Point de vue de pêcheurs sur l’état de la pêche dans un port de Californie, Port San Luis.

, par  STARKEY, Glen

Ce point de vue de jeunes pêcheurs d’un petit port au nord de Los Angeles en dit long sur la pression subie par les derniers pêcheurs soumis à des ONGE puissantes en Californie. La puissante The Nature Conservancy est ainsi propriétaire de droits de pêche qu’elle loue ensuite aux pêcheurs qu’elle a choisis en fonction de sa vision de la durabilité de la pêche, bien différente de celle des pêcheurs. Il faut y ajouter les nombreuses réserves et concessions pour le pétrole. Une illustration de ce qui attend les pêcheurs dans le reste du monde quand les ONGE auront pris le pouvoir.

Publié dans News Times le 20 septembre 2018

People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), le California Fisheries Fund, la Moore Foundation, le Pacific Fisheries Information Network, le National Ocean Economics Program, le Pacific Fishery Management Council, et le Resource Legacy Fishery Fund ne sont que quelques-uns des nombreux groupes surveillant la pêche professionnelle, sans parler des groupes de surveillance du gouvernement tels que California’s Fish and Game Commission, le Department of Fish and Wildlife, le California State Coastal Conservancy, et le Ocean Protection Council, ainsi que des groupes de surveillance fédéraux tels que le National Marine Fisheries Service et Sea Grant.
Cela fait beaucoup d’yeux scrutant tous les mouvements des pêcheurs, et chaque pêcheur professionnel doit travailler en sachant que toutes ses pratiques seront examinées. Au fil des ans, des pratiques de pêche autrefois communes ont été bannies, des zones de pêche sont sous un statut de protection, et une réglementation accrue a rendu la pêche professionnelle plus difficile et moins viable. La plupart d’entre nous ne connaîtront jamais le quotidien de l’activité, mais un groupe de pêcheurs locaux a offert son point de vue sur le boulot qu’ils aiment.

