x largeur de 6m), disposant d’une capacité de >50 kg de prises/voyage, (…) la pêche utilisant des dispositifs de chalut traînés ou remorqués le long des fonds marins ou de la colonne d’eau, et la pêche utilisant des sennes coulissantes et des grandes palangres, peuvent être définies comme pêche industrielle…
Congrès mondial de la nature 2020 de l’UICN, lors de sa session à Marseille, France

De nombreux navires de plaisance, en particulier destinés à la pêche sportive, entreraient d’ailleurs dans cette définition de la pêche industrielle.

Et par la Généralisation des champs éoliens.
Beaucoup de pêcheurs reconnaissent la nécessité de développer les énergies renouvelable. Ils réclament simplement d’être associés aux processus décisionnels sur l’implantation des champs éoliens et sur les règles du maintien d’activité de pêche, au sein de ces champs. Il faut prendre au sérieux les compétences des pêcheurs et leur connaissance de la mer

Pour la Mission de la Mer, le 21 avril 2024, Robert Bouguéon, Président

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