Enquête sur les savoirs empiriques ostréicoles et leur valorisation Retranscription de l’entretien avec Tifenn Vigouroux, ostréicultrice et femme de Jean-Noël Yvon, ostréiculteur sur la ria d’Etel.

, par  EZANNO, Rémy, LE SANN Alain , VIGOUROUX, Tifenn

Dans le cadre d’une quête sur les « savoirs » des pêcheurs et des conchyliculteurs, le Collectif Pêche et Développement effectue des entretiens avec ces professionnels afin de recueillir leur parcours, leur expérience et leurs savoirs.
Le jeudi 26 avril 2018, Tifenn VIGOUROUX, nous accueillait chez elle, au lieu-dit de l’ISTREC sur la commune de LOCOAL-MENDON, dans le département du Morbihan. Cette terre que nous pouvons qualifier de presqu’île, présente une nature sauvage et préservée dans un cadre somptueux.

L’entretien qui a été mené était semi-directif voire par moment, sous forme de discussion permettant des échanges très intéressants. Lors de l’entretien, Tifenn VIGOUROUX répondait aux questions d’Alain LE SANN, président du Collectif Pêche et Développement et de Rémy EZANNO, stagiaire au Collectif.
Lors de cette retranscription, nous allons renseigner les questions/réponses de cette manière :
Questions : Alain LE SANN : Qals / Rémy EZANNO : Qre
Réponses : Tifenn VIGOUROUX : Rtv

Qre : Pour commencer, pouvez-vous me raconter l’histoire du lieu ?
Rtv : C’est facile, y a déjà le nom du lieu, c’est l’Istrec, « istr » en breton ça veut dire « huître » et « istreg » c’est « le pays de l’huître ». Dès l’origine, sur le lieu, y avait des huîtres.
Qals : C’était des bancs naturels ?
Rtv : Voilà, c’est des bancs naturels d’huitres plates à l’origine, qui ont été éradiqués par la bonamia et la martelia dans les années 1969-1970 et il y a une petite production d’huitres autochtones de la Ria qui repart mais par rapport aux 60 tonnes de creuses que nous avons, on a 200 kilos. C’est anecdotique.
Qals : Elles repartent à partir de souches naturelles ?
Rtv : Oui, et on redynamise le banc naturel. Il y a eu des opérations avec le syndicat ostréicole de la Ria d’Etel. Le principe c’est de remettre des capteurs propres, des capteurs et des collecteurs, des coquilles d’huîtres qui servent de supports aux larves des huitres plates.
Qals : Et c’est ici que c’est fait ?
Rtv : C’est ici oui, c’est dans le chenal. Le banc est dans le chenal. C’est un endroit où on ne peut pas pêcher d’ailleurs. C’est pour cela que nous les avons mis là. C’est pour que les géniteurs puissent arriver à maturité, qu’ils ne soient pas pêchés. Qu’ils puissent se reproduire et disperser les larves.
Qre : Combien faut-il de temps pour qu’une génération d’huitre puisse se développer ?
Rtv : Alors pour la creuse c’est 3 ans. En fait on dit 3 ans pour qu’elle atteigne sa maturité sexuelle et la plate c’est 5 ans. Pour la plate c’est plus aléatoire.
La creuse elle se féconde dans l’eau et la plate se féconde dans la coquille. En fait y a moins de larves à sortir de l’huître plate mais elles sont plus âgées que celle de la creuse qui en rejettent des millions et des millions. Celles qui ne trouveront pas de support et qui ne se développeront pas, deviendront du zooplancton. C’est la base de la chaîne alimentaire.
Qre : Le goût est-il différent ?
Rtv : Totalement. Tout simplement parce que ce n’est pas la même espèce d’huitre. La texture est différente et le goût est différent. Les spécialistes ont tendance à dire que la plate c’est la « Rolls » de l’huitre et la creuse c’est la « 2cv ». D’autant plus en sachant sa rareté et la lenteur de sa production. Son côté « préservé » rajoute encore plus de saveurs.
Qals : Vous espérez reconquérir un peu la production ?
Rtv : Oui ça marche on le fait. Après 200, 300 kilos c’est rien mais c’est l’huitre d’ici quoi.
Qals : Y a-t-il des maladies encore présentes sur le territoire ?
Rtv : La bonamia et martelia n’existent plus sur la Ria d’Etel. Autre part peut-être mais plus sur la Ria. Y eu des prélèvements et des analyses fait par un laboratoire indépendant, qui a pu déterminer que les maladies n’étaient plus actives dans le milieu.
Qre : Pour recentrer un peu, est-ce que vous pouvez m’expliquer votre carrière et celle de votre mari ?
Rtv : Celle de mon mari c’est plus intéressant. Ici c’est simple. A gauche c’est la maison du grand-père maternel, TONNERRE et à droite, la maison du grand-père paternel, YVON. La famille est un peu comme dans une concession africaine, c’est-à-dire que quand nos enfants vont jouer, y a toujours quelqu’un de la famille à les surveiller (rires). Toute cette génération d’ostréiculteurs, vient de Groix.
L’ostréiculture existe depuis les années 1850 en France et ici dans la Ria, le premier parc concédé c’était à Vincent TONNERRE, un parc que nous avons racheté il y a 3 ans.
Ce parc a été cédé en 1895, j’avais retrouvé l’acte dans les archives patrimoniales. Donc Jean-Noël est né dedans. Il a toujours dit qu’il voulait être ostréiculteur, qu’il aurait 4 enfants et qu’il construirait sa maison ici, il a suivi la droite ligne de ce qu’il avait décidé ou de ce qu’on lui avait fait décider.
Qre : A-t-il évolué professionnellement, de salarié à patron etc… ?
Rtv : Alors il a fait un IUT de gestion pendant 1 an, mais il a arrêté. Il est devenu ostréiculteur après. Il avait commencé à travailler avec son père à l’âge de 16 ans. Il faisait tous les étés, toutes les marées, tout ce que l’on imagine. Au départ il était aide-familial puis salarié de son père – je crois à un moment – et il a repris l’entreprise en 1989.
Qre : Vous n’avez jamais voulu étendre votre activité autre part que sur la Ria d’Etel ?
Rtv : On fait partie de ces ostréiculteurs qui ne veulent pas produire pour produire. On a suffisamment d’hectares, ceux dont je vous parlais toute à l’heure, ceux de Vincent TONNERRE, c’est 7 hectares qu’on a rachetés en 2013/2014. Ça nous donne une entreprise qui a 14 hectares de parcs.
Sur le schéma des structures de la profession, on nous autorise une culture de 5000 poches/hectare, on pourrait avoir 60 000 poches au moins, on en a 8000. On est « anti densité », on est complétement dans l’extensif et y a une partie de ces hectares qui ne sont pas de poches mais des huitres au sol. On a 2 types d’élevages : en poche et au sol.
