Les petits pêcheurs laissés pour compte ? Une histoire indienne.

, par  BAVINCK, Maarten

Au sud de Pondichéry, en Inde du Sud, bordée par deux arêtes, se trouve une plage étroite avec un ensemble de petits bateaux de pêche. Chaque matin, tandis que des milliers de résidents de la classe moyenne font leur jogging de haut en bas du magnifique boulevard, pour prendre soin de leur santé, les petits pêcheurs d’un quartier voisin se rassemblent pour traiter leurs maigres prises et réparer leurs filets. Ils sont, selon les mots de D. Parthasarathy (2011), les chasseurs-cueilleurs de la métropole côtière. Ils sont aussi les perdants de l’économie maritime de l’Inde qui évolue rapidement et manifeste un intérêt de pure forme pour le secteur de la pêche artisanale tout en les ignorant.

Reconnaissant que la majorité du million de marins pêcheurs d’Inde appartiennent au secteur artisanal (Articles 1, 15 et 25), la nouvelle Politique Nationale pour la Pêche en Mer (2017) s’engage à mettre en application les Directives Volontaires sur la Pêche Artisanale Durable (Article 54.0). Elle note, cependant, que « les ressources halieutiques des eaux proches du rivage sont totalement exploitées », et montre du doigt les eaux marines profondes, où une intensification de l’effort de pêche est envisagée comme possible. Quant à savoir si des ressources suffisantes sont encore disponibles dans les eaux indiennes en haute mer et si cela va aider les petits pêcheurs, c’est une question controversée.
La Révolution Bleue, lancée après l’indépendance de l’Inde en 1947 a introduit une nouvelle pêche au chalut, basée dans des ports, qui travaille sur les mêmes zones de pêche et les mêmes ressources que le secteur de la pêche artisanale. En ignorant l’existence de la loi coutumière qui a défini les droits de pêche et les obligations qui y sont liées depuis des siècles, le gouvernement post-colonial a forcé le secteur de la pêche artisanale à la soumission, en agitant devant son nez la promesse du développement. Ce qui en a résulté c’est une très grave inégalité et une marginalisation. Le secteur de la pêche au chalut, qui emploie une minorité de pêcheurs, débarque maintenant les plus gros volumes et la plus grande valeur de produits de la mer, pendant que le secteur de la pêche artisanale, qui s’est battu pour subsister, par exemple par la motorisation de ses bateaux, a vu le volume de ses prises s’effondrer. Ceci est le résultat de la dégradation de l’écologie marine des rivages par le chalutage, la pollution et la construction de barrages sur les rivières. L’industrialisation de la côte est aussi en train de créer de nouveaux obstacles à la pêche : de nouvelles jetées, de nouveaux ports et des pipelines qui interfèrent avec les opérations de pêche et créent une énorme érosion des plages (Lakshmi et al. 2012).
Oui, des lois existent. Le gouvernement indien a, par exemple, décrété que les eaux côtières sont réservées à la pêche artisanale, et que les chalutiers doivent opérer au-delà de 5 miles nautiques du rivage. Mais ces lois ne sont pratiquement pas appliquées, et c’est le pouvoir de la force et de l’argent qui déterminent l’usage des ressources océaniques. Et, oui, il existe un Organisme de Contrôle de la Pollution, mais il est connu pour son manque de fermeté. Et pendant que la Politique Nationale de Pêche en Mer insiste sur le besoin de conservation des ressources marines, le bilan du gouvernement est jusqu’ici très faible.
Alors, où est-ce que ceci a mené le secteur artisanal et ses traditions recommandables de conservation de la ressource ? Beaucoup de petits pêcheurs essaient désespérément de surnager, en investissant dans des moteurs hors-bord et dans de nouveaux matériels, comme des mini sennes, qui semblent tenir des promesses de résultats. Beaucoup d’entre eux investissent aussi lourdement dans l’éducation de leurs enfants, car ils espèrent qu’ils trouveront leur voie dans d’autres secteurs économiques que dans ce qu’ils voient souvent comme une pêche « maudite ». Mais, comme le démontre le résultat des recherches présenté lors d’un atelier à l’Institut Français de Pondichéry le 26 Août 2017, beaucoup de ces enfants, qui échouent dans leurs tentatives de trouver un autre emploi, retournent finalement au casse-tête de la pêche.
Pendant que la gestion coutumière des zones de pêche, prise en charge par des organisations villageoises appelée ur panchayat continue, elle a évidemment perdu de la force. Que faire contre le pouvoir des pêcheries industrielles, qui a la bénédiction du gouvernement ? Au niveau local, les ur panchayats ont encore une influence substantielle, et jouent un rôle important dans la sauvegarde du bien-être des populations de pêcheurs artisanaux (Bavinck 2017). Mais à une échelle plus importante, et seuls, leur autorité est négligeable.
C’est ici que les alliances avec des ONG et d’autres mouvements sociaux apportent de l’aide. Les efforts de la Campagne Nationale de Protection Côtière (CNPC), du Forum National des Pêcheurs (NFF), et du Collectif International de Soutien aux Pêcheurs (ICSF), qui tous ont des voix capables de se faire entendre au niveau du gouvernement national, soulèvent publiquement des objections au modèle biaisé des affaires. Les Directives Volontaires pour une Pêche Artisanale Durable, adoptées par la FAO en 2014, fournissent un levier pour ce qui est en fin de compte une lutte sociale et politique de longue haleine.
Les pêcheurs artisanaux écartés de la vue le long de l’avenue de Pondichéry sont parmi les plus pauvres du secteur économique maritime de l’Inde. Munis seulement des bateaux et du matériel le plus simple, et faisant face à la concurrence de beaucoup d’autres pêcheurs artisanaux ou à grande échelle en mer, ils mènent une existence basique, au jour le jour. Mais ils résistent néanmoins. Les petits pêcheurs Indiens sont une communauté forte. Ils ne se laissent pas facilement éliminer.

Maarten Bavinck
Traduction : Maximilien Gilles

Voir en ligne : https://www.communityconservation.n...

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