Le débutant

Justin Jewell a vu l’annonce sur Craigslist : recherche matelot, bateau de pêche professionnelle. Jewell, surfeur depuis longtemps et ancien joueur de Water-Polo de l’équipe nationale, a toujours adoré la mer et était à la recherche d’un emploi plus physique. Il travaillait dans le commerce de détail pour récupérer d’un dos cassé, après un incendie de maison en Indonésie, où il avait été surfer et faire de la photographie de surf. Il pensait, la pêche professionnelle ? Pourquoi pas ? Il a appelé le numéro.
« Pour les matelots, fondamentalement on vous donne une chance », a déclaré Jewell. « Vous vous montrez, vous sortez, et le capitaine vous garde aussi longtemps que vous rapportez »
Le premier travail de Jewell a été une marée à Half Moon Bay. Il a dépensé 500$ pour obtenir ce dont il avait besoin (un permis de pêche, un ciré, des gants, des bottes, un couteau), une bonne nuit de sommeil, il s’est réveillé le lendemain à 3h30, et il est parti.
« C’était une marée de deux jours, ma première fois sur un bateau », rappelle Jewell. « Mon niveau d’excitation avait monté en flèche. Le premier jour s’est bien passé. Nous nettoyions des lignes et des bouées, quelque chose que vous faites rarement, mais je ne le savais pas à l’époque. »
Pensez-y comme un baptême du feu, un moyen pour un capitaine de séparer les travailleurs des fainéants. Le deuxième jour, ce n’était pas aussi excitant.
« Se réveiller le lendemain à 4h du matin sur le bateau, il n’y a pas de confort, pas de douches, pas d’intimité », se rappelle Jewell. « J’ai mis de nouvelles chaussettes et je suis allé chercher l’appât préparé pour ce jour-là. Ce qui m’a frappé c’est à quel point j’ai été content que ce fut seulement une marée de deux jours. »
Jewell, 38 ans, est à la pêche depuis moins d’un an, mais il est resté quand beaucoup de matelots à l’essai ne le font pas. Ça a l’air super au début. Qui n’aime pas pêcher ? Aller sur un bateau et être dehors ? La pêche professionnelle n’est pas une sortie de pêche en bateau avec une bière. C’est difficile, exigeant du travail physique, souvent dans des conditions météorologiques difficiles. Certains matelots ont le mal de mer, d’autres ne peuvent pas supporter l’odeur, et certains sont dégoûtés de couper des appâts toute la journée. Ce n’est pas pour des mauviettes.
Jewell est maintenant pêcheur de crabes du Pacifique sur le bateau de 47 pieds du capitaine Michael Cohen, Aigle, qui pêche le crabe et le saumon à partir de Port San Luis. Il pense qu’il est maintenant assez à l’aise. Il a commencé à pêcher des anguilles gluantes, parfois appelées myxines parce que cela semble beaucoup moins dégoûtant. Piégées vivantes, les anguilles sont expédiées en Corée, où elles sont considérées comme un plat de choix. Au cours des six derniers mois, il a pêché le crabe avec Cohen.
Les crabes dormeurs du Pacifique sont les meilleures prises des pêcheurs de crabes, mais ils sont saisonniers, donc jusqu’à ce que la pêche rouvre le 15 novembre, Jewell et Cohen vont attraper les crabes dormeurs qui sont autorisés toute l’année. C’est un travail difficile. Ils sont habituellement sur le bateau à 5 heures du matin et se dirigent vers leurs filières de casiers à crabe, et après avoir travaillé pendant 12 heures environ, ils reviennent au port, déchargent, nettoient le bateau, et le préparent pour la prochaine marée.
« Une chose que je n’ai pas réalisée quand j’ai commencé, c’est qu’il n’y a pas de pauses déjeuner. Le bateau ne s’arrête pas », remarque Jewell. « En gros, il faut planifier quand on va manger, aller boire un verre d’eau, aller vers les toilettes - ou ce qu’on appelle le « head » -entre deux filières, ce qui prend peut-être cinq ou dix minutes. »
Il y a environ 20 casiers sur une filière, et chacun doit être remonté à bord, trié - retour à la mer des mauvaises espèces, les crabes pleins d’œufs, les crabes trop petits, etc. - avant de ré-appâter et de le remettre à l’eau. Même en utilisant un palan hydraulique, le travail est épuisant.
« Des pognes de crabier - honnêtement, je commence juste à m’habituer. Pendant deux à trois mois de chaque saison vos mains ont des crampes à force de saisir les casiers, les lignes, en poussant et tirant. Tous les muscles et les tendons de vos mains se crispent et se prennent cette forme de crabe », explique Jewell, en tendant les mains comme deux pinces.
Actuellement, lui et Cohen s’occupent d’environ 200 casiers à dormeurs et les vérifient environ deux fois par semaine. S’ils marchent bien, ils les laissent là où ils sont. S’ils ne marchent pas, ils doivent les déplacer, ce qui est un travail intense. Quand la saison de dormeurs du Pacifique commence, ils auront plutôt 250 pots, ce qui, selon Jewell, est « probablement le maximum que deux hommes peuvent faire en une journée. » La grande différence est qu’ils vont les vérifier environ cinq fois par semaine.
Habituellement les matelots ont un pourcentage de la capture du jour - les bons jours, ils vont faire plus d’argent ; les mauvais jours moins - donc un matelot en plus est un calcul financier pour un capitaine. Cohen peut être en mesure d’ajouter plus de filières de casiers et de faire plus d’argent avec un autre matelot, ou peut-être pas. C’est toujours lui qui paie pour l’entretien du bateau, le carburant et les appâts.
Lorsque vous êtes le seul matelot, vous déclarer malade ou décider que vous n’avez pas envie de travailler ce jour-là n’est pas une option - si vous voulez garder votre emploi.
« La chose la plus importante pour moi est de rester physiquement en bonne santé », admet Jewell. « Je dois mettre le bon carburant dans mon réservoir. Si je bois un Coca la veille de la pêche, je me retrouve avec le reflux acide le lendemain. Quand je me réveille et je ne me sens pas à 100 pour cent, il faut vraiment se pousser mentalement et physiquement. »