Sur la totalité de l’exploitation on est 3 à temps plein. Si nous voulions embaucher quelqu’un en plus, il faudrait 8 tonnes de plus. Nous ce que nous voulons, c’est rester à taille humaine, déjà qu’à 3 c’est « costaud ».
Là actuellement on a un CDD, Clément, qui se termine à la fin du mois, qui a commencé en octobre. Mais généralement d’octobre à décembre on a 2 à 3 employés de plus, pour pouvoir trier suffisamment d’huitres et les mettre en panier.
Qre : Je me suis un peu renseigné dans le livre « l’huitre en question », vous étiez donc contre les écloseries et les triploïdes. Je voulais savoir ce que ça signifiait ?
Rtv : Un producteur veut produire, c’est logique. Nous on est soumis au régime de saisons. A partir du mois de mai/juin, les huitres deviennent laiteuses car elles sont en période de reproduction, et les consommateurs sont moins « friands » de ces huitres. Donc quand Ifremer, à qui on a demandé de chercher, a trouvé le moyen de produire une huitre triploïde donc une huitre stérile, donc qui n’avait pas de période de laitance l’été, les ostréiculteurs se sont engouffrés dedans en se disant qu’ils allaient pouvoir produire une huitre non laiteuse toute l’année. C’est pour ça les huitres triploïdes au départ. C’est un brevet d’abord américain, repris par l’institut et remodifié etc… Aujourd’hui ce brevet est tombé dans le domaine public, ce qui est extrêmement dommageable car n’importe quelle écloserie peut l’utiliser et créer sa propre huitre triploïde.
Alors l’huitre triploïde, elle nait du croisement d’une huitre diploïde donc naturelle – 2 paires de chromosomes – et d’une tétraploïde – 4 paires de chromosomes – pour produire une triploïde, 3 paires de chromosomes. Alors la tétraploïde c’est une anomalie de la nature. C’est quelque chose qui peut exister dans la nature mais qui est éradiqué par « la loi du plus fort ». Sauf que l’Ifremer a réussi à produire ces huitres-là. Ce sont des huitres qui sont vendues environ 3000 euros aux écloseurs – une huitre, une tétraploïde – sous scellé etc… Mais une huitre comme celle-ci qui se retrouverait perdue dans le milieu naturel pourrait stériliser le milieu en 1 ou 2 générations. Donc nous on est contre ça.
Les écloseries. Y eu les maladies, des épisodes dans le milieu naturel. On est complétement dépendants de ça. Maintenant en 2006/2007, on était un peu près à 240 000 tonnes d’huitres produites en France, pour 140 000 tonnes d’huitres vendues. Surproduction. Surproduction ça veut dire aussi concentration des maladies et de virus. Comme dans les élevages agricoles, c’est le même principe. On met une personne avec la grippe dans une pièce avec d’autres qui ne l’ont pas, y a plus de chance qu’ils l’attrapent. Donc on n’avait pas besoin de ces écloseries. Elles existent quand même pour pallier à un manque éventuel dû à ces maladies, c’est un peu le chat qui se mord la queue. Donc on crée des huitres pour lutter contre les maladies qu’on a créées.
Maintenant l’huitre naturelle, dite sauvage, est dite invasive. Invasive pourquoi ? Parce que y a plus de gestion des stocks, tout simplement, parce qu’y a les écloseries.
Si y avait suffisamment de pêcheurs à pied pour aller cueillir les huitres sur les bancs naturels et avec une gestion du stock et du renouvellement de la ressource, pourquoi on aurait besoin des écloseries ?
Ceci dit c’est vrai qu’il peut y avoir des maladies externes, pas forcément dues à l’être humain, mais je n’y crois pas trop. L’huitre elle existe depuis des millénaires, on en trouve des fossilisées dans les Pyrénées. C’est une espèce rustique et qui peut être invasive si on ne la gère pas comme il faut.
Qre : J’ai pu lire dans le livre, que vous étiez « ostréiculteurs traditionnels », donc travailler et être directement dépendant de la nature, ça vous demande des connaissances particulières sur son fonctionnement… ?
Rtv : Je pense qu’au départ Jean-Noël c’était empirique. On constate au fil des années qu’à tels endroits ça pousse mieux. Si on met une huitre ici ou là ça fonctionnera mieux. La science a permis d’avoir pas mal de réponses à ces questions.
Une huitre se nourrit de plancton. C’est comme sur la terre ferme, au moment du printemps, le soleil, la photosynthèse et la chaleur, bloom – ça s’appelle un bloom de plancton – croissance de l’huitre phénoménale. Donc là les huitres sont en pleine pousse, y a une espèce de dentelle qui se développe tout autour, c’est la coquille qui grandit. Pour revenir sur les blooms, il y en a un au printemps et un à l’automne.
A l’automne c’est dû à l’arrivée d’eau douce venue des terres, qui a transporté, les sédiments, les nutriments et les sels minéraux qui arrivent dans l’eau et qui produisent un autre plancton et qui permet de se nourrir correctement. Les élevages n’existent qu’à la confluence des eaux douces et des eaux salées. Parce qu’y a que là qu’il peut y avoir du plancton. Le plancton c’est le début de la chaîne alimentaire. Donc si y a bien une espèce à préserver, c’est bien le plancton.
Qre : Vous arrivez à identifier vous-mêmes les facteurs qu’il peut y avoir si d’un côté ou de l’autre y a moins de production ?
Rtv : On ne sait pas forcément dire à quoi c’est dû. Ça peut être le courant, il va mieux distribuer l’eau à travers les poches et ça va mieux les nourrir etc… Ça peut être le sol aussi, selon la façon dont il est travaillé, car élever une huitre c’est juste la jeter et attendre qu’elle se développe. Il faut que le sol soit suffisamment dur pour que l’huitre ne s’envase pas et que l’huitre ne se retrouve enfouie sous la vase, là où elle ne pourra pas s’ouvrir et ne pas filtrer l’eau. Si elle filtre de la vase, elle meurt. C’est vraiment un organisme comme nous, avec une bouche, un système pulmonaire, un système digestif etc… Avec sa taille elle ne peut pas filtrer de trop grosses particules, c’est pour ça qu’elle ne filtre que le phytoplancton.
Qre : Cela demande-t-il une gestion particulière du site ?
Rtv : Oui, régulièrement Jean-Noël va avec le chaland, passer la barre et les chaînes pour niveler le sol parce qu’avec le courant y a les petites vagues qu’on voit sur les plages à marée basse. On va trouver au printemps souvent de la végétation qui va se développer sur les parcs au sol, les algues vont se fixer sur les huitres et sur les cailloux, mais elles sont tellement grandes qu’elles vont déplacer l’huitre un peu plus loin. C’est pénalisant, par conséquent il va passer une herse qui va griffer le sol et mettre en suspension les huitres et les algues et tout ce qu’elle va gratter. Un volet situé à l’arrière de la herse va créer une turbidité qui permet de tout mettre en suspension et du coup tout ce qui est lourd va retomber, comme les huitres et tout ce qui est léger va repartir au courant. On fait ça en flot ou en jusant.
