Floating life, des vies à fleur d’eau Festival pêcheurs du monde 2017, Lorient

, par  LE SANN Alain

Ce festival s’est tenu à Lorient du 13 au 19 mars 2017.
Les films primés montrent bien comment les communautés de pêcheurs réagissent aux évolutions du monde et, souvent, résistent "à fleur d’eau".

Remise des prix du festival le 19 mars 2017 (photo Philippe Houssin).

Floating life : prix Chandrika Sharma

Le festival pêcheurs du monde 2017 a primé plusieurs films, dont « Floating life », du réalisateur indien Haobam Paban Kumar, qui a reçu le prix Chandrika Sharma, couronnant depuis 2015 un film mettant en valeur le rôle des femmes dans la pêche. Ce film de 2014 résume à lui tout seul la situation des communautés de pêcheurs traditionnels dans le monde, leur fragilité mais aussi leur volonté de résistance s’appuyant dans le cas présent sur la détermination des femmes. Le film a de plus le mérite d’attirer l’attention sur la situation des pêcheurs en eaux douces. Ils sont plusieurs milliers de pêcheurs sur le Loktak, le plus grand lac en Inde, une merveille de la nature, dans l’Etat de Manipur près de la frontière birmane.

Les pêcheurs y sont confrontés à tous les défis que rencontrent les communautés traditionnelles dans le monde. Le lac Loktak connait une profonde dégradation dont les origines sont multiples. Il y une réelle croissance démographique qui entraîne une augmentation des « phumdis », ces plateformes flottantes sur lesquelles vivent les familles de pêcheurs. Ceci a des conséquences sur la qualité de l’écosystème et favorise les pertes d’oxygène dans les eaux du lac, mais des ONG comme WWF et l’UICN, ou les pouvoirs publics, font porter la responsabilité de la dégradation sur les seuls pêcheurs, ce qui leur permet de justifier leur expulsion de leurs phumdis. Cependant, les pêcheurs sont loin d’être les seuls et principaux responsables de la dégradation du lac. La pollution vient aussi de l’explosion de l’urbanisation des rives du lac qui se fait sans aucune mesure de traitement des effluents et des déchets comme le montrent les images spectaculaires du film. Le rôle de la déforestation des pentes environnantes est également important car elle entraîne une érosion et ensuite, un envasement du lac. Il y donc urgence à prendre des mesures, mais les orientations choisies sont loin de résoudre les problèmes et souvent les aggravent. Ces mesures de protection du lac sont rassemblées dans un plan de développement du lac et de sa région, mais elles se traduisent par une expulsion violente des familles de pêcheurs. Les objectifs de ce plan sont à la fois économiques et environnementaux. Les ONG comme le WWF ont joué un grand rôle dans son élaboration en centrant le projet sur la création d’une grande réserve naturelle interdite à la pêche et aux habitations en vue de protéger une espèce de daims menacée de disparition. De ce point de vue, c’est un succès, le nombre de daims s’est accru. Les objectifs économiques sont également importants et concernent 1 à 2 millions d’habitants dépendant directement ou indirectement du lac et de ses eaux. La décision a été prise de construire un barrage qui a augmenté la surface du lac mais aussi profondément transformé son fonctionnement. Il s’agit de favoriser l’irrigation et sans doute la production d’énergie électrique. Mais il y a un autre objectif avoué, faire de ce lac, unique au monde, une destination touristique pour des visiteurs venus de toute l’inde et du monde entier. Des hôtels ont été construits autour du lac et des pêcheurs sont devenus des promeneurs de touristes sur leurs bateaux tandis que d’autres leur vendent des souvenirs et de la restauration. La majorité des pêcheurs ont été obligés d’accepter des indemnisations ridicules. Les promesses d’accès à des terres sont rarement tenues et parfois des pêcheurs réinstallés sur les rives sont à nouveau chassés pour construire des équipements touristiques. Si l’on ajoute à cela l’état d’urgence, qui donne des pouvoirs démesurés à l’armée et à la police, on comprend l’extrême violence subie par les familles de pêcheurs dont les huttes sont brûlées et détruites par des bulldozers encadrés par des policiers et militaires. Les femmes s’accrochent désespérément aux engins venus détruire leurs habitations. L’état d’urgence est justifié par la proximité de la frontière birmane et les entrées illégales de réfugiés. On propose aussi comme alternative aux pêcheurs le développement de l’aquaculture. On trouve donc sur ce lac, en concentré, tous les problèmes auxquels sont confrontés les pêcheurs traditionnels du monde entier. L’intérêt du film est également d’illustrer le rôle que peut jouer le cinéma dans la défense des droits de ces pêcheurs. Le réalisateur était venu enquêter pour préparer le tournage d’une fiction avec la participation des pêcheurs.