La pêche s’adapte

Le patron de Jewell, Cohen, 40 ans, est une sorte de roi de Port San Luis. Son père Barry Cohen a construit Olde Port Inn planche par planche, en collaboration avec Leo Brisco, de Brisco Road Fame, pour faire de Port San Luis un port de pêche professionnelle qui fonctionne. Le frère aîné de Michael est Leonard Cohen, qui était propriétaire de Olde Port Inn mais possède maintenant des restaurants spécialisés dans les fruits de mer Ciopinot Seafood Grill et La Esquina Taqueria à San Luis Obispo.
Michael Cohen est le premier à admettre que la pêche professionnelle n’est pas faite « pour tout le monde ». Il a commencé en 1996 à l’âge de 18 ans, achetant finalement son propre bateau pour la pêche au saumon avant de prendre un plus grand, l’Aigle. Il a également créé et dirigé le marché aux poissons sur la jetée, mais il a depuis vendu. Lui et Howie Kennett gèrent encore une glacière sur la jetée. Avec 22 ans d’expérience, Cohen a vu la pêche locale passer par des hauts et des bas, et en ce moment il dit que cela va bien pour lui (pas « très bien »).
Bien sûr, la compétition n’est plus ce qu’elle était. Cohen se rappelle le début de sa vie, quand Port Saint Louis avait beaucoup plus de bateaux, dont beaucoup étaient des chalutiers, qui traînaient d’énormes filets sur le fond.
« Nous avions ici une flotte différente » remarque Cohen, et « entre les agences gouvernementales et les groupes de défense de l’environnement, la pêche locale a été l’objet d’attaques. »
« Le gouvernement a lancé un grand programme de rachat de permis des chalutiers du fait de la mobilisation des groupes de défense de l’environnement pour se débarrasser du chalutage » Selon Cohen. « C’était une époque où beaucoup de gens, les plus âgés, se préparaient à partir à la retraite, alors ils ont revendu leurs permis au gouvernement. Ensuite, The Nature Conservancy, a procédé à un rachat de son côté et a poussé plus de gens à cesser cette activité. Avila a perdu ses capacités de traitement du poisson et tout un groupe de bateaux a disparu en même temps, donc il y a eu une forte baisse pendant quelques temps. Les gens ont commencé à acheter des bateaux plus petits et à pêcher à l’hameçon et aux casiers, et les bateaux d’autres ports ont cessé de venir ici. Quand j’ai commencé à pêcher, je n’ai jamais pensé que je serais un crabier. »
Dans l’évaluation de Cohen, la baisse de l’industrie locale était le résultat d’une sorte de paradoxe sans issue. Les chalutiers avaient des limites de captures très spécifiques, et dépasser ces quotas conduisait à de grosses amendes. Comme il n’y avait aucun moyen de peser les prises à bord d’un bateau, les pêcheurs devaient estimer leur capture, et il valait mieux les sous-estimer que les surestimer.
« Vérifiez ceci, déclare Cohen : Disons que “l’espèce A” avait une limite de 10000 livres sur un chalutier. Les pêcheurs prenaient peut-être 8500 livres et arrêtaient pour éviter une amende. Les scientifiques regardaient les prises et disaient, « oh, ils n’ont débarqué que 8500 livres, alors ce stock de poisson doit être bas, donc nous devrions abaisser la limite à 8000 livres ». Cela semblait aller mal, même si les stocks de poisson étaient élevés ! »
Ajoutez à cela des environnementalistes qui prétendaient que le chalutage dévastait le fond marin. Les pêcheurs comme Cohen ont une appréciation différente.
« Les pêcheurs ont fait beaucoup d’études, y compris des études vidéo, qui ont prouvé que le chalutage ne causait pas autant de dégâts que le pensaient les environnementalistes, prétend Cohen. Nous avions des plongeurs sur le fond, et les filets sont passés juste au-dessus d’eux. La vidéo a montré des poissons rentrant et sortant des filets presque comme s’ils s’en fichaient. Les poissons les considéraient comme une structure dans laquelle se défouler. Les environnementalistes ne voulaient pas voir les faits. Ils sont menés par leurs émotions. »
Des mers en bonne santé
Selon Cohen, les stocks de poisson sont en bien meilleure santé que beaucoup ne le pensent, et le chalutage a en réalité beaucoup de bienfaits.
Pour lui, « Les filets remuaient les nutriments sur le fond, attirant plus de poissons. Nous chalutions une zone et avions une grosse prise et nous revenions et il y avait encore plus de poissons. Bien sûr, il existe aussi des phénomènes que nous ne pouvons pas prévoir. En 1995, les pêcheurs étaient accusés de violer l’océan, et, d’on ne sait où, est venue une énorme horde de rascasses qui s’est montrée le long de la côte. Elles étaient partout pendant quelques mois, et elles sont parties du jour au lendemain. »
Faire du lobbying auprès du gouvernement à propos de leurs fausses évaluations de captures n’a mené nulle part, selon Cohen.