Qals : Et quel est l’intérêt de faire ça pour les élevages en poche ou en sol ?
Rtv : L’élevage en poche ça va permettre d’avoir une meilleure qualité de chair car l’huitre n’est pas en concurrence avec un frottement, elle est confortablement installée dans sa poche, elle a juste à attendre que l’eau passe pour être nourrie.
Donc c’est la qualité de chair qui va en bénéficier et la forme car nous ne mettons pas beaucoup d’huitres par poche, elles ont toute la place pour bien se développer et prendre une belle forme.
L’élevage au sol, elles vont au contraire durcir la coquille donc mieux se protéger puisqu’elles vont se défendre. En fait dans l’eau il y a différents étages et la nourriture du bas n’est pas la même que celle du haut (pas le même goût) du coup l’huitre n’aurait pas le même goût en bouche.
Toutes nos huitres ont un stade soit au sol soit en poche pour la qualité des unes et des autres. Et termine leur vie de toute façon en poche pour la qualité de chair.
Qre : Vous expliquiez par rapport au sol, l’utilisation de la herse, comment faites- vous pour gérer durablement les ressources pour la croissance de vos huitres et ainsi les préserver ?

Rtv : Sur la qualité des eaux, cela ne dépend pas que de nous. Elle dépend de tous les utilisateurs du bassin versant. Alors Jean-Noël a été précurseur avec le maire de la commune ici – qui est un agriculteur à l’origine – de ce que l’on appelle le bassin versant de la Ria d’Etel.
C’était au début des années 90, ils ont monté un programme de dialogue entre les agriculteurs et les ostréiculteurs. Parce que l’on sait, tous les fleuves mènent à la mer et tout ce qui passe par la terre, arrive en mer. Donc effectivement y avait une histoire de nitrates, phyto etc…
Pour commencer fallait parler le même vocabulaire car quand agriculteurs parlent de phyto, ils parlent des produits phytosanitaires et les ostréiculteurs quand ils parlent de phyto, ils parlent du phytoplancton. Ce n’était pas du tout le même langage. Ce qui fait que ce travail -là a donné plusieurs années après, la conscience que tout le monde avait une influence sur le milieu et qu’il faut le préserver. Par conséquent il y a eu la création du Syndicat Mixte de la Ria d’Etel. Un organisme indépendant qui va faire des analyses d’eaux et qui permet de surveiller les usages de la communauté et de la communauté de communes aux alentours.
Je pense que nous avons la chance d’être dans un milieu touristique et aussi la malchance parce qu’en juillet/août, il y a affluence de population, cabanisation, camping, camping sauvage, camping-cars… C’est tout une pédagogie d’informations pour pas que toutes les eaux usées partent en mer. C’est à ce moment-là qu’il y a les pics de pollutions. Les analyses disent, qu’en juillet et août, on est à la limite de l’interdiction de vente parce qu’il y a une bactérie dans le milieu.
Qre : Vous êtes souvent touchés justement par les maladies ?
Rtv : Non on a de la chance sur ce point. Par exemple, la Ria d’Etel est repassée en qualité d’eau A. Y a 4 qualités d’eaux : A, on peut manger l’huitre sortie de l’eau directement, B, il faut la passer dans des bassins insubmersibles pour décanter et pour purifier l’eau et donc l’huitre, C, il faut une purification encore plus lourde avec des machines et des UV et D c’est impropre à la consommation.
Qals : Vous êtes donc passé de B à A ?
Rtv : On est repassé en A. Quand il y a eu la création du bassin versant, la classification n’existait pas, c’était salubre ou insalubre. En fait ils ont été précurseurs de ce que l’Europe allait mettre en place ensuite. Donc ils avaient déjà mis en place les outils de ce que l’Europe allait demander. Une fois que l’Europe a mis les classements ABDC, on a directement été mis en A.
Par la suite on est passé en B du fait du déséquilibre entre l’afflux des populations et du système d’assainissement qui est vétuste qui ne suffit pas pour tout le monde. Tout le monde est acteur de ce milieu.
Qre : Et ce niveau ABCD, il varie d’1 année sur l’autre ?
Rtv : Alors, tous les mois y a une analyse. Quand on est à 3 analyses mauvaises consécutives, on a une menace de repasser en B et pour revenir en A, il faut que pendant 3 ans, les analyses soient bonnes.
Qre : Alors nous sommes un peu dans un contexte environnemental, est-ce que vous avez vu des changements par rapport au plancton, par rapport à la qualité de vos huitres ?
Rtv : Tout à fait, les 2 dernières années, ici en Bretagne, on a eu une pluviométrie totalement insuffisante. C’est-à-dire que nous avons eu moins d’eau douce en mer, donc moins de nutriments et de sels minéraux donc moins de croissance de l’huitre. Le résultat concret, c’est qu’en septembre, quand on commence à lever nos huitres pour la période d’automne et la période de noël au final, sur 100 kg d’huitres qu’on a pêchés, on en a remis 50 à l’eau. La cause ? Elles n’avaient pas la taille qu’elles devaient avoir. Alors que normalement elles auraient dû être prêtes. Là il a fallu les remettre à l’eau pour qu’elles finissent leur croissance.
Qre : Et là c’est une situation que vous aviez déjà vécue ou c’était la première fois ?
Rtv : Non non, c’est déjà arrivé par le passé mais là c’est 2 années à suivre.
On a vu aussi se développer une autre végétation. Depuis le mois d’août de cette année, on a vu une sorte de mousse se développer sur les huitres. Il a fallu les frotter une par une, toute les huitres, pour les nettoyer parce que nous ne pouvons pas vendre une huitre couverte de végétation.
Qals : C’est une algue ?
Rtv : C’est une algue ou une éponge. Y a eu d’abord une éponge et ensuite une algue. En octobre, il a eu ce phénomène et là on ne devait pas brosser mais gratter au couteau les huitres parce que c’était une sorte de crêpe qui s’était formée sur la coquille de l’huitre. Elle s’était collée dessus.
Qals : Vous avez mesuré la température de l’eau ?
Rtv : Ça c’est un travail qui est fait par le Syndicat mixte aussi. On a des relevés de planctons tous les mois et des relevés des températures comme ça on peut savoir si on est au-dessus de la moyenne ou pas. Là on a eu un bon hiver, bien froid, je pense que ça a fait du bien aux huitres. Apparemment oui car il y eu une grosse croissance de huitres en ce moment.
Du coup nous nous dépêchons de vendre nos numéros 3 qui vont continuer à grandir en numéro 2, car il y a plus de demande en 3 qu’en 2, c’est plus intéressant pour nous.
Qre : J’ai appris l’existence du programme CAP 2000, pouvez-vous me dire à quoi cela correspond ?
