Les pêcheurs en Islande en 2017 : Entre réglementation étatique et Mondialisation

, par  CHEREL, Jacques

Ce qui frappe en Islande c’est l’omniprésence du monde de la pêche. Durant toute son histoire, la vie sociale a reposé sur le lien étroit entre les hommes et la mer, comme le rappelle entre autres l’écrivain Jon Kalman Stefansson dans « Entre ciel et terre » et « D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds ».

Une longue histoire

Il existait des communautés de pêcheurs que révèle un patrimoine maritime exceptionnel mis en valeur par des musées comme à Skogar, des statues ou des fresques sur les murs tout autour de l’île. Aujourd’hui le monde de la pêche change. Le réseau des ports dynamise 9000 emplois et contribue avec les secteurs induits par la pêche à 10% du PIB et à l’excédent du commerce extérieur. Si la crise financière des années 2007-8 a ébranlé le pays, il s’est relevé assez rapidement avec le soutien du FMI et de l’Union européenne. Mais la majorité responsable de la crise de retour au pouvoir refuse d’adhérer à l’UE et réaffirme une politique de contrôle de ses zones maritimes (engagée depuis les années 70, guerre de la morue avec les Anglais) et de ses ressources. Le pays parait dominé par une ploutocratie financière qui entend tirer le plus de profit possible de la mer, comme le suggère l’artiste Haraldur Ingi Haraldsson dans l’expo Codhead XIV, à Akureyri, 2e ville portuaire.

L’Islande a retrouvé un niveau de vie comparable à celui des pays européens nordiques, disposant d’une autonomie tant énergétique qu’alimentaire qui fait des envieux. Dans ce contexte la situation de la pêche n’y est ni comparable à celle de l’Irlande, ni à celle du Royaume Uni qui a sacrifié ses pêcheurs.
La pêche a revêtu très tôt une dimension internationale. En suivant les courants et les migrations des poissons, les Irlandais, les Vikings ont débarqué et s’y sont installés. Des Basques y sont venus chasser les baleines. Puis la morue a attiré les Bretons de Paimpol, parmi d’autres, jusque dans les fjords de l’Est, à Fäskrusfjordur, la baie des Français. Dans la péninsule de Snaefelsnes, le port de Grundarfjördur est jumelé avec Paimpol. La mondialisation de la pêche en Islande est donc ancienne.

Une transformation radicale menée par l’Etat

Après le déclin du à la diminution des stocks de morue et la crise financière des années 2007-8, l’état a mené une refonte drastique de l’activité par le contrôle des eaux islandaises, la réduction et la modernisation des bateaux. Il a imposé une règlementation au moins aussi lourde que celle de l’UE. Le ministère des Pêches et la Direction des pêches encadrent toutes les activités halieutiques et aquacoles : collecte des données de capture de la pêche, soutien de la recherche, réalisation d’études, mise en place de garde-côtes et de mesures de surveillance. Sont fixés des totaux admissibles des captures (TAC) fondés sur des recommandations scientifiques et sur le système des quotas individuels transférables (QIT), réservé aux Islandais. Les prises sont pesées et enregistrées dans le port de débarquement par un responsable de la Direction des pêches. Le ministère des pêches travaille avec ceux de l’agriculture, de l’environnement, des industries et des innovations.
Coïncidence, comme au Labrador (Canada) et au Nord-est des Etats Unis, le cabillaud est de retour, mais aussi le maquereau, le sébaste, le lieu noir. Les changements de direction des courants et de température de l’eau liés au dérèglement climatique provoquent des déplacements des poissons. L’Islande se retrouve à nouveau au milieu de riches eaux poissonneuses. Toutefois les modifications des conditions marines sont instables et peuvent provoquer des catastrophes comme cette mortalité accidentelle survenue entre décembre 2012 et février 2013 de 52 000 tonnes de harengs dans le fjord Kolgrafafjordur à l’Ouest (la péninsule de Snaefelsnes).