« Je suis allé à quelques réunions mais elles étaient si ennuyeuses que je me suis endormi, a admis Cohen. Mon père a mené beaucoup de combats, et Ray Hilborn, un professeur de Washington (de l’école des sciences aquatiques et de la pêche), qui, je crois, enseignait à des étudiants l’évaluation des stocks et la réglementation, est venu et a dit aux régulateurs du gouvernement : Vous faites exactement le contraire de ce que j’enseigne à mes étudiants »
Le chalutage a maintenant disparu de la Côte Centrale, tous les permis ayant été achetés par le gouvernement et les groupes de protection de l’environnement. Est-ce que ça a supprimé la pression des environnementalistes sur les pêcheurs locaux ?
« Les groupes de défense de l’environnement ne partent jamais » selon Cohen. « Ils attaquent constamment tout le temps, et une fois qu’ils sont arrivés à leurs fins sur un point, ils passent au suivant. Ils essaient maintenant de réguler la pêche au crabe dormeur, ce qui est vraiment idiot. La façon dont nous pêchons est déjà durable, et la pêche fait un travail de régulation formidable elle-même. Nous ne pouvons déjà pas prendre les femelles ni les petits mâles. »
La critique actuelle parmi les groupes environnementaux porte sur les lignes verticales dans l’océan, évidemment nécessaires pour les casiers. L’inquiétude vient de l’enchevêtrement des baleines, dont, au cours de ses 22 ans de pêche, Cohen a entendu parler d’un seul cas, de première main. Grâce aux protections mises en place depuis les années 1970, la population de baleines a explosé. Si l’enchevêtrement était un problème continu, Cohen s’attendrait à en voir beaucoup plus.
Il avait entendu parler il y a un an qu’il y avait un grand nombre d’enchevêtrements, mais on a trouvé dans les baleines des niveaux élevés d’acide domoïque, souvent issus des marées rouges, ce qui peut conduire à la désorientation des baleines qui consomment des poissons contaminés. Une baleine bleue peut manger près de 8 000 livres de krill par jour, et si elle est pleine d’acide domoïque, sa navigation peut être affectée.
« Beaucoup d’écologistes veulent décrire les pêcheurs comme de mauvaises personnes, mais il est dans notre intérêt de garder notre environnement et nos pêches en bonne santé », a déclaré Cohen. « Je suis moi-même écologiste. Quand je trouve un crabe femelle avec des œufs, je le rejette même si je n’ai pas à le faire. Si nous obtenons beaucoup de petites prises accidentelles de poisson, nous nous arrêtons et allons ailleurs. L’environnementalisme est entièrement fondé sur l’argent. Les groupes obtiennent de l’argent des donateurs, donc ils doivent créer un problème - il n’y a aucune raison de donner de l’argent s’il n’y a pas d’urgence. »
La Californie a peut-être l’industrie de la pêche la plus réglementée au monde. Zones de protection marine, quotas, saisons et équipement - tout est réglementé.
« Les gens pensent que nous sommes comme des Vikings violant et pillant l’océan, mais nous voulons faire ce travail pour toujours, et nous ne pouvons pas continuer si nous ne gardons pas nos pêcheries en bonne santé » selon Cohen. « Si les écologistes purs et durs gardaient la raison et faisaient réellement leurs recherches, ils auraient une attitude complètement différente. Si je parlais à un quidam dans la rue, je lui dirais : « Utilisez votre tête. Ne vous laissez pas laver le cerveau par des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent. »
Jewell, debout sur le pont de Aigle, attache des câbles à de grandes caisses noires pleines de crabes dormeurs vivants, et le docker Howie Kennett actionne le palan, les amenant jusqu’au Olde port Pier, où Cohen les guide sur les palettes, où ils seront transportés par des chariots élévateurs pour être triés, pesés, et comptés avant d’être jetés dans énormes citernes d’eau salée, en attente d’expédition aux restaurants locaux.
Aujourd’hui, Cohen et Jewell ont apporté 10 caisses de crabes dormeurs et une caisse de lambis. Les deux hommes sont fatigués mais heureux. Ce n’était pas une capture exceptionnelle, mais ce n’est pas mal, et ils sont tout sourire.
À une époque, cette vieille jetée aurait pu être encombrée de bateaux déchargeant leur pêche, mais aujourd’hui il n’y a que le bateau de Cohen. Qu’y en ait un ou plusieurs, Kennett sera ici tous les jours, sept jours sur sept, pour aider les pêcheurs à décharger les prises de la journée. Il aime bien son travail, mais comme beaucoup de ces hommes endurcis par la mer, il se moque du mode de vie éprouvant des pêcheurs.
« Port San Luis est le point le plus bas au bout de la route où les débris arrivent à la mer », plaisante-t-il. Lui, Cohen, et Jewell ne changerait pour rien au monde. La prochaine fois que vous ouvrez une pince de crabe fraîchement bouillie, pensez-y.

Senior Staff Writer Glen Starkey at gstarkey@newtimesslo.com
Traduction : Maximilien Gilles, avec l’autorisation de l’auteur

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