Rtv : Oui alors comme toute la mouvance du Bassin Versant de la Ria d’Etel. Ici c’est Natura 2000 en mer. On est soumis à des contraintes tous comme les agriculteurs comme par exemple, on ne devrait pas (théoriquement) avoir de cultures ou de pâturages sur une bande de 500 mètres. Sauf que sur la presqu’île on n’a même pas 500 mètres d’un bout à l’autre. Du coup des bandes enherbées ont été mises en place qui servent de filtrage de tout ce qui vient de des terres. Cela doit normalement suffire.
Qre : Et ça a permis d’améliorer la qualité des eaux de la rivière d’Etel ?
Rtv : Oui totalement. En plus ce plan Natura 2000 nous interdit de faire des choses mais pour notre bien.
En fait c’est difficile pour moi d’en parler, parce que c’est tellement intégré, je ne sais même pas ce qui est différent par rapport aux autres. Je sais par exemple pour nettoyer les bassins, on n’utilise pas du tout de produits. Pour nettoyer le bateau non plus, tout est à l’huile de coude, nettoyeurs haute pression…
Qre : Avez-vous de la prédation et des prédateurs qui sont arrivés au cours des années ?
Rtv : L’élevage en poche est dû aux prédateurs. Au départ c’était la dorade royale. Nous on a de la chance, la dorade royale trouve déjà à manger à l’entrée de la Ria d’Etel donc elle ne va pas trop loin, mais ceux qui sont au début de la Ria ils sont bien enquiquinés. L’élevage au sol est moins possible qu’ici. Parce que les dorades royales elles ont 3 rangées de dents, on appelle ça des « gueules pavées », elles vont broyer les petites huitres.
Y aussi l’huîtrier pie, le crabe, le bigorneau perceur… Le bigorneau perceur on en voit hélas de plus en plus, c’est des petits bigorneaux pointus, mais ils vont sécréter un acide qui va faire un trou parfait dans la coquille et qui va fragiliser l’huitre. Malheureusement ils arrivent à se mettre dans les poches tout comme les crabes.
Mais à côté de ça, nous avons les bigorneaux normaux qu’on aime bien, ils vont eux juste brouter. On les met dans les poches pour le naissain – c’est tout petit comme un ongle – on met une poignée de bigorneaux qui va permettre de manger et de brouter la végétation et de garder les poches propres parce que c’est des toutes petites mailles pour le naissain. Et c’est très compliqué de laisser passer l’eau quand la végétation bloque l’entrée de l’eau dans la poche.
Qre : Du coup vous faites plus avec que contre ?
Rtv : On fait toujours avec parce que de toutes manières on y peut rien. On ne va pas empêcher les dorades de venir, on ne va pas empêcher les huîtriers pie de venir se poser etc… Y en a qui se protègent avec des filets, avec ce qu’ils peuvent, mais c’est très compliqué, nous on a juste de la chance.
Qre : J’en déduis que vous êtes complétement dépendants de la nature ?
Rtv : Tout à fait, on est complétement dépendant de la météo, de la marée etc… Là par exemple, coup de chance la marée descend, ils sont en train de faire une marée râteau/fourche. C’est un parc au sol, les huitres ont déjà été draguées au maximum mais il reste des éparses. Alors là avec le râteau ils vont reprendre les huitres égarées à droite à gauche, un autre va secouer la manne et la reposer sur le chaland.
La herse dont je vous parlais toute à l’heure, elle va permettre également d’aérer le sol car la végétation qui va venir se fixer au sol, elle va bloquer l’entrée de la lumière dans la vase et – je crois que c’est dans les 10 premiers centimètres du sol que la vie se concentre – donc si vous stoppez l’afflux de lumière dans ce sol, ça provoque la sulfurisation de la vase, c’est quand elle sent très fort au sol. C’est une bactérie qui va se développer dans le sol et qui va tuer tous les organismes qui s’y trouvent.
Qre : Concernant votre activité, y a-t-il dans la Ria d’Etel, de la concurrence qui utiliserait des triploïdes ?
Rtv : On ne peut pas parler de concurrence parce que nous ne sommes pas sur le même créneau. Ceux qui font de la triploïde ont de l’activité l’été et vont vendre en gros. Nous on a essayé de se démarquer du marché de gros le plus possible, car le marché de gros a des prix qui sont faits par la grande distribution. Naturellement la grande distribution va essayer, le plus possible, de tirer les prix vers le bas, pour faire de la marge. Nous n’avions pas forcément envie de ça. On a une huitre de qualité, qui demande du temps. Là-dessus, Jean-Noël, il y tient particulièrement.
Quand je suis arrivée ici, la première chose que j’ai dit c’est « mais c’est vraiment pas assez cher ». C’est un métier qui est fatigant, épuisant, qui demande beaucoup de temps et pour arriver et à un beau résultat, il faut du temps et beaucoup de travail. Pour dire, avant qu’une huitre soit dans l’assiette, il faut au minimum 50 manipulations. Donc nous on laisse à l’huitre, le temps qu’elle veut pour grandir, on la met dans les meilleures conditions pour grandir, on ne va pas couper l’herbe sous le pied, on ne va pas prélever une huitre qui est trop jeune etc… Si par exemple un client nous demande x kg d’huitres et que nous ne les avons pas, on ne les a pas, un point c’est tout. C’est vraiment la nature qui décide.
Qre : J’ai également pu voir que vous étiez dans le réseau « Cohérence », est-ce que ce réseau apporte un développement de votre filière ?
Rtv : Oui mais indirectement. L’huitre en ce moment ne se porte pas très bien. Cependant, il y a eu une charte qui a été écrite par 3 ostréiculteurs. Elle est utilisée comme repère, elle est fiable.
Concernant le réseau « Cohérence » nous a fait connaitre à Carlo PETRINI, fondateur du réseau Slow Food, et c’est grâce à lui que nous avons pu devenir adhérent Slow Food et c’est aussi grâce à lui que nous avons pu devenir Huitre Sentinelle Slow Food. Espèce en danger du fait des écloseries et des triploïdes et aussi témoins de l’environnement parce que c’est un coquillage qui ne se mange que si la qualité des eaux est bonne et c’est dans la chair de l’huitre que nous savons ce qu’il y a dans l’eau.
Qre : Vous avez eu des collaborations scientifiques, je pense notamment à Pierre MOLLO, pour réussir dans votre activité ?
Rtv : Je pense que Pierre MOLLO a presque tout appris à Jean-Noël au niveau du plancton. C’était son maitre à penser sur ce sujet (rires). On le voit de temps en temps pour discuter de Slow Food, de fermes d’avenir, dans des réunions. Tout ça pour perpétuer ce dialogue, parce que ça fait partie d’un tout. Alors oui d’accord on est affiliés mais nous sommes aussi acteurs de ce qui va se passer à l’avenir.
Qre : Quand on fait partie d’une organisation, d’une structure ostréicole, il faut porter ou avoir des convictions écologiques ?
Rtv : Il ne faut pas non non. Après, comme la nôtre oui mais comme toutes les autres non.
