Les Guerres de la coquille Saint Jacques entre l’Angleterre et la France ne sont qu’une escarmouche pré-Brexit

, par  JOHNSON Magnus, STEWART Bryce

Article paru dans The Conversation le 4 Septembre 2018.

La pêche aux coquilles Saint Jacques suscite la controverse. Les coquilliers vont chercher les coquilles Saint Jacques dans les trous qu’elles se creusent dans le fond de la mer, et dérangent ainsi les algues et toute la vie marine qui vit fixée au fond. Même parmi les grands océanographes, il existe des désaccords sur la question de la durabilité de cette pêche. La plupart s’accordent sur le fait que certains habitats vulnérables comme les prairies sous-marines et les bancs de maerl ne devraient jamais être exploités, mais ils soutiennent que dans d’autres endroits le dragage ne serait pas plus néfaste que les perturbations causées par les tempêtes et les courants.
Les coquilles Saint Jacques sont également rémunératrices - seules les pêches de maquereaux et de langoustines rapportent plus au Royaume Uni.

Tout ceci a mené à des batailles entre les bateaux britanniques et français pour accéder aux zones de pêche de la Baie de Seine, au large des côtes normandes, dans le Nord de la France. Le conflit le plus récent dans ces « guerres de la coquille Saint Jacques » a vu 40 petits bateaux français essayer de chasser cinq bateaux britanniques plus grands. Des pierres ont été jetées et des bateaux sont entrés en collision, mais il n’y a eu ni blessures ni naufrages.
Bien que ce qu’ils étaient en train de faire était dans ce cas totalement légal, la flotte nomade de grands bateaux britanniques ne se comporte pas toujours à son avantage. Plusieurs affaires importantes les ont impliqués pour pêche illégale dans les eaux Britanniques ou Françaises, ou pour ne pas avoir tenu de rapports de captures assez précis, en débarquant des prises accessoires pour lesquelles ils n’avaient pas de quotas, ou dans le cas du Honeybourne III, qui a joué un rôle central dans l’altercation récente, pour avoir débarqué des coquilles Saint Jacques en dessous de la taille légale.
Les pêcheurs anglais de coquilles Saint Jacques ne se sont pas non plus fait beaucoup d’amis parmi les pêcheurs de crabes et de homards. Une minorité de coquilliers suscitent des protestations annuelles de la part des pêcheurs du Yorkshire quand ils emportent tous les casiers à crabes et à homards qui se trouvent sur leur chemin.

Différents pays, différentes règles

Les guerres de la coquille Saint Jacques ont deux causes principales. La première est qu’il y a deux groupes de pêcheurs, qui ciblent les mêmes espèces au même endroit mais selon des règles différentes. Un règlement local interdit aux bateaux français de pêcher les coquilles Saint Jacques dans la Baie de Seine jusqu’au premier octobre chaque année. Mais ce règlement français ne s’applique pas aux bateaux anglais.
Les années précédentes, les pêcheurs français ont persuadé les bateaux anglais plus grands de rester à l’écart jusqu’en octobre en leur transférant des droits de pêche extra européens, pour qu’ils puissent pêcher ailleurs. Cette année, avec la perspective du Brexit, et après que plus de bateaux anglais aient pêché dans cette zone en 2017, cet « accord à l’amiable » s’est brisé.
Bien qu’il soit légal pour les bateaux venus d’Angleterre, d’Irlande et d’autres pays de pêcher dans cette zone avant octobre, cela doit être incroyablement frustrant pour les pêcheurs français. Il y a plus d’une décennie, la France a pris des mesures de gestion hautement progressistes pour sa pêche aux coquilles Saint Jacques, incluant des limitations de permis, des réductions de taille du matériel et des bateaux, des restrictions de temps, et des augmentations de la taille légale. C’était difficile pour les pêcheurs français à l’époque, Mais comme un spécialiste français de la pêche nous l’ a dit une fois : « No pain, no gain. »
Maintenant, les stocks de coquilles Saint Jacques dans la Baie de Seine sont presque à un niveau record, mais des bateaux venus d’autres pays les prennent avant même que les Français ne soient autorisés à aller pêcher eux-mêmes. En comparaison, bien que des efforts soient maintenant faits pour améliorer la durabilité de la pêche aux coquilles Saint Jacques autour du Royaume Uni, les taux de prises déclinent, pendant que le nombre de coquilliers a augmenté, passant de 135 il y a une décennie à plus de 200.

Pas de liens avec le territoire local

La seconde cause principale est que les navires nomades anglais et d’autres pays n’ont aucun lien avec la communauté locale qui dépend des coquilles Saint Jacques dans la Baie de Seine. Les petits bateaux, comme ceux utilisés par les Français, ont un rayon d’action limité et dépendent entièrement de ce qu’ils peuvent prendre dans la zone. Dans de telles situations, quand il y a des liens étroits et des communautés d’intérêts, les pêcheurs sont bien plus enclins à développer des accords informels en considérant qui pêche à cet endroit.
Bien sûr, de telles tensions marchent dans les deux sens. Pendant de nombreuses années, les Français ont pêché le bar au chalut dans la Manche, causant du tort aux pêcheurs anglais à qui cela était interdit du fait des risques de captures de trop de dauphins, par mégarde. La pêche française a seulement été stoppée par l’Union Européenne quand les stocks de bar se sont effondrés.

Une escarmouche pré-Brexit

Aucune partie n’est sortie de cette ornière. Il est possible que ce que les bateaux anglais ont fait en pêchant dans la Baie de Seine ait été légal, et la réponse française bien trop agressive, mais il auraient dû savoir qu’ils cherchaient des ennuis et leur propre réaction a été trop forte et peut-être illégale.
Comme l’a souligné Barry Deas, président de l’organisation nationale des pêcheurs, ceci n’est qu’une escarmouche avant la bataille du Brexit. Les bateaux venus d’ailleurs en Europe prennent plus de poisson dans les eaux du Royaume Uni que la flotte britannique et beaucoup de pêcheurs voudraient voir des réformes qui remettraient en cause ce qu’ils considèrent comme une injustice. Le problème est que la plupart des poissons ne sont pas des coquilles Saint Jacques, qui se déplacent rarement, mais des poissons qui font au contraire des migrations annuelles à travers les frontières internationales. Empêcher la pêche dans une seule zone ne réduirait donc pas nécessairement l’accès aux stocks.
En l’absence d’accords internationaux robustes qui s’occupent des stocks plutôt que des zones de pêche, et qui respectent le fait que les poissons n’ont que faire des frontières humaines, la Mer du Nord pourrait devenir la nouvelle Méditerranée, où de mauvaises législations et des désaccords entre l’UE et les états qui n’en font pas partie ont abouti à un déclin brutal des stocks. A la pointe des mouvements réguliers de poissons, les pêches en Mer du Nord seront mises à l’épreuve par les migrations de poissons hors des eaux britanniques induites par le changement climatique (ce qui est déjà évident avec le maquereau).
Pour faire face au Brexit nous devrions viser à améliorer les relations internationales, au lieu de les dégrader. Sinon, les stocks de poisson et l’environnement marin vont certainement souffrir le plus - au point que tout le monde perdra.

Magnus Johnson
Senior Lecturer Environmental Marine Biology, Université de Hull
Membre individuel de NFFO
Bryce Stewart
Lecturer in Marine Ecosystem Management, Université de York
Membre du groupe de travail du CIEM sur la coquille St jacques, de Marine Conservation Society et du Yorkshire Wildlife Trust

Traduction Maximilien Gilles

Voir en ligne : http://theconversation.com/scallop-...

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