Les « Bergers de la mer » : Pourquoi non !? Et quoi alors ? Ceci n’est pas qu’une critique détaillée de l’omnipotence d’une certaine fondation américaine, c’est aussi et surtout une ode à l’engagement citoyen réel, concret et efficient...

Cet article coup de poing a été rédigé par un ancien pêcheur et animateur d’une association environnementale qui a été confronté à l’arrivée de grosses ONG environnementalistes sur son terrain. Il est donc le résultat d’une expérience vécue qui donne à réfléchir sur les pratiques des BINGOs… et de certains journalistes.

1 – Stratégie d’embrigadement et culte de la personnalité

- Le jeu des symboles : mon pirate ce héros...
C’est l’histoire du retour de Walt et d’Hollywood par la porte de la sang-siblerie, où l’on joue à fond la carte (de l’image) du bon héros, du dernier des héros, du héros rebelle contre des vrais méchants. Mais des méchants qui sont loin, très loin sur l’océan, loin sur leurs gros bateaux rouillés ou sur leurs petites îles isolées et froides... On va quand même pas casser des gens sympas et rigolards qui vivent sous les cocotiers ! On va quand même pas s’attaquer non plus à des vrais sujets beaucoup plus « compliqués » et s’en prendre à ceux qui nourrissent la réalisation du film en question...
De toute façon le vrai héros va loin, là où personne ne peut aller à part lui... Comme ça il maintient bien son image de super-bon pirate, le héros, et il est peinard, là-bas, sur son (ses) gros bateau(x)... Pour jouir de son trésor.
- Le ciblage des populations
Mais qui croira à ce néo-mythe ? Des jeunes ! Des jeunes qui cherchent à se révolter (comme beaucoup de jeunes non ?), des jeunes en mal d’un super-papy. Et puis des un peu moins jeunes aussi, des néo-bios qui voudraient croire encore que la vie du monde c’est comme au cinéma : un bon héros, et voilà, sauvées les baleines !
Alors, la stratégie est rodée : on va recruter sur les festivals de jeun’s, sur les « réseaux sociaux » de jeun’s, on cherche des jeunes qui ont des bonnes dégaines de rebelles (mais pas trop) et on recrute des recruteurs un peu plus vieux, un peu plus sérieux qui vont jouer au jeu vidéo, avec les enfants, les ados... pour péter les méchants rafiots ! Et on met les moyens, et les couleurs... Non, « La » couleur, celle des vrais rebelles : le noir. Le noir de la déprime de l’ado (de la burka.... Et du pétrole aussi...), du noir avec au milieu, dans la lumière, le portrait et le livre (même pas cher) du super-bon-pirate-héros.
- Le culte du Polo
Alors oui, au milieu, il y a le bon super-papy, celui qu’est resté jeun’s grâce à son éééénorme engagement pour sauver la planète les baleines, et qui a terrrrriblement besoin de plein d’argent et de (beaux) jeunes pour affronter les « vrais méchants ». On en a vu des gourous... Mais là, un qui joue sur des ressorts aussi basiques pour soigner son petit problème d’ego... Alors, oui peut- être que le monde de la com et les faiblesses médiatiques conduisent à devoir « incarner » un combat, mais quand ça tourne à ce point au culte de la personnalité... ?