Je pense que c’est un état d’esprit. Moi je pense tout simplement à mes enfants, y a des choses que je pose comme ce qu’ils vont prendre comme petit-déjeuner. Parce qu’avec tout ce qu’on entend sur les céréales et les OGM qui vont avec, et le sucre, etc… je sais plus quoi leur donner à manger le matin. Mais toute la réflexion elle vient de là. C’est les enfants, c’est la santé, c’est la santé de la planète, la santé humaine bref on ne va pas faire un produit à l’encontre de ce que l’on pense nous.
Par exemple, je n’ai jamais de ma vie, mangé une huitre triploïde ou qui venait d’écloserie. En revanche un ostréiculteur qui veut faire du chiffre, qui veut vendre, les 14 hectares il en fera 500 tonnes par an, alors que nous on est à 60 tonnes.
Qre : Justement par rapport à ces ostréiculteurs, vos chiffres sont-ils totalement différents en termes de productivité ?
Rtv : Oui, c’est simple, y a 2 ans j’ai été faire un cours pour devenir ostréicultrice. C’est un stage que j’ai passé au lycée maritime d’Etel. Dans ce stage-là, il y a de la comptabilité. Alors moi je suis arrivée avec le bilan de l’entreprise et puis j’ai posé mes chiffres sur la table et puis le comptable les a regardés et il a dit « non mais ça va pas, ce que tu présentes là ce n’est pas possible, ça ne fonctionne pas, ce n’est pas comme ça qu’on fait ». Nous on part d’un chiffre de stock fixé sur un potentiel, eux ils partent d’un chiffre de vente. Ce n’est pas le même esprit, ce n’est pas la même façon de faire.
On ne pourrait pas nous prendre pour exemple pour la généralité, même pour la production. Tout ce que je sais, c’est que nous sommes rentables, puisqu’on vit.
Qre : Y a-t-il des organisations qui sont là pour développer votre filière, apprendre aux personnes à faire comme vous, mettre en place des sortes de cours ?
Rtv : Alors autre petite histoire, comme le label AB ne nous suffit pas, on a essayé de travailler avec Nature et Progrès avec des ostréiculteurs traditionnels. Comme traditionnels ce n’est pas d’écloseries, a fortiori pas de triploïdes. Pour travailler avec eux, c’est minimum ça.
Malheureusement on n’arrive pas à avancer parce que les ostréiculteurs traditionnels voudraient qu’uniquement les ostréiculteurs traditionnels aient le label Nature et Progrès. Alors qu’il pourrait très bien y avoir d’autres ostréiculteurs qui pourraient avoir le label sans passer par tout ça. Ils considèrent que c’est un danger pour le label. Alors ça c’est déjà un premier point qui ne fonctionne pas.
Ensuite, y a le schéma des structures qui est différent en fonction des régions. Nous en Bretagne on est à 5000 poches par hectare, en Normandie ils sont à 6000 poches par ha, et dans certaines autres régions c’est 4000 poches par ha. Nous on est largement en dessous du coup on s’était dit qu’on allait faire -15% sur ce schéma des structures. Ou alors au minimum 4000 poches à l’hectare, même ça, ça ne fonctionne pas, parce que les entreprises traditionnelles qui sont déjà en place, qui font déjà leurs chiffres en fonction de ce schéma des structures, vont avoir du mal à produire moins alors qu’elles ont un certain nombre de salariés, un certain nombre d’huitres à vendre et de clients à fournir.
Qals : Y a le poids de la structure ?
Rtv : Y a le poids des ans, y a le poids des structures qui sont déjà là effectivement. Ça peut être très très long à avoir quelque chose de plus correct sur le niveau de l’environnement si on veut si mettre.
Qre : Et en France la filière d’huitres naturelles, elle est en quel état ?
Rtv : On n’arrive pas à avoir de vrais chiffres. On va dire qu’au minimum 50% des ostréiculteurs font des huitres d’écloseries. Les écloseurs, disent dans ce qu’ils produisent, que c’est 90% de triploïdes donc on peut vite calculer que y a pas grand-chose en nombre, d’huitres diploïdes, qui sont produites. C’est quasiment rien.
On va dire 50-50 de triploïdes et nées en mer mais dans ceux qui font des huitres uniquement nées en mer, y en a pas tant que ça qui vont s’afficher, au cas où ils auraient besoin de se retourner sur l’écloserie. Au final sur 3000 entreprises en France, on est 90 ou 100, à être ostréiculteurs traditionnels donc huitres nées en mer. Nous ne sommes pas très nombreux à le dire, mais à le faire, sûrement plus.
Qre : Et au sein de cette filière, y a-t-il des moyens, des rassemblements pour essayer de transmettre ce savoir-faire ?
Rtv : Alors 3 moyens principaux : le blog (https://leshuitresnaturelles.wordpress.com/), la page Facebook et les quelques réunions. Mais Jean-Noël est un ostréiculteur à part, parce qu’on arrive à parler avec lui, à partager son métier. Beaucoup d’ostréiculteurs sont ancrés à leur rocher et ont du mal à le quitter, y compris au niveau des idées. C’est très compliqué.
Qre : Mais ce n’est pas comme ça que la filière peur se renouveler et perdurer ?
Rtv : Disons que si le souci ne serait pas que le profit économique, si vraiment les gens voulaient se bouger un peu, ça pourrait mieux marcher.
Après je me dis que c’est tellement compliqué pour une entreprise de changer de fonctionnement, qu’elles n’ont pas tellement envie de s’y engager. C’est vrai que quand y a des emplois à la clef c’est plus compliqué.
Ça ne marche que quand y a des maladies, des grosses catastrophes naturelles, les mortalités de 2008/2009, tout le monde a commencé à se poser des questions. Mais ça n’a pas eu le bon effet, ça a eu l’effet inverse malheureusement. 90% des naissains sont morts, la réaction des ostréiculteurs ça a été de mettre deux fois plus de collecteurs.
La question à se poser c’était pas forcément celle-là, c’est pourquoi y a eu 90% de maladies ? Pourquoi ce virus est venu ? Pourquoi ça ne correspond pas à la densité qu’on avait mise qui était beaucoup trop importante par rapport au milieu naturel. On sait qu’une huitre va filtrer du plancton, on sait les litres qu’elle filtre mais on ne sait pas de quoi, physiologiquement, elle a besoin pour vivre.
Qre : Et ça, un ostréiculteur peut le savoir lui-même ?
Rtv : Bah nous on sait que plus y a de monde à manger à la même gamelle, moins y à manger pour chacun.
Qals : Elles s’affaiblissent.
Rtv : Effectivement, elles s’affaiblissent, elles sont moins résistantes, elles font moins de chair et en écloseries, c’est des huitres qui sont sélectionnées pour leur forme, pour leur chair et pour leur résistance et plus on va dans la sélection, plus on écarte les autres paramètres qui ne sont pas de la sélection donc on perd au niveau du patrimoine génétique. Et les huitres d’écloseries, sont des huitres plus pauvres génétiquement que des rustiques nées en mer, qui résistent aux maladies qui existent, qui sont là et dont on ne connait pas encore les noms. Globalement elles ont muté avec la densité.
