Costa Rica : Un combat pour faire reconnaître les pêcheurs artisans.

, par  MAKRI, Anita

L’engagement de la FAO pour consolider les droits des petits pêcheurs fait des vagues au Costa Rica.

En Août 2015, le gouvernement du Costa Rica a reçu une lettre d’une toute petite communauté de pêcheurs sur la côte Nord des Caraïbes.

Nichée entre le Parc National de Tortugero et la frontière du Nicaragua, la communauté de Barra del Colorado - environ 2000 personnes - a mené calmement pendant des générations une vie paisible basée sur la pêche à la crevette.

La lettre avait pour objet un vote constitutionnel de 2013 visant à interdire le chalutage -une méthode de pêche qui peut endommager les environnements marins en remontant des espèces de poisson non désirées et en détruisant des habitats sur les fonds marins.

Le vote visait le chalutage industriel et semi industriel. Mais sans faire d’exception pour les pêcheurs qui opèrent à plus petite échelle, pour attraper du poisson pour leur consommation personnelle ou pour le vendre localement et s’assurer un revenu de base. Pour Barra del Colorado et des communautés similaires, cela signifiait perdre le droit à leur seul moyen de gagner leur vie, et leur mode de vie.

« C’est le seul travail que nous pouvons faire ici, » affirme Ligia Mejia Guzman alors qu’elle nettoie soigneusement la prise du jour, crevette par crevette. Ce travail, qui occupe la plupart des femmes dans la communauté, se fait sans protection sociale, laisse des doigts ensanglantés car l’acide attaque la peau, et lui fait gagner environ 20000 colons (35 US$) chaque jour- les bons jours - pour deux courtes saisons de pêche par an. Elle l’a appris dans son enfance et, comme les autres, elle est reconnaissante pour cela.
La lettre a marqué le début d’un combat pour la licence de pêche, qui continue aujourd’hui. Un des alliés de la communauté est CoopeSoliDar R.L., une ONG locale de développement qui a facilité la création d’un consensus - Le Dialogue National pour l’utilisation durable de la crevette - qui implique des institutions gouvernementales, des ONG, et tous les secteurs de la pêche. « Nous avons géré des conflits à la base, de très sérieux conflits, en essayant d’atteindre un équilibre entre la conservation marine et l’usage durable de ces ressources qui apportent le développement à beaucoup de gens. » déclare Vivienne Solis Rivera, une biologiste de CoopeSoliDar.

L’ONG travaille à Barra del Colorado pour développer la capacité de la communauté à récupérer ses permis. Ce qui nécessite des recherches, des ateliers et de s’organiser pour participer aux débats, un travail dont Solis Rivera dit qu’elle bénéficie d’un gros coup de main pour le faire depuis qu’elle dispose d’une nouvelle boîte à outils : un ensemble de Directives Internationales pour Sécuriser les Pêches Durables à Petite Echelle, adopté par l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) en Juin 2014. Résultats d’une longue consultation avec plus de 4000 acteurs du secteur, de plus de 120 pays, les Directives sont « le premier instrument international entièrement dédié au secteur de la pêche artisanale, extrêmement important - mais souvent ignoré jusqu’à maintenant », selon la FAO. Elles mettent l’accent sur les droits des pêcheurs artisanaux et offrent des principes pour la gouvernance et le développement du secteur. Le Costa Rica n’est d’aucune manière unique dans le fait de mettre à l’écart les pêches artisanales. Mais la FAO croit que c’est le seul pays à inclure les directives, qui sont volontaires, dans son plan de développement national. Ce qui en fait un cas que l’agence des Nations Unies observe attentivement.

Eaux troubles

L’effort a été l’objet de controverses en confrontation avec le fort engagement du pays pour la conservation, qui a vu plus du quart de son territoire désigné comme terre protégée.

« Il existe un vrai conflit avec le programme environnemental » selon Solis Rivera, en faisant remarquer que de grandes campagnes ont considérablement fait pencher la balance. Elle croit que les directives y ont ajouté un contrepoids essentiel : pour CoopeSoliDar et le service national de gestion de la pêche, INCOPESCA, les avoir en main a permis que les préoccupations de la communauté gagnent plus de poids dans la politique de gestion. Elles donnent aux petits pêcheurs une présence, et ceci, dit-elle, en fait des perturbateurs. Selon Nicole Franz, une analyste de la pêche qui mène le travail de la FAO sur ces directives, de tels conflits ne sont pas inhabituels. « Nous voyons bien qu’à certains moments il y a des tensions. », dit-elle, en citant un manque de dialogue entre les agences et les ONG qui mènent les différents programmes. Elle espère que les directives offrent une « base pour une collaboration constructive ». A une réunion convoquée par la FAO l’année dernière, au Centre Bellagio de la Fondation Rockefeller en Italie, des délégués du monde entier ont accepté de travailler sur des indicateurs pour suivre l’application des directives à travers des projets pilotes.

Solis Rivera, qui a participé à la réunion, croit que les directives peuvent faire la différence en « concrétisant » une série d’enjeux concernant la politique qui affecte les petits pêcheurs. « Quand les directives ont été approuvées (au Costa Rica), nous pouvions vraiment avoir un outil qui pourrait être utilisé pour fournir plus d’arguments à la nécessité de cette approche qui considère les droits de l’homme comme la principale ossature de la conservation, »

Les pêcheurs qui emmènent leurs bateaux à quelques kilomètres de Barra del Colorado, juste là où l’embouchure du Rio Colorado se confond avec la mer des Caraïbes, ne prennent que la quantité de crevettes qu’ils peuvent vendre aux mareyeurs locaux, plus un petit pourcentage pour chacune de leurs familles. Ils « savent » que leurs filets ne ramassent pas autant de faune que les autres chalutiers. Pourtant il faut des études pour persuader le gouvernement du Costa Rica - et c’est ce que la communauté a commencé à faire, avec l’aide de CoopeSoliDar. Solis Rivera déclare que les directives ont aidé à sécuriser le temps et l’argent nécessaires à la recherche. Depuis Février, par un permis temporaire de « recherche », les hommes ont continué à pêcher légalement tout en rassemblant des informations sur la durabilité de leurs pratiques.

