Houat : des homards, des hommes et des femmes.

, par  LE SANN Alain

Dans les années 70, l’île de Houat, au large du Morbihan et de Quiberon, est devenue l’un des lieux mythiques de la pêche bretonne, attirant des visiteurs du monde entier, des artistes, des journalistes et photographes comme Roger Picq, de Paris-Match. Comment peut-on expliquer un tel engouement ? Comment expliquer la vitalité exceptionnelle d’une petite communauté de pêcheurs sur une île minuscule ?

A l’occasion de la publication du livre « Pêcheurs bretons en quête d’avenir » [1], nous avons voulu faire la première présentation publique de l’ouvrage sur cette île. Suivie par la projection de deux films, « Océans, la voix des invisibles » de Mathilde Jounot et « A contre-courant, l’estuaire » de Jeannine Archimbaud et Alban Guillou, la présentation fut un grand succès. Elle permit à des acteurs de l’aventure (Pierre Mollo et Jo Le Hyaric) et aux pêcheurs actifs et retraités d’évoquer avec émotion l’élaboration de la lettre de 1972 sur la « Ceinture bleue », dans le lieu même où elle fut conçue.
Aujourd’hui, la situation de la pêche sur l’île est fort différente : il reste peu de jeunes, peu de bateaux, guère plus de 5 alors qu’il y en avait 45 avec 90 pêcheurs dans les années 70. Comment expliquer un tel effondrement en 50 ans ? Il est trop simple d’évoquer la crise des ressources et la dégradation du milieu. Celle-ci est ressentie par les pêcheurs qui subissent les effets catastrophiques des lâchers du barrage d’Arzal. Pour Jo Le Hyaric, il faut d’abord regarder du côté de l’évolution de la communauté îlienne : l’évolution de la pêche est d’abord une affaire d’hommes… et de femmes.

Houat n’était plus une île

Si on veut comprendre la dynamique de cette époque des années 70, il faut se souvenir que, dans l’après-mai 68, l’île a vécu le choc d’une ouverture. Cela s’est traduit par exemple dans le changement dans les noms des bateaux. Autrefois religieux, ils sont bretonnisés sous l’influence du « revival celtique » symbolisé par Les chanteurs Servat ou Alan Stivell. Si le choc a été vivifiant, c’est parce qu’il a été préparé par une dynamique interne à la communauté îlienne. Pour comprendre celle-ci, il faut remonter à un événement dramatique : la destruction du port, de sa digue et de 28 bateaux par une tempête, en 1951. La reconstruction d’un port abrité et confortable coûtait très cher. Malgré cela, des élus réussirent à imposer cette décision et en 1955, Houat bénéficiait d’un port confortable et surdimensionné pour les seuls pêcheurs, également conçu comme un abri pour d’autres bateaux en cas de difficultés. Quelque temps auparavant, on parlait d’un déplacement forcé de la population sur le continent… Cette décision a créé un climat de confiance extraordinaire. 30 bateaux neufs ont été commandés, la pêche était bonne et un bateau neuf était remboursé en deux ans et demi. Les gens y croyaient et cela explique la force de la génération qui a suivi. Il y avait 6 sardiniers et il fallait 15 hommes par bateau pour manœuvrer la senne. Il fallut donc chercher des matelots ailleurs. Il fallait aussi se former à cette nouvelle technique avec des marins du Guilvinec. Cette mutation technique a entraîné une intensification des échanges entre pêcheurs de Douarnenez à Saint Jean de Luz. L’île a été transformée par cette ouverture et ces échanges qui ont créé une avidité de connaissances. Houat n’est pas en bonne santé quand elle se ferme.
Ce dynamisme s’inscrit aussi dans un contexte de boom démographique. Houat connait en 1959 l’apogée de la natalité avec 29 naissances. Pourtant on voit déjà que les jeunes filles commencent à partir à la recherche de travail. Après mai 68, ces départs sont compensés par l’arrivée de jeunes femmes extérieures à l’île et au monde de la pêche.

Réagir aux crises

Ce dynamisme permet de réagir aux crises des ressources ou des marchés. La sardine est irrégulière et les pêcheurs doivent faire face à des importations qui les concurrencent pour les conserveries. Face à la baisse des marchés, pour limiter la surproduction, ils ont instauré des quotas par homme de 130 à 150 kg par jour. En cas de grosse pêche, on appelait les bateaux voisins. Mais cette solidarité n’a pas résisté à la volonté des « meilleurs pêcheurs » de ne plus partager. Il y eut aussi des crises liées à la surproduction d’araignées. Ces situations difficiles ont alimenté d’intenses réflexions et des échanges réguliers avec les pêcheurs du Croisic et de Gâvres confrontés à des problèmes semblables. Des apports extérieurs enrichissent les débats et les propositions, notamment ceux du CEASM (Centre d’études et d’action sociale maritime), issu de la mouvance du père Lebret. Ses animateurs mettent en place des formations à la gestion, indispensables pour accéder aux prêts du Crédit Maritime. Le CEASM prépare aussi les pêcheurs à la mise en place de l’Europe des pêches en organisant un voyage aux Pays-Bas. Ces réflexions aboutissent à une tentative de coopérative avec UNICOMA et à la mise en place d’une caisse de solidarité pour les péris en mer. Surtout, en s’inspirant de l’initiative des pêcheurs de Gâvres [2] et du Croisic, ils créent un groupement de pêcheurs. Ces initiatives nécessitent de nombreuses réunions avec de longs débats où les matelots sont aussi fortement impliqués. Les problèmes d’emploi des femmes sont également pris en compte et amènent la création d’une usine de crevettes. Il y a donc une vie collective intense qui amène de l’animation permanente y compris durant les mois d’hiver où est organisée une fête de la crevette avec un Fest Noz mené par un groupe de musiciens très connus dans la région.
Cette vie collective, l’appui de personnes extérieures permettent de réagir aux crises. Ainsi, lorsque se dessine la perspective de création d’une marina avec un lotissement pour touristes de 66 maisons, la réaction de rejet est immédiate. Mais ils ne se contentent pas de protester, ils veulent maîtriser leur avenir.