C’est la raison de notre achat des 7 hectares y a 4 ans. Nous avons des parcs au bout et ici, et nous voulions éviter la politique de la dent creuse. C’est-à-dire que nous les avons pris pour éviter que quelqu’un vienne et mette des triploïdes. Ce qui aurait stérilisé le milieu au bout d’un moment.
Qre : Y a quand-même une volonté de préserver le milieu, préserver les activités ?
Rtv : Nous oui, pour certains non.
Qre : Tout à l’heure vous évoquiez, la transmission dont votre mari était très actif sur ce sujet, que fait-il, que met-il en place (stages découvertes…) ?
Rtv : Il utilise sa main (rires). Pour des stages il n’a pas le temps. Là officiellement il est en retraite depuis 2 ans. Mais il continue à travailler tous les jours. Parce que la vie a fait que nous avons des emprunts à rembourser etc… Moi il me faut encore 10 ans. Pour avoir ma retraite de la marine, il me faut 15 ans minimum et ses enfants ne veulent pas reprendre.
Concernant les enfants, les 2 premiers ne veulent pas reprendre, tout simplement parce que c’est un métier qui demande un investissement personnel énorme. De plus ils n’ont pas vu leur père de leur enfance, avec en plus son engagement dans le bassin versant, de Natura 2000, de syndicats… Il était très très investi. Aujourd’hui il se rend compte de tout le temps que cela lui a pris et aujourd’hui il a plus envie de tout ça.
Quand il a repris l’entreprise en 1989, l’entreprise était sous des dettes et il a réussi à les rembourser qu’en 2012. Ça montre tout l’investissement qu’il a dû faire pour remettre l’entreprise à zéro.
Maintenant quelqu’un qui veut s’installer, il ne faut pas qu’il compte gagner de l’argent avant 3 ou 4 ans.
Qals : Y a des aides à l’installation ?
Rtv : Oui y a des aides. On peut aussi faire des dossiers de subventions mais la subvention il ne faut pas compter dessus dans l’installation.
Qre : Qui distribue justement ces aides, je pense notamment aux institutions etc… ?
Rtv : La France et surtout l’Europe. Si on prend encore l’exemple de la mortalité de 2008, il y a eu des indemnités mais les gens en ont profité, ils ont déclaré plus de mortalité que ce qu’ils avaient. Du coup l’état les a supprimées. On peut dire que c’est comme les agriculteurs mais beaucoup moins important en termes de moyens. Il n’y a pas la PAC etc…
Qre : Et y a des appuis de l’Europe ?
Rtv : Pour se rendre compte, en Europe 90% de la consommation des huitres est en France, donc nous ne sommes pas la priorité de l’Europe. Nous sommes 4ième mondiaux derrière le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis.
Qals : C’est un milieu très spécifique ?
Rtv : Oui par exemple nous on les mange crues alors qu’au Sénégal c’est cuites, fumées et séchées. On ne fera pas manger des crues aux Sénégalais, on peut essayer mais pas sûr que ça plaise (rires).
Qals : Vous êtes allés au Sénégal aussi ?
Rtv : Oui, 4 fois. On a été par le biais d’« Arradon Terre du Monde ». Nous avons été pour aider les villages à porter le savoir-faire empirique et scientifique par la même occasion car quand les femmes – c’est elles qui vont travailler dans les huitres – ont compris que les huitres se nourrissaient de plancton et que plus elles passaient de temps dans l’eau, plus elles allaient grossir, ça leur a ouvert les yeux. Mais aussi des perspectives d’avenir.
Qre : Et des évènements comme ça permettent-ils vraiment d’échanger des savoirs ?
Rtv : Alors au Sénégal y a deux choses. Nous on est allés, les mains dans les poches, sans argent, et sans vouloir en prendre, ce n’était pas la mentalité. Nous y sommes allés qu’avec du savoir-faire. On a dormi chez eux, on était avec eux, on ne voyait aucun blanc, c’était vraiment qu’avec les Sénégalais.
On a juste aidé à développer quelque chose où il y avait les prémices. C’est-à-dire que les huitres dans la mangrove ça existe depuis toujours, comme en France. Sauf qu’y avait une déforestation de la mangrove au fur et à mesure. En fait, les huitres poussent sur les racines des mangroves, ça fait comme des grappes d’huitres sur les racines et comme on l’a remarqué, les femmes coupaient le bois pour faire cuire les huitres. Donc au fur et à mesure, la mangrove s’est éloignée. Si la mangrove s’éloigne, la mer va remonter plus haut dans les terres et y aura une salinisation des terres donc moins d’agriculture donc moins à manger. Et le problème du Sénégal, c’est de d’abord trouver à manger.
Donc on les a aidés là-dedans. Une association s’est créée, un GIE également etc… Nous pour les huitres on allait dans le Siné Saloum à Toubacouta et on aidait les 6 ou 7 villages qui étaient là. Ces huitres-là, elles devaient être vendues à Dakar la capitale. Ils les vendaient crues, même si traditionnellement ils les mangeaient cuites. Le meilleur rapport qualité prix était de les vendre crues aux touristes à Dakar. Pour donner une idée y a un rapport de 1 à 10 au niveau du prix, donc c’est vachement plus intéressant.
On leur donnait des conseils comme pour les rotations les passer de 1 à 4 par mois, pour éviter la chaleur, trop de temps dans les bassins etc… Malheureusement ça ils ne l’ont pas fait.
A Dakar, il y a 4 responsables qui gèrent l’arrivée des huitres. Ils récupèrent les huitres et redistribuent l’argent aux différents villages. Les femmes ne comprenaient pas pourquoi, elles gagnaient moins à produire plus… On a compris que sur les 4 responsables, y en avait 1 ou 2 qui détournaient l’argent. A partir de là, on a conseillé de dissoudre le bureau du GIE et de réélire des nouveaux responsables. Et là, après les élections, ils ont réélu les mêmes ! Alors pourquoi ça ? C’est le processus démocratique, mais il ne vaut rien face à la hiérarchie et à la tradition. Le chef du village aura toujours plus de compétences qu’un gars qui est 10 000 fois plus compétent mais qui a 30 ans de moins que lui.
C’est-à-dire que tant que ces « problèmes » ne seront pas résolus, on ne pourra rien faire. Nous on leur a donné tous les savoirs qu’on avait, tout ce que l’on pouvait leur apprendre après on peut plus rien faire.
Qre : Et comment vous leur avez appris ?
Rtv : On était avec eux quotidiennement. On a vécu avec eux, on a suivi leur rythme. Et y a particulièrement une marée où on a beaucoup appris.