Le poids des groupes multinationaux de transports

La pêche artisanale, réduite et rénovée, demeure répartie dans une multitude de ports tout autour de l’île, comme Arnarstapi

. Certains petits pêcheurs, très endettés, trouvent des revenus complémentaires avec le développement du tourisme de mer lié à l’observation des baleines, des cétacés ou des oiseaux (Husavik)

. S’est développée en parallèle une puissante flotte industrielle, avec une grande variété de bateaux, depuis des chalutiers–usines jusqu’à une flotte de petits bateaux neufs. Tous fournissent le poisson aux grands groupes industriels islandais et étrangers qui le traitent et l’exportent. Par exemple Samskip, société mondiale de logistique, offre des services de transport et services connexes par voie terrestre, maritime, ferroviaire et aérienne. Avec un chiffre d’affaires annuel de 633 millions d’euros, Samskip est aujourd’hui l’une des plus grandes entreprises de transport en Europe avec des bureaux dans 24 pays d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud, d’Asie et d’Australie, employant 1 500 personnes à travers le monde. Ice Fresh Seafood Ltd, associée à des capitaux allemands, est basée à Grimsby, à Boulogne sur mer et dans de nombreux ports européens. Selon son site, ses usines offrent aux clients le lien avec une chaîne d’approvisionnement unique intégrée verticalement qui commence avec la flotte du Groupe en Islande, la mer de Barents et les îles Féroé. Ainsi les pêcheurs islandais sont-ils devenus fournisseurs de groupes multinationaux de transports et de distribution des produits de la mer pour de multiples pays européens (en particulier l’Allemagne et le Royaume Uni) et américains. Des bateaux du Groenland viennent aussi à Reykjavik vendre leur pêche.

Une production maitrisée et de qualité

Les captures totales atteignent 1 400 000 tonnes. Le cabillaud, l’églefin, le sébaste et le lieu noir l’emportent. Les pêches pélagiques importantes en volume, mais de valeur moindre comme celles du hareng et du capelan continuent d’être exploitées. Nouveauté, si le maquereau est pêché sans limitation, cela pose problème aux pêcheurs de l’Union européenne. Il n’est plus question de surpêche ou de pêcher au maximum mais plutôt de s’orienter vers une pêche de qualité et d’exportation : les filets de cabillaud sont préparés sur les bateaux et exportés en Grande Bretagne et aux Etats unis. Le produit de la pêche joue la qualité et l’exportation. Même les « fish and chips » locaux offrent du dos de cabillaud frais.

L’aquaculture de qualité ?

Les grands groupes investissent aussi dans l’aquaculture, notamment dans l’élevage du saumon dans les fjords et l’océan Arctique. La société Arnarlax impose des normes de qualité strictes, qui ne permettent pas l’utilisation d’antibiotiques dans trois fjords. Elle revendique d’utiliser un modèle aquacole alternatif "tout-en-tout", en permettant à chaque site aquacole une jachère pendant quelques mois après que chaque génération a été entièrement récoltée, chaque nouveau cycle aquacole commence sa croissance dans un site naturel. Cette technique exceptionnelle maintient le saumon exempt de tout risque biologique, comme les maladies et les ravageurs. Il n’est pas question de copier le modèle intensif norvégien, les Islandais veulent un produit de qualité, les impacts sur l’environnement et sur l’emploi des pêcheurs restent à évaluer.

Des pêcheurs intégrés au système financier et commercial

Le monde de la pêche en Islande a changé se tournant résolument vers les marchés des pays riches. Les pêcheurs ne sont plus que les rouages fournisseurs d’une matière première de qualité traitée et distribuée dans le monde. Endettés, nombre d’entre eux deviennent des salariés ou quittent la pêche tandis que disparaissent les communautés villageoises de pêcheurs. Cette politique est orchestrée par un état régulateur, maitre des mers qui décide des quotas mais aussi des licences aux sociétés étrangères qui doivent se plier aux règlementations islandaises.

Jacques Chérel
Ploemeur 13 septembre 2017.

Navigation