La vie après la disparition de MH 370 : Le vide et le plein.

, par  LE SANN Alain

Le 8 mars 2014, Chandrika Sharma, secrétaire exécutive d’ICSF disparaissait mystérieusement avec les 239 passagers et membres d’équipage du vol MH 370. Elle se rendait à Oulan-Bator, en Mongolie, pour une rencontre organisée par la FAO sur la sécurité alimentaire dans la région Asie-Pacifique. Elle était engagée avec la FAO dans la préparation des directives volontaires pour la pêche artisanale. Ces directives seront adoptées en juin 2014 à Rome. A cette occasion, la FAO a dédié ces directives à la mémoire de Chandrika Sharma et ses amis ont honoré sa mémoire le 8 juin 2014, 3 mois après sa disparition. Tandis que sa famille débutait un long voyage dans le vide, les directives volontaires allaient connaître une large diffusion et marquer un tournant dans la vision d’avenir de la pêche artisanale, témoignant de la justesse du combat de Chandrika Sharma.

Chandrika Sharma : un engagement résolu.
Chandrika avait accepté la lourde de charge du secrétariat exécutif d’ICSF en 2002, lors de l’Assemblée Générale tenue au Mozambique. Depuis plusieurs années, elle travaillait à ICSF comme chargée d’études et elle avait largement montré ses capacités. De 2002 à sa disparition en mars 2014, elle a joué un rôle essentiel à ICSF et dans la préparation des directives volontaires. Elle sut établir d’étroits contacts avec la FAO qui avait décidé en 1994 de mener un travail spécifique pour soutenir la pêche artisanale et d’appuyer les efforts d’ICSF. Elle travailla également en lien étroit avec les deux forums après la scission survenue en octobre 2000 à Loctudy. Enfin elle collabora étroitement avec quelques ONG engagées dans le processus d’élaboration des directives. Elle contribua largement à l’élaboration d’une nouvelle approche fondée sur ses convictions féministes, écologistes et profondément humanistes.

Son mari, K S Narendran rend compte de la rigueur et de la profondeur de ses engagements, dans le témoignage qu’il a consacré aux trois années qu’il a vécues depuis le drame : Life After MH 370, Journeying Through a Void. [1] Il rappelle comment ses convictions se sont renforcées à l’occasion de son engagement auprès des tribus marginalisées du Rajasthan auxquelles elle consacrait ses études. Ses engagements écologistes se sont fondés sur cette expérience fondatrice dans le soutien aux groupes de femmes, aux programmes de reboisement menés par ces communautés oubliées. Elle a d’ailleurs souvent rapproché la situation de ces tribaux de celle des pêcheurs artisans traditionnels et à plusieurs reprises les représentants des pêcheurs se sont retrouvés en accord avec les représentants des peuples indigènes. L’itinéraire de Chandrika rejoint celui de nombreux écologistes indiens engagés dans la défense des minorités qui dépendent totalement des ressources naturelles qu’ils utilisent et protègent. On est loin d’un engagement purement conservationniste qui, oublieux des droits humains, finit par aggraver la situation des plus démunis. C’est ainsi qu’elle a pu conforter l’idée que l’avenir des pêcheurs artisans et de leurs communautés passe par une reconnaissance de leurs droits humains et pas seulement la défense des stocks de poissons. C’est cette idée qui fut adoptée par ICSF en 2005 et confirmée au Brésil en 2006 lors d’une Assemblée générale pour le 20ème anniversaire de la fondation d’ICSF. Deux ans plus tard, à Bangkok, cette approche fut adoptée par les représentants des deux forums et par la FAO. Il fallut encore six années d’intenses travaux, des voyages épuisants pour Chandrika pour aboutir à l’adoption des directives en juin 2014. Chandrika ne put assister à l’aboutissement de son intense travail puisqu’elle disparut lors du vol MH 370, à l’occasion d’un voyage pour défendre ce projet lors d’une rencontre de la FAO. Epuisée, elle envisageait depuis plusieurs mois de réduire son activité et de transmettre la responsabilité du secrétariat, mais il était très difficile de la remplacer. Elle avait le projet de se retirer une partie de l’année dans les montagnes de Nilgiris au Tamil Nadu pour vivre dans une nature qu’elle adorait, le projet de construction était prêt.

La traversée du vide.
En quelques pages pudiques, Narendran nous aide à comprendre la profondeur des engagements de Chandrika. La suite de son témoignage évoque ses réactions et ses combats pour connaître la vérité sur le mystérieux vol MH 370. Sans pathos, avec pudeur et délicatesse, il raconte l’extrême difficulté à vivre l’incertitude créée par les conditions de sa disparition. Il faut finir par accepter l’inéluctable mais il faut aussi vivre cette réalité avec sa famille et ménager les convictions des uns et des autres. Le livre n’apporte aucune révélation, mais il confirme le fait que l’avion a sombré quelque part dans l’Océan Indien, comme en témoignent les nombreux débris retrouvés jusque sur les côtes africaines, dont le fameux flapperon découvert à la Réunion. Narendran dénonce l’arrêt des recherches décidé en janvier 2017, au mépris des interrogations de toutes les familles. Il est inconcevable qu’on ne puisse trouver d’explications sur les raisons et les circonstances de cette disparition. C’est pour lui une condition de l’apaisement des familles face à la douleur de la perte d’un ou plusieurs proches, mais aussi une nécessité pour éviter qu’un tel événement se reproduise.
Ce combat pour la vérité n’est pas facile à mener car il faut faire face à l’incompétence et à la brutalité des autorités malaisiennes. Il est également impossible de réunir les familles pour mener ce combat, il y a trop de différences de langue, de culture, de traditions politiques. La majorité des victimes sont chinoises et ne peuvent s’organiser facilement, les victimes indiennes sont peu nombreuses et laissent le gouvernement totalement indifférent. Les médias ne respectent pas toujours la parole des familles et recherchent le sensationnel au lieu d’engager des enquêtes sérieuses. Chaque étape dans le processus est la source d’une douleur ravivée. Trois ans après, tous les problèmes liés à la disparition sont loin d’être résolus puisque la procédure des indemnisations est tout juste engagée. On peut souligner que ce drame vécu par les familles du vol MH 370 rejoint celui que vivent de nombreuses familles de pêcheurs confrontées à la disparition des équipages et des bateaux dans des conditions inconnues et parfois également à la mauvaise foi et au mépris des autorités, comme c’est le cas en Bretagne avec le naufrage du « Bugaled Breizh ». Dans ce cas, la seule solution est de maintenir la vigilance et une pression collective pour que l’affaire ne soit pas oubliée et ne pas laisser les victimes seules avec leurs interrogations.
Pendant ce temps, la dynamique créée par l’adoption des directives volontaires pour la pêche artisanale se consolide ainsi qu’en témoigne le dernier ouvrage publié avec la collaboration de la FAO : The Small-Scale Fisheries Guidelines, Global Implementation. Dommage qu’il soit si coûteux (179$) et seulement en anglais, donc largement inaccessible en dehors des universitaires qui accompagnent le mouvement au sein du réseau To BIg To Ignore. Chandrika a largement contribué à ce succès, puisse-t-il atténuer la douleur de sa disparition pour ses amis et ses proches.

Alain Le Sann
Septembre 2017

[1K S NARENDRAN, Life After MH 370, Journeying Through a Void, éd Bloomsbury, New Delhi, 2017, 170p.

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