Point de vue sur la pêche au Mozambique Pêche artisanale, pêche industrielle

, par  SCHMITT Clément

Clément Schmitt travaille pour une Ong d’Aide au Développement, en zone rurale, sur la côte nord du Mozambique. Sa position lui offre un point de vue privilégié sur les pratiques de pêche artisanale à l’embouchure du fleuve Mécuburi.

Pêche artisanale

Notre base de vie à Memba offre un point de vue de proximité avec la pêche artisanale pratiquée le long de la côte du nord-est du Mozambique. Les eaux du canal du Mozambique restent poissonneuses et la ressource halieutique est variée du fait de la diversité des fonds et du découpage côtier : multiples baies et caps, fosses profondes, récifs coralliens et lagons…

D’un autre côté, dans ces régions côtières l’agriculture ne permet pas toujours un apport protéique suffisant : on y cultive principalement du manioc, agrémenté dans une moindre mesure de haricots, d’arachides et de maïs et d’un tout petit peu d’élevage vivrier (chèvres, poules, canards et très peu de cochons, vaches ou moutons).
Ainsi, le poisson est essentiel pour l’alimentation de ces populations en croissance rapide. La demande est importante, que ce soit dans les villages ou à la ville. La demande urbaine a d’ailleurs un impact sur le coût du poisson dans les villages côtiers comme Memba, pourtant situé à déjà 2 heures de route de la ville. Avec le développement de Nacala ces 5 dernières années, le prix du poisson à Memba a plus que doublé.
Pour l’instant la ressource ne semble pas épuisée malgré cette demande en augmentation constante.

Les moyens de pêche dans la région de Memba restent artisanaux et non motorisés, à partir d’embarcations de tailles variables très majoritairement en bois : depuis les pirogues monoxyles d’une personne (avec ou sans balanciers), jusqu’aux grandes barques à voiles latines pouvant transporter 10 à 15 personnes et voyager depuis Memba jusqu’à Pemba voire la Tanzanie. La fabrication des bateaux se fait avec le bois local par des charpentiers munis également d’outils artisanaux. Les voiles sont constituées de grands draps ou grandes bâches plastiques. Les grands filets ont des mailles assez larges, mais les petits filets emmenés avec les petites pirogues sont souvent des moustiquaires qui ne laissent aucune chance aux petits alevins.

Autour de Memba, se pratique la pêche au large (à l’extérieur de la baie), la pêche près des zones rocheuses (à la ligne ou à la chasse sous-marine), la pêche au filet en bord de côte et la pêche à pied à marée basse.
La pêche au large ou dans les zones rocheuses vise les gros poissons et crustacés, dont les espèces varient selon la saison, et la pêche au filet en bord de côte cible les « peixinos » petits poissons ou alevins, et la pêche à pied certains crustacés.

Notre maison est située exactement au seul endroit de la plage de Memba où les fonds marins s’approfondissent rapidement, tout en étant bordés de part et d’autre par des zones rocheuses. C’est ainsi que cette zone concentre les petits poissons qui grandissent au fond de la baie, et par voie de conséquence, concentre les pêcheurs.
Ces derniers sont munis de barques de 4 à 5 m de long, menées à la rame et à la perche. Chaque équipage, uniquement masculin, est constitué d’environ 8 personnes. Le filet peut atteindre plusieurs dizaines de long. Il est mis en place à l’aide de la barque selon une grande boucle d’environ 300 à 400 m de diamètre que l’on distingue grâce aux flotteurs. Les pêcheurs disposent le filet en ramant selon un rythme précis grâce aux chants. Une fois l’arc de cercle réalisé, le filet est tiré, soit du bateau même, soit directement depuis la plage. Lorsque le filet est tiré depuis le bateau, ce dernier est amarré au rivage de façon à ne pas dériver et à faire contrepoids du flan opposé duquel est relevé le filet. Lorsque le filet est relevé depuis la plage, une extrémité est ancrée à un arbre ou un rocher, et l’autre est tirée par l’équipe de pêcheurs. La vente des peixinos est réalisée directement sur la plage, à des femmes ou hommes, qui iront le revendre au marché ou le consommer directement.

Il peut y avoir, selon les jours plus ou moins propices à la concentration poisson, jusqu’à 5 ou 6 équipages qui font leurs boucles et tirent le filet plusieurs fois, généralement le matin lorsque la mer est encore calme, ou parfois l’après-midi, notamment les jours de pluie sans vent.
Les peixinos attireraient parfois de gros poissons, voire des requins, notamment entre juin et août. Nous verrons bien si les pêcheurs continuent à cette période de l’année à rejoindre leur barque au mouillage à la nage ! Toujours est-il que cela nous offre l’opportunité d’entendre des histoires de requins ou poissons énormes, capables d’emporter et engloutir les hommes, dont certains arriveraient à ressortir vivants du ventre de l’animal !