L’écloserie et la ceinture bleue

L’arrivée sur l’île de Pierre Mollo et Jean Dorven, porteurs d’une proposition de création d’une écloserie de homards, va permettre d’élaborer une vision globale de l’avenir, alternative aux projets touristiques. Bénévolement, les pêcheurs vont construire de leurs mains les bâtiments de l’écloserie. Ils vont aussi s’engager dans de longues discussions qui vont déboucher sur la publication d’une lettre ouverte proposant la création d’une « ceinture bleue » permettant à la fois la protection des milieux littoraux et des ressources, la promotion d’activités aquacoles, en particulier pour le repeuplement, et une pêche de plaisance contrôlée. Cette lettre aura un large écho et va attirer l’attention sur l’île, y compris de la part de visiteurs étrangers.
Pourtant tout n’est pas simple, la gestion du groupement est mauvaise. Jo Le Hyaric, pêcheur de l’île, un temps retiré à Etel, est rappelé pour mettre en place une gestion rigoureuse. Il réussit sa mission qu’il arrête en 1979 pour s’engager dans des missions de coopération, en particulier en Casamance, au Sénégal. Il revient à la retraite vivre sur son île. Toute une génération de pêcheurs a pu faire vivre l’île et la pêche pendant plusieurs dizaines d’années.
Aujourd’hui, si la pêche s’est considérablement affaiblie à Houat, malgré des investissements importants pour assurer sa viabilité, ce n’est pas seulement à cause d’une dégradation des ressources et du milieu. Les homards foisonnent d’ailleurs, grâce sans doute aux efforts de repeuplement, pourtant interrompus faute de financements. C’est la dynamique communautaire qui ne fonctionne plus. L’écloserie a été reprise par l’industriel Yves Rocher pour produire du phytoplancton pour ses produits de beauté. Il a créé un musée, mais il a aussi accaparé et effacé une histoire. Le musée n’est pas sous contrôle des pêcheurs et des îliens.

La fuite des jeunes.

Pour les jeunes, et notamment les jeunes femmes, l’avenir est ailleurs et les derniers jeunes pêcheurs qui s’accrochent à leur île, doivent souvent vivre sur le continent pour rejoindre leur femme ou leur compagne, ce qui accélère la crise démographique, au point de mettre en péril la survie de l’école. La vie devient difficile en hiver, en dehors des week-end où la vie revient, mais jusqu’à quand sera-t-il possible de rester dans une maison dont le prix devient inaccessible et intransmissible face à la pression de la demande touristique ?

Les ressources ont toujours fluctué, comme les marchés, et les tempêtes font partie de la vie des îles et de leur communauté. Ces phénomènes ne menacent pas leur survie si elles ont la force de réagir en s’appuyant sur la richesse de leurs relations avec l’extérieur et les capacités de résilience de leur milieu. Une fois vidée de ses forces, il est difficile de la faire renaître. Les homards que les pêcheurs houatais ont reproduits sont aujourd’hui abondants sur toute la côte. Les pêcheurs amateurs et retraités en bénéficient, mais cela ne suffit pas à faire vivre une communauté dont la vie s’étiole, après l’effervescence des mois d’été. Aujourd’hui d’autres pêcheurs ont repris le flambeau des Houatais pour restaurer les stocks de langoustes rouges. On voit déjà les premiers signes d’un renouveau de cette ressource. La question se pose pour l’avenir, à qui bénéficiera–t-elle ? Aux retraités qui viennent finir leurs jours sur la côte ? Aux amateurs venant passer des week-end et quelques semaines en été ? Aux futurs pêcheurs qui tireront les bénéfices des efforts des pêcheurs d’aujourd’hui ? L’avenir de la pêche est entre leurs mains.

Alain Le Sann
A partir d’une interview de Jo Le Hyaric.

[1- Sous la direction d’Alain LE SANN, aux éditions Skol Vreizh, 2016, 136p, 12€

[2Jean BREUREC, Bourlingueur, éd Skol Vreizh, 2004, 170p.

Navigation