Ce permis doit expirer bientôt. Lors d’une réunion la semaine dernière, la communauté a appris que les premiers résultats d’une étude commandée par CoopeSoliDar sont prometteurs.

Garder l’équilibre

Quand on en vient aux preuves sur le chalutage, Solis Rivera déclare que le diable est dans le détail : dans certains cas la pêche semi-industrielle est moins dommageable qu’une flotte de petits chalutiers. Elle soutient que la réponse ne consiste pas à interdire le chalutage, mais à le gérer et à regarder les spécificités de chaque cas.

« Le chalutage par de petits bateaux le long de la côte est en effet différent de celui pratiqué par les grands bateaux industriels. » dit Tony Charles, professeur et chercheur à l’Université Sainte Marie au Canada, et directeur du Réseau Community Conservation Research. Il soutient le fait que la bonne approche est un mélange de mesures en fonction du type de pêches, des espèces et de ce qui marche dans une zone particulière.

Jesus Chavez, président de l’association des pêcheurs et principal signataire de la lettre qui protestait contre l’interdiction, affirme « que les conditions dans les Caraïbes sont très différentes (du reste du pays), et que l’activité est très différente ». Jorge Jiménez est le directeur de MarViva, une des ONG de conservation locales qui est en faveur de l’interdiction du chalutage. « Il n’y a pas de preuve qui permette une exception, » selon lui, et il ajoute que la recherche montre clairement que cette technique menace l’environnement aussi bien que les ressources dont les pêcheurs artisanaux dépendent.

Jimenez déclare que la conservation devrait être focalisée sur le bien être à long terme des communautés, mais il pense que ça ne peut pas se construire sur la destruction des ressources marines. « Une révision des pratiques de pêche existantes… assurant de meilleurs prix pour les produits des pêcheurs… et le bienêtre de l’écosystème est l’équilibre que nous avons besoin d’atteindre. » Charles soutient que les pêcheurs peuvent être entraînés à se tourner vers de nouvelles méthodes – mais si le chalutage est l’unique possibilité, il est important de trouver un compromis et de travailler avec eux pour réduire son impact. « La conservation ne peut pas être réussie par une seule action » comme une interdiction des chaluts, dit-il. « Un gouvernement devrait-il imposer une interdiction des chaluts aussi drastique alors qu’elle affecte gravement ceux qui comprennent le mieux l’habitat marin côtier et sont les plus à même de se soucier de conserver le poisson et l’océan ? Cela ne semble pas être le meilleur chemin. »

L’information et le pouvoir

D’autres communautés luttent aussi pour avoir un permis officiel de pêcher. Un groupe de femmes pêcheuses de mollusques à Chomes, une communauté de pêcheurs d’environ 3000 personnes sur la côte pacifique du pays, a sécurisé un permis pour seulement une des quatre espèces qu’elles peuvent récolter. Avec l’aide de CoopeSoliDar, elles sont maintenant organisées et recueillent de façon routinière des données sur les espèces de mollusques de leurs mangroves. L’idée est de capter des connaissances qui alimentent ensuite les discussions sur la politique. « Nous avons vraiment besoin de générer des informations qui soient claires pour eux (la communauté), qui soient simples, qui soient dans leur propre langue et qu’ils puissent gérer pour améliorer leurs ressources » dit Marvin Fonseca Borras, un géographe de CoopeSoliDar. De retour à Barra del Colorado, Fonseca Borras mène une discussion avec les pêcheurs et un fonctionnaire du ministère de l’environnement sur une carte qui indique les connaissances de la communauté sur les zones marines et les espèces de poissons. « Les techniques de planification des espaces marins sont probablement l’outil le plus puissant que nous avons pour communiquer avec les pêcheurs, » dit-il. « Elles fournissent des informations sur la biodiversité des écosystèmes marins, mais elles nous permettent aussi de réduire les différences entre les différents acteurs. Et elles nous autorisent à trouver des solutions viables au défi qui consiste à combiner la conservation et le développement. »

Cet article a été écrit avec le soutien du Centre Bellagio de la Fondation Rockefeller. Pendant presque 60 ans le Centre Bellagio a soutenu des individus qui travaillaient pour améliorer la vie des personnes pauvres et vulnérables globalement à travers ses programmes de conférences et de résidence, et il a servi de catalyseur pour des idées novatrices, des initiatives, et des collaboration.
Du 5 Novembre au 3 Décembre 2018, Le Centre Bellagio accueillera une résidence thématique spéciale sur la Science pour le Développement, avec un groupe comptant jusqu’à 15 universitaires, praticiens et artistes dont le travail est avant-gardiste, informatif, communiquant ou inspiré par l’utilisation ou la conception de la science et de la technologie pour répondre aux défis sociaux et environnementaux dans le monde.
https://www.rockefellerfoundation.org/our-work/bellagio-center/conferences/
Traduction : Maximilien Gilles

Voir en ligne : https://www.scidev.net/global/fishe...

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