Créer des Aires Marines Protégées semble être une bonne idée, mais cela peut avoir des effets politiques insidieux.

, par  FARRAN, Sue

Article paru dans "The Conversation" le 8 octobre 2018, par Sue Farran, professeur de droit à Northumbria University, Newcastle.
https://theconversation.com/protected-marine-areas-seem-a-good-idea-but-they-may-have-insidious-political-effects-104201

Les zones océaniques connues sous le nom d’aires marines protégées (AMP) font fureur. Elles n’ont pas de définition unique ou convenue, mais ce sont essentiellement des zones marines où l’activité humaine est restreinte ou interdite afin de préserver et de protéger les habitats et les espèces marines. Il peut s’agir de petites zones côtières ou de très grandes étendues océaniques. Les AMP sont établies par les gouvernements locaux ou nationaux afin de faire face aux menaces réelles ou potentielles qui pèsent sur le milieu marin, de créer des « corridors bleus » et de sauvegarder les aires de reproduction et les nourriceries de diverses espèces marines.

La poussée des AMP à grande échelle est dictée par des objectifs globaux liés aux obligations internationales de la Convention sur la biodiversité 1992. Actuellement, l’objectif mondial est de protéger 10% des Océans du monde d’ici 2020. Mais en septembre, lors d’un événement parallèle à l’Assemblée générale des Nations Unies, le ministre britannique de l’environnement, Michael Gove, a proposé que l’objectif global soit porté à 30% d’ici 2030. Ce n’est pas une idée nouvelle mais cela pose grandement question, compte tenu que l’estimation des zones marines protégées n’atteint au bas mot qu’environ 3% des Océans.

Les défenseurs et les lobbyistes les plus puissants en faveur des AMP à grande échelle sont des organisations environnementales à but non lucratif, des instituts de recherche et des individus qui captent l’attention des médias, comme WWF, National Geographic’s Pristine Seas Initiative, Pew Trusts, et la Fondation DiCaprio. Les arguments sont que les AMP les plus efficaces couvrent de vastes zones (y compris les récifs, les frayères et les nourriceries des espèces pélagiques comme les sardines ou le thon), où toute activité marine des hommes est interdite, et qui restent fermées à la pêche pour de longues périodes.

La création de telles zones protégées semble être une victoire évidente en termes environnementaux. Mais les arguments scientifiques en leur faveur sont mitigés et non définitifs, notamment en raison du manque de données suffisantes, en particulier des études ayant une vision à plus long terme. Il est difficile de protéger les très grandes AMP, malgré les promesses de recours aux satellites et aux drones. Certaines semblent n’être que des « Parcs de papier ». Il n’y a de « protection » que le nom alors que la surpêche continue toujours.

Les Biens Communs Mondiaux

Les océans sont considérés comme faisant partie des « biens communs mondiaux » et du patrimoine de l’humanité. Et en effet, ils devraient être traités comme tels. Mais dans la course à la qualification « bleue » entre les Nations cherchant à déclarer des AMP de plus en plus grandes, se posent quelques vrais problèmes politiques.

Les AMP à grande échelle ont tendance à être déclarées dans les zones où il y a le moins de chances d’avoir une opposition majeure, surtout de la part des pêcheurs. Les dépendances et territoires d’outremer sont particulièrement populaires. Il est beaucoup plus facile de déclarer de grandes zones marines protégées interdites à la pêche autour de petites îles dans les territoires éloignés d’outre-mer, où vivent
des communautés économiquement dépendantes et faibles politiquement, plutôt que dans des zones côtières où les intérêts commerciaux bien établis et bien dotés s’y opposent avec force.

Le Royaume-Uni, par exemple, a déclaré de vastes AMP autour du territoire britannique de l’océan Indien et de Pitcairn et il propose de le faire autour de l’île d’Ascension, de la Géorgie du Sud, de Sainte-Hélène et de Tristan da Cunha. Il s’est engagé à sauvegarder 4 millions de kilomètres carrés d’océan autour de ces territoires d’ici 2021. Bien qu’il puisse y avoir de nobles raisons écologiques de le faire, il y a aussi des effets politiques importants. Un des documents Wikileaks de 2010 a suggéré que la motivation derrière l’ AMP entourant les îles Chagos était d’empêcher la réinstallation des habitants dans leur patrie. Les habitants ont poursuivi le gouvernement britannique, et, bien que la Cour suprême du Royaume-Uni ait depuis jugé qu’il n’en était rien, il a été généralement admis par la Cour, que la création de l’AMP avait bien ce résultat.

Le Royaume-Uni n’est pas le seul. La France a déclaré une grande AMP autour de la Nouvelle-Calédonie ; les États-Unis autour d’Hawaï ; et le Chili autour de Rapa Nui Rahui (île de Pâques). Les zones protégées les plus importantes sont pour la plupart dans des eaux lointaines. Cependant, la procédure légale de déclaration d’une AMP échappe souvent au débat parlementaire : créées par décret présidentiel ou par ordre de prérogative.

Absence de représentation

Tout cela signifie que ceux dont les moyens de subsistance sont susceptibles d’être touchés par des restrictions ou des interdictions d’activité humaine dans une AMP peuvent avoir peu ou pas d’implication dans le processus décisionnel. Par ailleurs, des promesses sont faites aux populations locales sur les avantages de l’AMP qui ne sont pas assurés ou restent flous – tels que l’emploi dans l’éco-tourisme, de meilleures captures de plus gros poissons dans le long terme, ou les bénéfices de visites d’équipes de chercheurs et de scientifiques.

Cela est lié au fait que la gestion des AMP n’est pas toujours représentative, marginalisant souvent les populations locales ou autochtones. Elle est souvent dominée par les organisations qui ont fait pression pour la création de l’AMP dès le départ.

Les AMP peuvent être parfois utilisées comme une compensation pour les petits états en haute mer pour réduire leurs charges financières et attirer chez eux des investissements ainsi que l’approbation internationale. C’est le cas aux Seychelles, où une dette nationale de 22 millions de dollars envers les prêteurs étrangers a été échangée avec une ONG américaine (The Nature Conservancy) en contrepartie d’un engagement que les futurs remboursements par les Seychelles seront faits à un trust destiné à la préservation de deux grandes AMP.

Il est bien sûr louable de prendre des mesures pour répondre aux préoccupations concernant nos AMP. Mais « l’accaparement des Océans » par la déclaration des AMP est un problème, surtout si les pays acceptent que l’objectif le plus élevé soit atteint dans un temps limité. Il y a déjà des appels à la prudence afin que les promoteurs et les lobbyistes adoptent des directives éthiques et des idées pour de meilleurs modèles de gestion plus équitables. Le ciblage des petits états insulaires et le rôle des organisations sans but lucratif dans ce que sont, en fin de compte, des décisions politiques, doivent être remis en question.

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