Évidemment, la pêche intensive bien qu’artisanale des petits poissons doit avoir un impact non négligeable sur la ressource, d’autant que les alevins n’auront pas eu le temps de grossir et de se reproduire. Certaines pratiques, durables lorsque la population est peu dense, ne le sont bien souvent plus lorsqu’elle augmente rapidement.

Mais cette pêche nous offre aussi certaines nuits des spectacles magnifiques, lorsque toutes les pirogues sont de sortie avec leurs lumières qui donnent l’impression d’avoir les lumières de la ville sur la mer.

Pêche industrielle

La pêche industrielle existe également au Mozambique, depuis les ports d’Angoche, Vilanculos ou Maputo.
Lors de notre séjour à Maputo début janvier, nous avons pu visiter le port de pêche et voir quelques gros chalutiers rouillés ainsi que de plus petites embarcations pour la pose de casiers ou de lignes. Nous avons vu une glacière fonctionnelle et visité un marché aux poissons tout neuf, financé par le Japon.
C’est l’occasion de rappeler une affaire qui fait débat entre la France et le Mozambique :
Empresa Moçambicana de Atum (EMATUM) est une compagnie mozambicaine pour la pêche aux thons, à capitaux majoritairement publics, créée en août 2013. En septembre 2013, les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN) annoncent une commande de la part d’EMATUM de 30 bateaux : 24 bateaux de pêche et 6 navires militaires (3 patrouilleurs et 3 intercepteurs).
La création d’EMATUM et cet achat de bateaux répondraient à la volonté de l’État de s’impliquer plus directement dans la pêche au thon, en créant une flottille mozambicaine. En effet, selon le ministère des Pêches, en 2012, seul un thonier naviguait sous pavillon mozambicain parmi les bateaux licenciés, et ses captures, environ cent tonnes, étaient marginales par rapport aux 2140 tonnes récupérées par la pêche artisanale. Le bénéfice de la pêche industrielle au Mozambique provenait donc uniquement de la vente de licences à des flottilles étrangères, soit deux millions d’euros seulement. Ainsi, un nouveau plan stratégique pour le développement de la pêche au thon avait été adopté, prévoyant l’introduction de 130 thoniers sur la période 2008-2028. Enfin, la piraterie le long des côtes dans le Canal du Mozambique constituerait un phénomène de plus en plus préoccupant pouvant justifier la commande de bateaux de défense.
Le contrat des 30 bateaux a été évalué à 200 millions d’euros pour la CMN. Il faut noter que les CMN sont spécialisées dans les embarcations militaires et n’ont pas construit de navire pour la pêche au thon depuis 1989.
En septembre-octobre 2013, EMATUM verse entre 795 et 835 millions de dollars sur le compte de la société Abu Dhabi Mar, la maison mère des chantiers CMN de Cherbourg, dont Iskandar Safa est le PDG. L’homme est revenu sur le devant de la scène française en rachetant, en avril 2015, l’hebdomadaire de la droite conservatrice, Valeurs actuelles.
La différence entre le versement d’environ 800 millions de dollars pour un contrat de 200 millions d’euros est liée au fait qu’il s’agit d’un contrat plus large impliquant Abu Dhabi Mar. Les CMN auraient construit une partie des bateaux et Abu Dhabi le reste : coques, moteurs et électronique.
En outre, le problème pour l’Etat Mozambicain est l’emprunt de 850 millions de dollars auprès du Crédit Suisse et de la banque russe VTB Capital qu’il faudra rembourser avec intérêts et qui représenteraient aujourd’hui 53% de la dette extérieur du pays.
Les 24 bateaux de pêche, dont la dernière tranche a été livrée à Maputo en mai 2015, ont coûté un total de 535 millions de dollars.
Or ces bateaux restent la plupart du temps au port et EMATUM enregistre actuellement des pertes. La question de l’objectif de ce contrat serait ainsi de financer l’achat d’armement alors que le pays tente de bénéficier par ailleurs de l’aide internationale.
Les patrouilleurs, eux, sont en cours de livraison ce mois de janvier 2016 au port de Pemba, dans la province septentrionale de Capo Delgado.
C’est en effet dans la région de Pemba que d’immenses réserves de gaz sont sur le point d’être exploitées en offshore. Dans ce contexte, la sécurité maritime, aux yeux de l’ancien gouvernement du Mozambique à l’origine du contrat, n’aurait pas de prix.
Il faut noter que La France est le seul pays européen, par le département d’outre-mer de Mayotte et les Îles Eparses, à être territorialement voisin du Mozambique, et ne peut rester totalement indifférente aux richesses pétrolières et gazières du canal du Mozambique.
Pour les sources et pour en savoir plus sur ce sujet, voici quelques liens vers des articles en langue française :
IINA News – 3 juin 2015
Le Mozambicain – avril 2015
Ouest-France – 7 juillet 2015
Le Marin – 17 juillet 2015
Le Monde – 17 juillet 2015
CAPE-CFFA – 31 août 2015
Jeune Afrique – 16 décembre 2015
Le Monde – 8 janvier 2016

Navigation