2 - Détournement et accaparement du débat

- Ultra-com
Tous les moyens sont donc bons, tant que les règles de base sont suivies : le logo, et la tête à Polo. Et il faut être là, au moment où il faut, s’exposer avec les bonnes personnes, et occuper le terrain avec un max de moyens pour poser l’image partout où on le pourra. Les meilleurs communicants seront les « artistes », les chanteurs à l’image rebelle en mesure de recruter des jeun’s et de pousser un peu plus loin l’image du héros et propager « la bonne parole »... Hommes-sandwichs pour un papy super-héros de jeu vidéo... L’aboutissement d’une carrière ?
- Focalisation trompeuse et simplification
Le jeu du point de fuite : on va « s’engager et se battre » pour des causes lointaines, perçues uniquement par des prismes intermédiaires, mais « tellement importantes ». Comme ça on regarde au loin et on a ce sentiment, tellement bon il est vrai, d’avancer ensemble dans la même direction.
Sauver les océans ? Depuis l’océan... ? avec des « héros-délégués » auto- proclamés pour le faire... Mais les problèmes des océans, viennent surtout de la terre, non ? Et si l’on peut entendre la logique de com d’espèce emblématique, ou la logique scientifique d’espèce indicatrice, n’est-ce pas un peu trop simple tout ça ? Sauver les baleines c’est sauver les océans... pas faux. Mais on n’a pas passé des heures à écouter nos profs de SVT pour s’entendre dire des trucs aussi simplistes... Pourquoi résumer la place de l’homme sur la planète-océan à une lutte entre des bons et des méchants ? L’humanité est (heureusement) bien plus nuancée que ça. Et les oppositions favorisent surtout... les radicalisations !
Certains aspects de l’actualité nous le confirment un peu, non ?
D’autant que ces oppositions sont aussi devenues le moyen le plus efficace, grâce à l’ultra-com des uns, d’affiner pour les autres leurs stratégies d’écran de fumée, de green/blue washing, de lobbying mieux « ciblé »...
Et simplifier ainsi, c’est détourner l’attention des problèmes de base : On focalise bien et on oublie le reste... C’est un peu comme si on tuait quelques moustiques à la bombe insecticide, en se disant que ça pourrait soigner le palud dans le monde. Pendant ce temps, on combat les méchants avec des outils de méchants... la guerre quoi ! La guerre comme solution aux problèmes des océans...
- Offre médiatique prémâchée
(Air connu) Toutes les écoles de com(merce) et de journiaisisme (pardon), l’apprennent bien : tout est dans le savoir-faire du commu-niqué (encore pardon). La recette est là aussi appliquée dans tous ses plus gros traits : bien préparer et bien maîtriser la com... en servant à table. Prêt à copier-coller.
- « Je » représente...
Après tout, pourquoi laisser aux gens le soin d’exprimer par eux-mêmes leurs révoltes, leurs envies de changements ? L’écologie, c’est comme le reste, c’est politique : un-e qui cause, les autres qui suivent, votent pour elle-lui et attendent de l’action. Ha merde, mais ça c’est la démocratie... c’est chiant.
Vaut mieux faire comme ça : un qui cause, d’autres qui payent et regardent, béats, les « actions » sur entube. Alors comme ça le grand « Je » représente pleins de gens et il peut causer, en leur nom, partout.

Est-ce le seul moyen de défendre, de protéger, de proclamer son amour pour la nature ? N’y-a-t-il qu’ainsi, en utilisant des porte-paroles à l’aura mondiale, que l’on peut changer le cours des choses ? En fait, n’est-ce pas juste surtout un bon moyen de croire que... D’espérer que... Enfin... Va-z-y Polo, t’es notre héros, merde ! Qu’est-ce qu’on ferait sans toi ?

3 – Accaparement de moyens financiers et humains

- « Facilités de paiement »
Financer, être donateur n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui : par le droit (le privilège) de porter sur soi le logo de l’organisation (t-shirt et autres supports- sandwich), par le don en liquide, en chèque, en CB, en virement, sur internet... Et pour les riches, ça allège leurs impôts. C’est à dire leur participation financière à la collectivité. On donne à Polo pour qu’il fasse tourner ses bateaux, plutôt que de s’faire taxer pour que des cons de pauvres aient droit à un hosto.
- La vraie-fausse adhésion
Bon là, c’est un peu tordu : en France on sait pas trop ce que c’est une ONG. En termes de statuts, les cartes sont bien brouillées... En terme de gouvernance « type asso loi 1901 »... On en est loin (la branche France est de statut asso loi 1901 – La maison mère est une fondation de droit américain). Dans ce genre de machinerie, on est soit donateur, soit volontaire (heu, et adhérent, on peut ?)... Tu veux en savoir plus ? Va donc voir sur le site (version fr) du machin en question et télécharge le formulaire de volontariat à terre (ou en mer...), tu vas rigoler !

- A moi petites brebis...
Et donc, pour faire tourner cette machinerie, il faut des êtres dévoués, des volontaires assouvis (cf formulaire) que l’on pourra maintenir dans un état d’hébétude sans cesse entretenu... En jouant entre fierté d’appartenance et grands espaces (et surtout grandes bêtes) sauvages à sauver. Un état hypnotique, où l’organisation peut tout faire faire à ces brebis enrôlées... jusqu’à la mort ! Heu... oui, jusqu’à la mort... c’est Polo qui l’a dit.