Ce film « The lady of the lake » montre la résistance d’une femme de pêcheurs, et il a été présenté dans plusieurs festivals importants en 2016. Le réalisateur n’a pas voulu s’en contenter quand il a été confronté à l’expérience de la violence des expulsions et il a voulu en témoigner dans un documentaire. « Floating life » a été récompensé dans de nombreux festivals avant de l’être au festival Pêcheurs du Monde.

Résistance et résilience

Les deux jurys ont par ailleurs couronné deux films qui sont des témoignages de la résistance et de la résilience des pêcheurs. Le jury des professionnels a consacré son prix au film de Loïc Jourdain « des lois et des hommes ». Il retrace le long combat d’un pêcheur d’une île oubliée du nord de l’Irlande pour retrouver le droit de pêcher ; le gouvernement irlandais a en effet réservé la pêche au saumon aux riches amateurs qui viennent du monde entier. John O’Brien, pour sa part a refusé l’indemnisation proposée et s’est battu pendant 8 ans pour défendre les droits des pêcheurs côtiers face au gouvernement et dans le cadre du débat sur la réforme de la Politique Commune des Pêches. Avec l’appui d’ONG, il a obtenu la reconnaissance des droits des pêcheurs des îles et espère retrouver bientôt le droit de pêcher à nouveau le saumon. Une extraordinaire leçon de courage et de résistance d’un homme confronté aux logiques de pouvoirs qui marginalisent les pêcheurs côtiers. Il y a toutefois un paradoxe que le réalisateur ne relève pas. Certaines des ONGE qui soutiennent le combat de John O’Brien ont contribué à l’effondrement de la pêche dans plusieurs îles (Île d’Yeu) et communautés côtières en se battant pour obtenir l’interdiction totale des filets maillants dérivants. Ce sont d’ailleurs ces filets qui étaient utilisés par John O’Brien pour pêcher le saumon et au moment même où les droits de ces pêcheurs étaient reconnus, l’Union européenne décidait d’interdire les filets dérivants des pêcheurs côtiers. Par ailleurs, de nouvelles mesures de protection de l’environnement marin promues par des ONG environnementalistes peuvent à nouveau menacer des pêcheurs côtiers comme John O’Brien, en Irlande. Les relations entre les pêcheurs artisans et les ONG environnementalistes ne sont donc pas toujours aussi idylliques que dans ce film.
Le jury des jeunes a, de son côté, récompensé un film uruguayen « Nueva Venecia », tourné en Colombie dans un village sur pilotis, traumatisé par un massacre de paramilitaires. Les pêcheurs et leur famille vivent dans des conditions très précaires dans une mangrove et les jeunes rêvent du football comme avenir professionnel. La communauté consolide sa résilience en réhabilitant un terrain de football inondé pour organiser un tournoi. Tous ces films montrent que la survie des pêcheurs va bien au-delà des ressources, il faut aussi faire vivre l’espoir d’un avenir commun.

Le drame des pêcheurs oubliés de tous.

Plusieurs films très émouvants ont montré la dure réalité des conditions de vie et de travail des pêcheurs, dans le passé et jusqu’aujourd’hui. Les jeunes collégiens ont été bouleversés par le film « les oubliés de Saint Paul » qui raconte la tragique aventure des pêcheurs bretons et malgaches abandonnés pendant des mois par leur armateur sur une île du sud de l’océan indien où ils pêchaient la langouste. Plusieurs dizaines d’entre eux mourront de faim et de maladie au début des années 30. A la même époque, des centaines de pêcheurs travaillaient dans des conditions épouvantables pour pêcher la morue au large de Terre Neuve, sur des voiliers. Un grand scénariste français, originaire de Saint Malo et qui fait quelques campagnes de pêche à la morue, a voulu leur rendre hommage en interviewant les derniers survivants dans les années 1970. Cela nous a permis de découvrir leur témoignage dans « Mémoire de brume » qui rappelle combien le mépris des hommes et de leurs droits a marqué l’histoire de la pêche à la morue et de bien d’autres pêches. On retrouve aujourd’hui des conditions aussi éprouvantes dans un film russe « Les ramasseurs d’herbes marines » qui nous plonge dans la vie précaire de saisonniers des îles Solovski, sur la Mer Blanche. C’est le lieu où fut créé le premier goulag soviétique ; un siècle après, les conditions de vie rappellent celles du début du 20ème siècle.

