Brexit : la fin de la pêche hauturière bretonne ?

, par  LE SANN Alain

Les pêcheurs britanniques veulent profiter du Brexit pour se réapproprier les Zones Economiques Exclusives des mers entourant leur île. Les pêcheurs bretons en sont fort inquiets !

Actuellement, seulement 32% des captures dans leurs ZEE pour les pêcheurs du Royaume Uni

50% des débarquements de la pêche bretonne proviennent des eaux britanniques. La perspective proche d’une nationalisation de leur ZEE par les Britanniques, fortement réclamée par leurs pêcheurs, inquiète donc légitimement tous les professionnels de la pêche en Bretagne et en France.

Les Britanniques veulent retirer 75% des quotas de pêche qui sont attribués aux pêcheurs des autres pays. On peut donc imaginer à l’extrême une quasi disparition de la pêche hauturière bretonne avec des répercussions sur la pêche côtière qui serait de plus en plus sollicitée. Les pêcheurs britanniques accusent les autres pays de l’Union Européenne d’accaparer leurs ressources depuis leur adhésion à la Politique commune des pêches. En effet sur une moyenne de 1,6 million de tonnes pêchées chaque année dans les eaux du Royaume Uni, 68%, en poids, le sont par des bateaux étrangers, pour 54% en valeur. Les bateaux de l’UE ne sont pas les seuls bateaux étrangers, car il y a également des accords permettant aux Norvégiens et aux Féringiens de pêcher au Royaume-Uni. 21% des captures sont réalisées par les Norvégiens, 4% par les Féringiens, soit, au total, 400 000T environ ; en échange, les Européens ont des droits de pêche dans les eaux de Norvège. Les pêcheurs britanniques oublient que la PCP et la création des ZEE, à laquelle ils ont résisté, ont permis de chasser les Soviétiques de leurs eaux. Pour leur part les britanniques ne réalisent que 100 000 T de captures en dehors de leurs eaux. L’accès aux eaux britanniques est donc vital pour la majorité des pays européens de la façade atlantique. Il faut sans doute réduire encore la part des pêcheurs britanniques si on prend en compte les nombreux bateaux sous pavillon du Royaume Uni qui sont en réalité néerlandais ou espagnols. Ainsi, le chalutier néerlandais Cornelis Vrolijk dispose de 23% des quotas britanniques pour des espèces pélagiques. Au total, les pêcheurs britanniques n’ont que 18% des quotas en mer du Nord, 30% en Manche, 24 en mer Celtique, 77% en mer d’Irlande.

Le poids de l’Histoire

Évidemment les Britanniques accusent la PCP d’être responsable de leur situation. C’est en partie exact car ils ont subi comme tous les pêcheurs les contraintes européennes de réduction des flottes et des quotas ainsi que les diverses mesures politiques de gestion. Mais la répartition des quotas a été faite au moment de l’entrée du Royaume Uni dans l’Union Européenne et est basée sur la stabilité relative. Cette répartition a été faite au pire moment pour le Royaume Uni et surtout l’Angleterre : quand la pêche industrielle anglaise s’est effondrée, mais l’Europe n’y est pour rien.

Sur une carte des ports de pêche en Grande- Bretagne, on peut constater qu’il n’y a pratiquement plus de ports de pêche importants en dehors de l’Écosse, de la Cornouaille et du Sud Ouest. La pêche anglaise, très puissante, s’est effondrée à la fin des années 70 et dans les années 80 pour deux raisons. Elle était constituée de deux secteurs dominés par des armements industriels : la pêche à la morue en Islande et la pêche aux harengs en Mer du Nord. La fermeture des eaux islandaises, puis norvégiennes a entraîné la disparition rapide de la pêche industrielle à la morue tandis que la pêche au hareng n’a pas survécu à l’effondrement de la ressource du fait de la surpêche. La disparition de la pêche anglaise est aussi due à la structure industrielle des armements, incapables de financer une restructuration sur des ressources alternatives proches, avec des bateaux moins importants. En Écosse, au même moment, la structure artisanale des armements a permis un essor de la pêche vers de nouvelles ressources en Mer du Nord, plutôt négligées auparavant (Langoustines, haddock, etc.). Il est vrai que l’Europe a aggravé la situation avec sa politique libérale favorisant la captation de quotas par le passage de bateaux étrangers sous pavillon britannique. Les pêcheurs ont tenté d’imposer des restrictions mais elles n’ont pas suffi à freiner le phénomène. Les pêcheurs britanniques ont par ailleurs souffert comme les autres des politiques visant à restaurer les stocks mais ils doivent aujourd’hui reconnaître que les stocks sont globalement à un bon niveau ou en cours de restauration. La flotte britannique est d’ailleurs devenue très rentable, ce qui permet de renouveler les bateaux, en particulier en Écosse.
La situation de la pêche britannique est donc d’abord le produit de l’histoire d’avant son intégration à l’Union Européenne. Qu’il s’agisse de la Manche ou de la mer du Nord, avant la création des ZEE et de la zone de pêche commune, les pêcheurs européens circulaient d’une côte à l’autre et cela depuis des siècles ; il y avait des tensions mais ils ont aussi cherché les moyens de les limiter, comme entre Jersey, la Normandie et la Bretagne. Il existe également un accord de cohabitation dans la Manche entre les arts traînants et les arts dormants. La convention de Londres entre les pays européens signée en 1964 reconnaissait les droits des pays adjacents.