4 – Amis et partenaires...

- Des grosses tunes !
Bon, les tunes viennent en grande partie de donateurs « individuels » (et allégés d’impôts – cf + haut) mais aussi d’autre fondations... Et là y’en a quelques-uns des gens bien... Des gens super, qui disent que des trucs bien et qui font que des supers trucs pour la planète... Beurk.
Et puis y’a tout ce qu’on ne voit pas (l’organisation est très opaque), mais qu’on peut parfois deviner...
Bon, là on touche au cœur du problème... chacun peut se faire une idée en essayant de chercher qui peut bien payer toute cette flottille et tout le reste... On ne veut pas jouer ici la carte de l’investigation (-spectacle), simplement s’en tenir à quelques évidences.
- Et autres contradictions...
Bon, on peut pas trop envoyer du lourd comme ça... Mais y’a quand même un truc : comment ça marche tout ça : au bio-carburant ? (Vous savez celui qui bouffe les terres qui seraient plutôt dédiées à faire de la bouffe...). Pt’êt un peu , mais ça suffit pas. Au pétrole, forcément. C’est pas très original, mais il en faut beaucoup quand même pour faire circuler toute cette flottille. Et puis, c’est des gros moyens, donc il faut avoir des partenaires techniques, des gestionnaires... Plus qu’c’est gros, plus qu’il en faut !
- Une méthode « partagée »
Mais l’organisation dont on parle ici est une parmi beaucoup d’autres, qui emploie des méthodes du même genre, avec de moyens parfois encore plus imposants, parfois encore plus sournois. En y regardant bien, on assiste à une guerre larvée dans la conquête de l’opinion publique, dans la recherche de partenaires médiatiques et de financements privés et publics. Cette course au prix du « plus gros gentil » est une déferlante de slogans verts, d’arguments bleus et autres notions tordues... Et comme ça, ils prennent la place, s’imposent comme incontournables, se posent en multi-sauveurs et font... ce qu’ils veulent.
Alors, depuis son trône de puissant comme depuis son vieux canapé pourri, on est abasourdi. Nico, Polo, Yanno ? Wow, les gars, allez-y mollo ! Super-Ségo, sort nous de cette enfumade !

5 – Conséquences locales et globales

- Le gros écrase... ou mange les petits
La force de frappe de ce type d’organisation provoque donc des dissensions et des destructions...
 D’abord il y a l’accaparement financier et humain qui n’ira pas pour les autres (en tous cas beaucoup moins) : les assos locales, les groupes engagés sur des démarches locales concrètes se voient doubler, dépasser, engloutir et souvent disparaissent... Faute de moyens, de capacité à développer des méthodes de communication concurrentielle. Ainsi fait-on marcher la loi du marché sur l’engagement écologique citoyen... Y’a pas une petite contradiction là ?
Et puis il y a tous les effets de confusion que les slogans, les images choc et autres stratégies sèment dans la tête des militants, des élus locaux, des journalistes... Tout ceci va dans le sens de l’espoir d’un engagement plus efficace, plus puissant, plus global ! Tout ceci entretien le mythe du sauvetage global... Bien souvent au sacrifice de toutes ces petites organisations locales qui sans faire trop de vagues, sans brasser des millions, agiss(ai)ent, en vrai, dans leur petit coin.
- Conséquences médiatiques et populaires...
Le coté prémâché, la stratégie d’ultra-com cible, personnifie, simplifie. Des méchants qui tuent, des bons qui sauvent, un personnage à la toison flamboyante... Ça plaît, parfait pour les « temps de cerveau disponibles ». Le sujet parfait, toujours prêt ! 
Cette vision binaire force les journalistes, les blogueurs, les causeurs (j’assume) soit au copier-coller, soit à la critique effrénée (et aux retours acharnés). Mais qu’en-t-il de la contextualisation, de la compréhension réelle du problème ?
Au-fait, c’est comment la vie aux Féroé ? Et au fait c’est quoi un globicéphale ? Au fait, qui tue le plus de baleines dans le monde aujourd’hui ?...
- Et autres effets pervers...
On voudrait tellement... On voudrait tellement que quelques actions choc puissent changer le cours des choses. On voudrait tellement que les images parlent d’elles-mêmes, on voudrait tellement qu’eux y arrivent. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait qui ait vraiment changé les choses... ? Alerté et changé les consciences ? Peut-être, mais certainement encore plus créé de confusions, de faux-espoirs, de détournement d’attention et... de récupération d’intentions.
Et il y a un autre aspect très pervers... Pour s’occuper d’un problème, il faut en avoir à traiter, un problème. C’est le complexe du besoin de problème... au risque de se laisser à l’entretenir plus ou moins volontairement. Au risque de le glorifier plus que de le combattre efficacement. À qui profite tout ça ?
Et puis, on l’a déjà évoqué mais ces « super-héros-banzai qu’ont peur de rien » ne sont-ils pas aussi une très confortable couverture à nos contradictions ? A notre dépendance à l’argent, à nos produits bios-emballés, à nos trajets en bagnole, en avion, à nos peurs et à notre hantise de s’faire virer ?