Pour commencer la région des marées dans la mangrove, ça n’à rien avoir avec ici. Le calendrier des marées n’existe pas. Y a pas de prélèvements de plancton, y a pas de courantologie, c’était tout au « pif ». Et un jour on avait une réunion avec un village, malheureusement c’était un village uniquement d’hommes, un des rares. C’était Sandicoly. Ils étaient partis à la marée, et c’était une marée traditionnelle, du coup ils allaient dans la mangrove et on les a rejoints, on a traversé le bois avec nos appareils photos etc…
On est resté 2h. Je les ai regardés, j’ai pris beaucoup de photos. On a vu qu’ils cueillaient avec des lames de fer, même pas de vrais couteaux, ils décollaient l’huitre du palétuvier et ils mettaient tout dans leur tee-shirt. Et ils remplissaient leur bassine. Il fallait 2h pour remplir une bassine. Dans une bassine y avait environ 30 douzaines. Ils étaient à peu après une dizaine. A la fin de la marée ils rejoignent la pirogue. Et y en a un qui venait pas, du coup la pirogue l’a attendu et la marée elle ne les a pas attendue. Du coup la pirogue s’est échouée. En plus une pirogue c’est super lourd, ce n’est pas possible à bouger. On a attendu sous 45°C. La marée a fini par remonter naturellement.
On a pu voir la durée d’une marée, leur façon de pêcher, la façon dont se présentaient leurs huitres. On a vraiment beaucoup appris ce jour-là.
Mais c’est un travail bien pire qu’ici, ils n’ont pas les équipements, ils sont pieds nus, ils marchent sur les racines de palétuviers sur lesquelles se trouvent des mini-huitres, des sortes de cailloux, ils se coupent etc… enfin ce n’est pas du tout les mêmes conditions qu’en Europe. Ils s’engouffrent dans ces racines entrelacées.
Qre : Par rapport à ces méthodes, vous essayez d’apporter des connaissances européennes ?
Rtv : Quand on est au Sénégal, le fait d’être resté avec eux, on a compris qu’ils vivaient au jour le jour. Il faut l’intégrer pour pouvoir le comprendre. Si on regarde chez eux, il n’y a pas de frigo, le soir il ne reste rien à manger par exemple, c’est vivre au jour le jour. Ce qui fait que prévoir une rotation sur 2 ans pour les huitres, c’est quelque chose de pas compréhensible.
Les femmes elles font tout. Les enfants, la bouffe, le travail. Et le système est différent dans la collecte des huitres. Ici on fait une marée par jour, mais là-bas c’est Dakar qui appelle, qui disent combien d’huitres ils ont besoin et c’est 2 ou 3 personnes du groupe qui y vont.
Donc mettre des poches en place sur des tables, ça sous-entend d’aller tous les jours, les retourner, vérifier, ce n’est pas possible. Les femmes ont déjà les enfants etc… à s’occuper c’est impossible à prévoir. Et de façon naturelle, les poches, ne peuvent pas tenir dans la mangrove, car elles les perforent les poches parce qu’elle continue d’avancer. S’il n’y a pas d’entretien quotidien, c’est impossible à tenir. Nos techniques ne sont pas adaptables.
Les Coréens sont venus avant nous et ont proposé un système de guirlandes, de filières. Les femmes étaient payées à la filière et donc elles posent les fils, nous on va voir et on constate une chose : les fils étaient posés trop les uns à côté des autres. Comme les huitres grandissent, elles se sont collées les unes aux autres, ce qui a fait un mur et avec le courant, le mur tombe et les huitres meurent. Quand nous étions sur place c’était que des choses comme ça, que du constat. Donc on leur donnait des conseils comme dédoubler leurs fils, les mettre uniquement dans des périodes où y a des larves etc…
Pleins de choses comme ça que nous avons essayé de comprendre parce qu’il faut savoir qu’il n’y a rien sur les huitres au Sénégal. On ne sait pas. Au bout de 4 ans, là où il y avait des filières bien posées, et où des prélèvements d’huitres par-ci par-là étaient fait pour leurs besoins, derrière ces huitres là on a vu que les huitres naturelles de la mangrove revenaient. Donc la ressource se refaisait. Donc là c’est les huitres du Sénégal.
Les autres huitres c’est les françaises mais au Sénégal. Ils viennent avec leurs triploïdes ou diploïdes mais dans tous les cas d’écloseries. Ils vont embaucher les femmes, les payer rien, dans un lagon absolument sublime. Et installer leurs poches ici et prendre le marché aux Sénégalais. Parce que ces Français qui sont là-bas ils ont tout un réseau (hôtels, restaurants…) qui vont leur permettre d’enlever le marché aux Sénégalais.
Qre : Tout à l’heure vous avez parlé des Coréens, des Japonais etc, le Sénégal dépend de beaucoup d’aides internationales ?
Rtv : Le Sénégal est un pays qui regroupe beaucoup beaucoup d’aides et de programmes du monde entier mais les Sénégalais sont très forts pour ne pas dire qu’ils ont déjà la subvention d’un programme d’un pays. Il s’est trouvé qu’on travaillait sur le même objectif, à plusieurs, mais sans se connaître. Bref, les Français qui s’installent et qui pillent les ressources, utilisent la main d’oeuvre pas chère, et qui vendent à leurs amis, ça m’écœure.
Qre : Au niveau international, comme ICSF, un réseau qui permet de réunir les ostréiculteurs ?
Rtv : Y a l’Agence Nationale de l’Aquaculture (ANA), on les a vu et on leur a parlé voilà (rires).
Ces organisations sont adaptées à des pays comme le Japon mais au Sénégal ce qui ne comprennent pas c’est que le premier problème c’est de manger, vraiment. Un village où on allait, où les femmes sont d’un courage incroyable, elles font les huitres mais c’est la cerise sur le gâteau quoi.
Elles font un potager pour la famille, le village et toute la concession, elles font leurs nuits dans les champs pour éviter que les singes viennent piquer les graines, la journée on leur demande d’aller chercher les huitres, d’accord mais elles ont les enfants à s’occuper. Il faut être réaliste à un moment. On ne peut pas appliquer les mêmes méthodes, il faut s’adapter au milieu je pense.
Qre : Les Coréens et les Japonais ont mis en place leurs méthodes, ça fonctionne ?
Rtv : Sur le fait oui mais ils sont partis sans laisser le mode d’emploi et en échange ils peuvent prendre les ressources marines au large des côtes sénégalaises…
Qre : Et en France, ils les ont mis en place également ?
Rtv : En France ce n’est pas la peine, on a nos poches, on n’a pas les mêmes prédateurs, les mêmes conditions etc…
Qre : Les techniques que vous utilisez aujourd’hui sont les mêmes depuis des générations, est-ce que vous voyez des évolutions possibles dans ces savoirs faires ?
Rtv : Alors oui sûrement y a des évolutions possibles. Notamment ergonomiquement. Par exemple nous sommes passés des tables de 50 à 80 c’est déjà une grande avancée pour le dos. C’est vraiment inhumain des fois. Y a des progrès considérables à faire.
