Quand Zone Rouge de Laetitia Moreau et Olivier Dubuquey dénonce l’invasion de la Méditerranée par les rejets mortels de l’industrie de l’aluminium c’est pour dire combien il est urgent de sortir d’une logique destructive. Il n’y a pas de fatalité non plus dans le golfe du Mexique quand le Corexit, le remède maudit, film de Jean Pascal Bublex et Mathieu Sarfati , est aussi toxique que la marée noire qu’il est censé dispersée. Ce cinéma d’investigation décortique, analyse pour mieux mobiliser le citoyen, Océans, la voix des invisibles de Mathilde Jounot.
Pour vivre et alimenter les autres, les pêcheurs doivent aller jusqu’à l’extrême …comme Les pêcheurs funambules de Morad Aït Habbouche. Dans un décor de rêve, ils mettent en jeu leur vie à chaque instant. Pourtant le pêcheur doit souvent se satisfaire d’un maigre résultat, Vietnam Phu Quock, pêche de nuit, de Christian Lajoumard. Ramasser, collecter pour survivre, c’est le témoignage des Ramasseurs d’herbes marines de Maria Murashova, réalisatrice russe, qui livre des images sublimes de villageois humbles
La vie du marin n’est pas facile sur le Rebord du monde de Hervé Drezen, dans Sale temps pour un chalut de David Morvan et Erwan Le Guillermic, dans Les thons se ramassent à la senne de T.Le Vacon, ou encore dans La senne de Portosin de Marcos Gallego. Les pêcheurs doivent se battre non seulement contre les éléments naturels mais aussi contre des systèmes politiques qui oublient, voir méprisent l’humain , Des lois et des Hommes de Loïc Jourdain, Once the seas was covered with Water de G. Orsini et L. Siberiu. Comment résister aux projets industriels ou touristiques qui les condamnent à disparaitre au lac Lokdak en Inde orientale, interroge Floating Life de Haobam Paban Kumar réalisateur indien ? Face à la rudesse de l’environnement les relations sont dures dans ce village russe soumis à la botte d’un tyran, comme le conte ce thriller du réalisateur Viktor Dément, Criminel. Derrière cette fiction, n’est ce pas la réalité de la Russie qui est évoquée ? Il faut aussi survivre après le drame qui a ensanglanté un village de pêcheurs pris dans la tourmente des guérillas en Colombie, Nueva Venicia de Emiliano Mezza de Luca.
Les océans ne sont des déserts humains, car ils ont toujours été habités par les hommes, les peuples de la mer. De tout temps il y a eu un lien étroit entre eux et la mer, pourvoyeuse de nourriture et voie d’échange avec ses drames et ses espoirs. La mémoire maritime est là pour en témoigner, plusieurs moments forts durant cette édition avec Mémoire de Brume de Alain Michel Blanc , sur l’aventure des Terres Neuvas. Dans leurs yeux de Séverine Vermersch est le récit du vécu des marins qui revoient leurs propres films réalisés lors des marées ou de campagnes lointaines. Il y aura aussi la projection des Oubliés de Saint de Paul de Jean François Pahun qui rappelle combien les hommes ne pèsent pas bien lourds face aux intérêts financiers. Or précisément aujourd’hui les peuples de la mer ne sont ils pas les oubliés des grands projets de la Croissance bleue ?
Montrer, donner la parole ne sont pas des démarches simples, des cinéastes artistes proposent des démarches pour changer les regards. Les américains Elise Hugus dans Sustaining Sea Scallops et David Redmon dans Nocturnum Délirium , l’islandaise Hulda Ros Gudnadottir ,Keep Frozen , la belge Lonnie von Brummelen Episode of the sea donnent à voir des images qui ont force de parole, elles dérangent nos habitudes, nos codes, nos représentations pour refuser la fatalité, pour écouter les invisibles ou les « absents –présents » de notre société. Dès lors ces documentaires prennent toute leur force et leur expression, ils laissent entrevoir derrière l’accumulation des caisses, dans la froideur de la nuit, le fracas des machines …la possibilité d’un autre monde.
Dans Rumeurs du lac, la congolaise Windy Bashi plonge le spectateur dans l’univers culturel des pêcheurs africains du Rwanda. Leur récit prend la forme imagée de fables. Derrière la poésie qu’elles dégagent, surgissent les terribles réalités qui ébranlent cette région de l’Afrique. Black Kiss de la martiniquaise Mariette Monpierre est une fiction pleine de pudeur et de sérénité grave avec ce bilan de la vie d’un vieux pêcheur qui reste seul.
La 9e édition est marquée du sceau de l’optimisme et de l’espoir pour les océans comme pour les peuples de la mer. C’est le message de Sacred Cod de Steve Liss, Andy Laub , David Abel . Ce film, traduit par le festival, annonce le retour du cabillaud et le renouveau possible des villages autrefois désertés. Elise Hugus dans Sustaining Sea Scallops montre la reconversion de pêcheurs dans l’exploitation durable du pétoncle. Aral, la renaissance d’Isabelle Moeglin est une bouffée d’oxygène : en 1990 la cinéaste avait alerté sur la disparition de la mer, aujourd’hui elle rapporte le retour de l’eau, grâce à la détermination de responsables locaux.
Face à tous les drames et les catastrophes, il n’y a rien d’irrémédiable, nous sommes à l’heure du choix entre le laisser-faire vers le néant ou la reconquête d’une mer d’espoir. Tous ces réalisateurs montrent que les pêcheurs du monde et peuples de la mer ne sont pas des derniers mohicans à faire disparaitre mais bien au contraire les irremplaçables lanceurs d’alerte qui permettent d’entrevoir un monde humain possible. Nous avons autant besoin de leurs poissons que de leurs paroles pour notre assiette et notre désir d’avenir.
A bientôt à Lorient pour ce parcours cinématographique hors du commun !
Jacques Chérel, secrétaire du Festival Pêcheurs du Monde de Lorient