La migration fait partie de la vie des communautés de pêcheurs

Dans de nombreux films on perçoit l’importance des migrations dans la vie des pêcheurs. Dans les pays du Nord, des immigrants européens ou de pays du Sud viennent occuper les emplois abandonnés par les jeunes. C’est le cas en Islande avec les dockers polonais de « Keep Frozen », aux Pays-Bas, ce sont aussi des Polonais qui deviennent plus souvent matelots sur les chalutiers à perche, tandis que leurs patrons prennent des bateaux sous pavillon anglais, belge ou allemand (« Episode of the Sea »). Malgaches et Sénégalais fournissent une part des équipages des bateaux de la grande pêche thonière ou à la langouste. Le film « Miss Philippine » a décrit comment les pêcheurs des îles Feroë ont dû épouser des femmes des Philippines car les jeunes filles fuient les îles pour le continent, faute d’emplois attractifs sur place. Aux frontières de l’Europe, des pêcheurs italiens ou espagnols s’installent au Maroc ou en Tunisie pour échapper aux contraintes des politiques européennes, souvent peu adaptées à la réalité des périphéries (« Once the sea was covered with water »), tandis que dans l’autre sens, l’immigration clandestine se poursuit. Le monde des pêcheurs est loin d’être figé, il est en perpétuel renouvellement des pratiques et des hommes ; l’intégration de migrants est souvent la condition de la survie des communautés.

Face à la pollution et au modèle industriel, l’espoir de bonnes pratiques.

Plusieurs films dévoilent avec force la destruction des mers par la pollution d’origine industrielle : « Black Kiss » et le drame des pêcheurs face au chlordécone, « Corexit, le remède maudit » et les suites de la catastrophe de Deepwater Horizon, « Zone rouge » et la destruction de toute vie marine sur une partie de la côte méditerranéenne française. La pêche elle-même connait des dérives d’une industrialisation déshumanisante comme le montre « Nocturnum delirium » de David Redmon, un habitué du festival et remarqué une nouvelle fois par le jury des jeunes. Il faut pourtant retenir d’autres messages plus optimistes qui confirment à la fois la capacité des mers à retrouver leurs richesses et celle des hommes à améliorer leurs pratiques et leurs rapports avec la nature. « Aral, la renaissance », un film réalisé par Isabelle Moeglin, qui a suivi depuis 20 ans l’évolution de la mer d’Aral, montre la spectaculaire mais fragile renaissance d’une partie de cette mer intérieure, où des centaines de pêcheurs ont retrouvé de l’activité. D’Amérique parviennent aussi de bonnes nouvelles avec un début remarqué de retour de la morue au large de Terre Neuve : « Sacred Cod » montre toutefois le désespoir de pêcheurs de Nouvelle Angleterre condamnés à disparaître car ce retour se fait attendre et il est sans doute impossible du fait du réchauffement climatique. D’autres témoignages d’espoir apparaissent avec des améliorations de pratiques de gestion par les pêcheurs eux-mêmes : « Sustaining sea scallops » décrit le bouleversement des pratiques des pêcheurs de pétoncles à la drague, aux Etats-Unis ; ils retrouvent ainsi les mêmes approches que les pêcheurs de coquilles Saint Jacques en France. « Prud’homie de pêcheurs » montre le renouveau fragile et chaotique d’une institution pluricentenaire de gestion des pêches sur la côte de Méditerranée, en France.

En conclusion

Le festival donne chaque année l’occasion de découvrir des films étonnants par leur créativité, leur originalité et de plonger avec émotion dans les réalités diverses et complexes de la vie des pêcheurs et de leurs communautés. Si certaines de ces découvertes sont sinistres et désespérantes, il existe toujours des signes d’optimisme, de résistance, de résilience et des capacités d’adaptation. Ce festival est une occasion unique de parcourir les mers et les côtes du monde entier et de comprendre le monde comme il va, dans ses dérives comme dans ses beautés et ses réussites. Le cinéma montre comment les communautés de pêcheurs réagissent aux évolutions du monde. Elles sont confrontées au terrorisme, aux génocides, à la destruction de l’environnement, aux migrations, aux décisions politiques désastreuses et inadaptées, aux pressions de mouvements conservationnistes, au mépris des droits humains, mais partout des hommes et des femmes résistent « à fleur d’eau ».

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