L’inspection du travail est aussi là pour nous protéger et quand elle demande de mettre des casques etc… c’est pour notre bien pas pour nous pénaliser. Mais ça sera toujours un métier difficile je pense.

Remarques en off

« On est complétement dépendant du milieu. Quand on est le dimanche soir, Jean-Noël ne dort pas bien, quelle que soit la saison, parce qu’il sait qu’il a tant de clients dans la semaine et qu’il prévoit ça tel ou tel jour mais il prévoit aussi l’imprévisible. Et quand il fait son programme le dimanche, le lundi matin quand il ouvre les rideaux, il sait déjà que le programme va changer. Pour plusieurs raisons, le temps, le vent, la marée ne descend pas… C’est vraiment un programme au jour le jour voire même, du matin pour l’après-midi ».
« De plus, nos convictions nous portent à dire et à transmettre mais cela a certaines contraintes qui rendent encore plus longue les journées. Mais c’est un métier passionnant ».
« De toutes manières, ce métier on l’aime et on le fait ou y va pour gagner de l’argent et dans ce cas-là on ne tient pas ».
« Les savoirs ça se transmet de gestes à gestes ».

Bilan de l’interview

Pour rappel, cette enquête auprès des ostréiculteurs et des pêcheurs a pour but d’identifier les « savoirs » qu’ils possèdent et de déterminer toute l’importance qu’à la transmission dans ces milieux.
Cette notion des « savoirs », aussi bien concrète qu’abstraite, permet de rendre état des ressources et d’en déterminer les enjeux d’avenir. A travers ces professionnels qui, depuis des années, des générations, répètent les mêmes gestes pour faire perdurer leur activité, nous pouvons retracer toute l’histoire d’un lieu et d’une pratique vieille de presque 200 ans.
Tifenn VIGOUROUX et son mari Jean-Noël YVON font partie de ceux-là. Ostréiculteurs traditionnels d’huitres naturelles élevées en mer, ils participent, chaque jour, au maintien d’une activité qui existe depuis presque 2 siècles. Les pratiques utilisées pour leur activité, sont des pratiques que leurs grands-pères et leurs grands-mères effectuaient déjà.
Eléments à retenir
Tout d’abord, le lieu dans lequel leur activité se trouve, est un lieu qui se prête idéalement à la culture de l’huitre. Rien que par le nom, l’Istreg, le pays de l’huitre en breton. Il y a la volonté de préserver le côté authentique des huitres en habitant dans un lieu comme celui-ci. De plus, sur la presqu’île une grande partie de la famille YVON y réside, donc respecter la tradition familiale, si nous pouvons nous exprimer ainsi.
Lors de l’interview, Tifenn VIGOUROUX, nous parlait de leur « combat » contre les écloseries et autres huîtres triploïdes qui peuvent, en 1 ou 2 générations, stériliser tout un milieu. Ils sont contre car ces huîtres sont là pour une chose, produire, ce qui n’est pas leur but ! Or lorsque qu’il y a une surproduction, elles favorisent la multiplication des virus et maladies dans les eaux. « On crée des huitres pour lutter contre les maladies qu’on a créées », selon les mots de T. VGOUROUX.
Pour continuer à faire de l’huitre de qualité et non de quantité, ces ostréiculteurs respectent les rythmes de la nature et laissent, tout le temps qu’il faut aux huitres, pour se développer dans les poches. C’est confirmé par le nombre total de poches qu’ils possèdent par rapport aux nombres d’hectares de parcs qu’ils ont. Sur la surface totale, ils pourraient mettre jusqu’à 60 000 poches, cependant, ils en ont « que » 8000 ! Ces huitres vont être manipulées au moins 50 fois avant d’arriver dans nos assiettes. Ces manipulations font appel au savoir-faire ancestral que possèdent ces ostréiculteurs.
Comme nous le savons tous, leur activité est dépendante de multiples facteurs mais l’un des principaux est bien évidemment la qualité de l’eau. Malheureusement eux seuls, ne peuvent rien si les professions ou autres utilisateurs de la terre font n’importe quoi avec. Pour avoir la meilleure possible, Jean-Noël YVON a été précurseur avec un agriculteur pour fonder le Syndicat Mixte de la Ria d’Etel. Ce syndicat mixte permet de réglementer les activités en amont de la Ria d’Etel afin de conserver une qualité de l’eau optimum. A cela s’ajoute la zone Natura 2000 dont ils font partie et qui interdit certaines pratiques pour le bien des utilisateurs de l’espace.
Afin de préserver leurs connaissances et leur savoir-faire, le couple s’est associé à des organismes qui luttent pour le maintien de ces pratiques de production et de ces espèces. Ils ont donc des liens avec le réseau Cohérence, SlowFood ou encore Nature et Progrès. Ils ont également travaillé avec des scientifiques comme Pierre MOLLO, biologiste, enseignant et chercheur, spécialisé dans l’étude du plancton marin, qui a apporté toutes les connaissances spécifiques au plancton pour respecter au mieux le rythme de croissance des huitres et les cycles naturels.
Lors des questions, lorsqu’elle aborde le chapitre Sénégalais, nous avons vite compris que leur ostréiculture n’est pas comparable à celle d’ici.
Ça commence par la localisation des huitres, sur des racines de palétuviers dans la mangrove et non dans des parcs. Ils n’ont pas non plus le matériel adapté aux récoltes. Malgré cela le pays a une volonté de développer cet art car il fait appel aux techniques du monde entier pour améliorer la filière. Nous avons vu que les Japonais et les Sud-Coréens étaient venus proposer leur savoir-faire mais sans l’enseigner correctement.
Ce que le couple a retenu de ce voyage d’observation c’est que les « savoirs » d’Europe ne sont pas applicables partout. D’ailleurs Tifenn VIGOUROUX le dit : « On ne peut pas appliquer les mêmes méthodes, il faut s’adapter au milieu je pense ». Donc oui, maintenir les savoirs traditionnels mais respecter les sociétés et les cultures de chacun. Malgré cela elle évoque quand-même des évolutions possibles pour permettre à ces métiers, d’être moins difficiles car elle le dit, « c’est un métier qui est fatigant, épuisant, qui demande beaucoup de temps et pour arriver et à un beau résultat, il faut du temps et beaucoup de travail ».

Conclusion

A travers ces réponses et son discours bien rôdé, Tifenn VIGOUROUX nous a offert un regard peu conventionnel sur l’activité ostréicole. Globalement abandonner l’aspect économique et miser sur la qualité.
Enfin, cette interview a permis de montrer que les « savoirs » et les coutumes étaient encore bien ancrés dans cette activité et qu’ils ne demandaient qu’à s’étendre à de nouveaux territoires.
Cette transmission des gestes fait appel à la volonté de chacun pour permettre de préserver le patrimoine culturel de l’ostréiculture. Il va de soi que ce travail de transmission, ne peut se faire qu’avec les ostréiculteurs. Tout simplement parce que cela demande énormément de temps et ce temps, leur travail ne le leur donne pas.

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