Les illusions des pêcheurs britanniques.

Les pêcheurs britanniques se font sans doute des illusions sur le fait que le Brexit leur permettra de trouver un contrôle sur leurs eaux, qu’ils n’ont jamais eu. L’Union Européenne est fermement décidée à préserver les droits de pêche dans les eaux britanniques. Elle dispose pour cela d’un argument. Le marché anglais du poisson est faible et il a même décliné avec la pêche elle-même ; les marchés sont donc en Europe et particulièrement en France. Par ailleurs, il est impossible d’imaginer une gestion des stocks indépendante de celle de l’Union Européenne. Il y aura sans doute des coups de force pour chasser des bateaux mais à terme, les pêcheurs britanniques ne pèsent pas lourd face à d’autres intérêts. Les ONGE environnementalistes sont puissantes au Royaume Uni ainsi que les intérêts des entreprises d’énergie (éoliennes et pétrole).

L’espace marin au RU est de plus en plus occupé par des champs éoliens.
Enfin, la force du libéralisme britannique est telle que déjà des forces poussent à la généralisation des QIT (Quotas Individuels Transférables) pour éliminer encore des pêcheurs. Si cela se met en place on assistera à la vente de quotas aux bateaux étrangers.

L’état des stocks s’est fortement amélioré.
Les pêcheurs britanniques ne sont pas en nombre suffisant pour exploiter toutes leurs ressources, même si le Brexit peut favoriser un certain renouveau, là où les forces existent. Les patrons doivent déjà recourir massivement à des matelots immigrés.

En Ecosse les matelots sont de plus en plus souvent issus de pays d’Asie.
Enfin que se passera-t-il avec l’Écosse ? Les Écossais représentent la moitié de la pêche britannique pour 50% des 11 000 pêcheurs. La pêche y est très dynamique et les pêcheurs souhaitent le Brexit, mais on parle déjà d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse, fortement soutenu par l’Union Européenne. Que pèseront alors les derniers pêcheurs anglais dans un pays où un ministre des pêches se déclarait aussi comme le ministre des pêcheurs amateurs, plus nombreux et plus influents politiquement et économiquement ?

Territoires contre Marchés.

En 1999, Christian Lequenne écrivait dans une revue de Sciences Po : « Contrairement à une idée reçue, les quelques 270000 pêcheurs que compte l’Union Européenne ne prennent pas la mer avec une représentation strictement individualiste de leur activité professionnelle. Ils exercent au contraire leur métier avec le sentiment d’appartenir à des communautés professionnelles ancrées dans des territoires, un Etat, un port, une région maritime » [1]. Cette logique de territoire est largement remise en cause par la politique européenne qui tend à privilégier le marché en favorisant la captation de quotas par des bateaux étrangers changeant de pavillon, au nom de la libre circulation des capitaux. Le Brexit est aussi une réaction contre cette pratique et devrait être l’occasion de s’orienter vers une nouvelle logique de gestion, celle de territoires maritimes où les ressources halieutiques sont un bien commun géré démocratiquement. Il existe déjà des éléments de telles pratiques entre des pêcheurs qui s’opposent souvent mais savent aussi dégager des compromis pour s’adapter aux réalités et permettre des évolutions. Le modèle est celui de la gestion de la baie de Granville, gérée par les pêcheurs de Jersey, de Bretagne et de Normandie. Nul doute que passer à la gestion d’ensembles plus vastes comme la Mer celtique, la Manche ou la Mer du Nord suppose de longues négociations et des moyens considérables. Des jalons ont déjà été posés, mais sous le contrôle d’ONGE ; le WWF a ainsi piloté un projet de plan de gestion de la Mer celtique, tandis qu’Environmental Defense Fund s’est immiscée dans les discussions sur la gestion de la coquille St Jacques en Normandie et en Manche. Si les ONGE peuvent jouer leur rôle de protection de la biodiversité et de l’environnement, ce n’est pas leur mandat de prendre en mains la gestion des pêches avec l’appui financier de l’Union Européenne. Le rôle de celle-ci doit être plutôt de favoriser les relations et les discussions entre pêcheurs en renforçant le rôle des Comités consultatifs pour leur donner mission de gérer les territoires maritimes avec la responsabilité d’une bonne gestion. Le NFFO, l’organisation des pêcheurs anglais, a exprimé le souci de modifier les approches de gestion en développant des approches de gestion territoriale par rotation des zones de pêche et jachères. Il y a donc des bases pour sortir d’un débat politisé et biaisé sur un retour des Britanniques à un contrôle de leurs eaux qui n’a jamais existé. Il y a dans ce débat en Grande Bretagne des postures politiciennes qui n’ont rien à voir avec l’histoire ni les réalités. Il faut recentrer le débat sur le rôle des pêcheurs dans la gestion collective car, bien vite, le Brexit laissera place au Royaume Uni comme dans l’Union Européenne à un discours sur la croissance bleue. L’avenir des pêcheurs est le cadet des soucis de la majorité des politiques car leur intérêt pour la mer concerne surtout d’autres activités bien plus prometteuses.

[1Christian LEQUENNE, Capteurs de quotas, la pêche européenne entre territoires et marchés. Critique Internationale, Presses de Sciences Po, 1999 -2.

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