5 – Alors ?

- La force de la petite implication locale
Une évidence d’abord. De l’action locale, en groupe humain pas sur- dimensionné, en groupe de personnes qui vivent là à l’année, associés par conviction, et aussi par intérêts locaux partagés... Des gens organisés au sein d’une structure à la gouvernance ouverte et transparente : voilà certainement le mode d’action le plus efficace, durable et pertinent qui soit. Pour plusieurs raisons.
Dans ce type d’organisation, la présence en un lieu compte plus que la démarche d’adhésion à une cause. Ce qui favorise la diversité de points de vue, des visions, tout autant que la capacité bienveillante à écouter et comprendre. Rien n’est simple, il faut de la diversité pour pouvoir gérer les situations complexes. A l’échelle locale, comme à l’échelle plus globale...
Mais la limite saute aux yeux : comment faire avec pleins de petites assos pour s’opposer aux grands méchants baleiniers, aux multinationales de la pollution et autres instances politiques déviées ? Mais on a des moyens aujourd’hui ! On peut communiquer, tous, les uns aux autres, en permanence ! Et nul besoin de centraliser, d’être piloté par des organisations mondiales. Beaucoup de causes rassemblent sans être vraiment « coordonnées » et les luttes gagnées le sont historiquement souvent par des petits groupes bien assis sur leur convictions, sûrs de leur fait, sur le pas de leurs maisons !
Et pour l’Océan ? Personne ne vit vraiment sur l’Océan, les décisions, les actions partent de la terre. Et c’est tellement plus facile et moins coûteux de bloquer un port, ou même juste un bateau au port... Ouais, bon d’accord, ça fait beaucoup moins héros !
- Les besoins des petites organisations
Un autre aspect, de la force et de la pérennité des petites organisations locale est leur frugalité financière. Même rapporté à une échelle d’impact potentiel comparable, on a beaucoup moins de besoins quand on est sur le terrain... Beaucoup moins besoin de pétrole, de grands bureaux climatisés et éclairés, et aussi beaucoup moins de partenaires ambigus et d’amis stars...
- Alors n’est-ce pas ça, avancer dans le sens de ses convictions ?
Sauve ta planète... chez toi déjà. Chaque déplacement pour sauver la planète ailleurs, la flingue d’abord un peu plus. A moins que t’aille à pied ou à vélo... Là, respect !
 Et beaucoup de journalistes vous le diront : pour faire du buzz, il faut des vrais gens qui font des trucs dingues. Des sujets rêvés ? Des super-mamies anti-nucléaire qui braillent leurs slogans sur la place de leur village, des jeunes qui manifestent en vélo contre les scooters bruyants, des paysans pacifistes qui défendent les cochons élevés en plein air... Et pourquoi pas ?
Faisons-nous confiance. Faisons confiance à nos copains d’à côté, à nos amis de plus loin. Écoutons nos voisins et parlons leurs de nos convictions, du pourquoi on s’engage... pas pour l’autre là-bas, par au nom de... Mais, ici, avec elle, avec lui, avec eux, entre nous, pour nous... tous. On ne sera pas toujours, pas souvent d’accord, mais on veut quoi ? On veut sauver la planète, on veut voir des baleines sauter, des poissons nager ? On veut que nos gosses connaissent ça vraiment ? Commençons par le dire, tranquillement. Et répétons-le, inlassablement. Et changeons des petits trucs, progressivement. Pour nous, avec nos proches, nos potes, nos voisins... Les baleines nous le revaudrons.
O.H. Novembre 2016

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