Océans, la voix des invisibles : dénoncer et résister.

, par  LE SANN Alain

Le film "Océans, la voix des invisibles" (Documentaire de 56 mn de Mathilde Jounot., 2016) a été projeté en avant première à Lorient, à l’occasion du festival de films "Pêcheurs du monde" devant un large public, interpellé par le propos.

Mathilde Jounot, lors de l’avant première, le16 mars 2016

Mathilde Jounot, journaliste et réalisatrice a le culot de dénoncer le rôle joué par de grandes ONG comme The Nature Conservancy (TNC), WWF, associées à des banques d’affaires et des multinationales, pour prendre le contrôle des Océans. Ce sont des vaches sacrées qui savent cacher leurs intérêts derrière les bons sentiments, mais les pêcheurs artisans du monde entier ne sont pas dupes ; les deux forums se sont retrouvés à Paris lors de la COP 21 pour le dire et c’est cela qui donne de la force au film de Mathilde Jounot. Elle s’est aussi appuyée sur la colère de son ami Robert Bouguéon, le pêcheur breton qu’elle a rencontré en 2015 dans le jury du festival « Pêcheurs du monde » et lui a donné l’idée d’enquêter sur le rôle joué par les grandes ONGE qui contrôlent le discours et les images sur les océans. Elle a voulu savoir quels étaient les raisons et les objectifs de la mobilisation médiatique autour de l’avenir des océans.

Il faut effectivement du courage, ou de l’inconscience, pour mettre en cause les grandes ONGE adulées par les médias qui reprennent sans sourciller les diagnostics et les propositions de ces lobbies qui se prétendent représentants de la société civile. Quand elle a présenté son projet devant les financeurs que sont les télévisions et le Centre National du Cinéma, elle a immédiatement, et sans discussion, essuyé de nets refus, alors qu’elle avait donné la preuve de ses capacités dans ses précédents documentaires. Heureusement, elle n’a pas renoncé et elle a pu bénéficier de l’appui des chaînes de télévision locales bretonnes et elle a lancé un appel au financement participatif qui a connu le succès. L’association « Mission de la Mer » (Apostolatus Maris en France), a également participé à la production. Avec peu de moyens, elle a pu malgré tout mener à bien son projet.

Le cœur du documentaire de 56 minutes se situe dans divers lieux de la COP 21 à Paris en décembre 2015. Elle nous dévoile ainsi les vrais enjeux de cette conférence pour les pêcheurs, car c’est la première fois que les océans sont évoqués dans une conférence sur les changements climatiques. On y découvre Maria Damanaki, l’ancienne commissaire européenne à la pêche, reconvertie en dirigeante de TNC où elle est en charge des océans. Elle y vante le tourisme, la mise en réserves de grandes zones marines et en appelle clairement à la financiarisation de la conservation avec les banques d’affaires et la Banque Mondiale. Elle montre en exemple le cas des Seychelles où TNC a pris le contrôle d’une immense réserve intégrale. Les pêcheurs artisans des Seychelles n’ont pas été consultés et se trouvent exclus de leurs zones de pêche. Avec cet exemple, décrypté par un juriste et universitaire, on comprend parfaitement l’objectif de ces puissances financières qui est d’affaiblir le rôle des Etats et des citoyens au bénéfice des « Parties Prenantes » que sont les multinationales, les grandes ONGE et les organisations internationales. En premier lieu, les grands perdants de ce processus sont les pêcheurs artisans dépossédés de leurs droits. Ceux qui veulent tout simplement poser des questions aux représentants des « Parties prenantes » sont écartés sans ménagement.

Tout près de là, dans un sous-sol obscur, au milieu d’une jeunesse contestataire inventive et exubérante, les pêcheurs artisans des deux forums dénoncent cette privatisation des océans par la voix de leurs représentants Riza Damanik et Herman Kumara. Plusieurs femmes comme Sherry Pictou et Margaret Nakato, également responsables des forums, s’expriment avec force pour demander le respect des droits humains. Aucun représentant des grandes ONGE qui prétendent défendre les pêcheurs n’est présent, leur discours serait d’ailleurs totalement déconsidéré dans un tel contexte. Les pêcheurs artisans sont bien au cœur de la résistance à la privatisation des océans et le témoignage vigoureux d’un jeune pêcheur sud-africain présent à Paris le montre.

Le festival « Pêcheurs du monde », depuis sa création en 2008, a présenté plusieurs centaines de films consacrés aux pêcheurs du monde entier. Plusieurs films, dont ceux produits par ICSF, ont montré comment la création des réserves marines, sans concertation avec les communautés de pêcheurs, entraînait leur exclusion. Pourtant jamais un film comme celui de Mathilde Jounot n’avait montré la stratégie globale mise en œuvre par ces ONGE, en lien avec les banques d’affaires, les multinationales et les institutions internationales. Les océans sont leur grand champ de manœuvre du siècle, ils sont la solution aux problèmes de nos sociétés selon Maria Damanaki. C’est aussi ce que dit son successeur à la tête de la pêche dans l’Union Européenne, Karmenu Vella ; pour lui « le 21ème siècle sera bleu ». On peut surtout craindre qu’on transfère les problèmes des continents sur les océans. La démonstration de Mathilde Jounot est éclairante et son film mérite une large diffusion au-delà du public francophone. Elle prépare une version anglaise bientôt disponible.

Les spectateurs présents lors de l’avant-première au festival ont été bouleversés par le film. Ils ont pris « un coup de massue » selon le Journal « Le Marin » en découvrant comment de grosses ONG environnementalistes deviennent des acteurs financiers de la gouvernance mondiale des océans, marginalisant les Etats, les citoyens et les pêcheurs. Un jeune lycéen décrit « une soirée fulgurante » où le film « fait l’effet d’une gifle » et provoque « une prise de conscience générale ». Malgré tout, le film reste optimiste devant les capacités de résistance des pêcheurs artisans du monde entier qui veulent rester maîtres de leur avenir. Les pêcheurs présents se disent « soulagés d’être enfin entendus ».
Alain Le Sann

Océans, la voix des invisibles.
Documentaire de 56 mn de Mathilde Jounot., 2016.

Français > https://vimeo.com/ondemand/oceanslavoix (en VOD pour 1€)
Anglais (VOST) > https://vimeo.com/ondemand/oceansthevoice

http://www.lemarin.fr/secteurs-activites/environnement/24778-oceans-la-voix-des-invisibles-un-film-edifiant
Pour prendre contact et organiser une projection http://portfolio-production.com/contact
Version anglaise de cet article dans le document joint

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