Infos toxiques sur la pêche et les océans Le choc des chiffres et le poids des mots.

, par  LE SANN Alain

Lorsqu’approche une grande date de rencontre internationale concernant la pêche et les océans, il faut s’attendre à la publication d’un rapport d’une ONGE ou l’autre, fondé en théorie sur des données scientifiques, dans le but de susciter dans le grand public le sentiment d’une urgence absolue pour des mesures drastiques de limitation de l’impact de la pêche ; la pêche étant considérée comme l’activité humaine ayant le plus d’impacts sur les océans. Les diffuseurs de ces rapports espèrent ainsi peser sur les décideurs pour prendre des mesures radicales afin de limiter la pêche. Ces alertes sont parfois justifiées et fondées sur des données sérieuses, comme on l’a vu pour le thon rouge, mais c’est loin d’être toujours le cas. Il suffit pour cela de reprendre quelques déclarations récentes pour voir que les données chiffrées ont souvent peu à voir avec des analyses scientifiques sérieuses, et quand ces données sont sérieuses, elles sont présentées de manière à susciter un sentiment de catastrophe nécessitant des mesures d’urgence absolue.

Le WWF et Isabelle Autissier : de l’à peu près aux chiffres fantaisistes.

Dans le magazine Géo d’août 2015 consacré aux océans, Isabelle Autissier, navigatrice respectée et dotée d’une bonne formation scientifique d’ingénieure halieute, distille des données étonnantes. Ainsi, selon elle, « la photosynthèse du phytoplancton et des algues produit 90% de l’oxygène que nous consommons ». Paul Watson le chiffre à 80%. Pour eux il faut absolument gonfler le chiffre pour se faire entendre et renforcer le sentiment d’urgence qui peut générer des dons. Il leur suffirait pourtant de s’appuyer sur les données généralement admises par les scientifiques qui estiment la part des océans dans la production d’oxygène à 50%. C’est largement suffisant pour s’inquiéter de l’avenir du plancton.

Le WWF s’est également fait, avec UICN, le promoteur de l’idée du capital naturel pour remplacer la notion banale de nature. Cela permet de mettre en avant des données assez fantaisistes de calcul de la valeur de ce capital, alors que l’on est loin de connaître l’ensemble des richesses naturelles des océans. Le chiffre avancé est de 24 000 milliards US$. Comment donner du crédit à une telle évaluation ? C’est pifométrique mais cela permet d’attirer l’attention des banques sur les possibilités d’investissements dans ce capital naturel et ses services écosystémiques. Le WWF se donne d’ailleurs pour objectif d’être le conseiller en environnement des banques d’affaires.

Évidemment, pour conforter ses propos, Isabelle Autissier reprend le mythe « il n’y aura plus de poissons sauvages consommables en 2050 », alors que cette affirmation était nuancée par l’expression « s’il n’y pas de changement » dans l’étude originale. Les auteurs ont même reconnu depuis longtemps qu’une telle affirmation était pour le moins exagérée, mais 15 ans après, on la retrouve encore dans les articles de presse, tant elle a marqué les esprits.

Paul Watson, l’écoguerrier sans complexe.

Quand Paul Watson se déplace pour une conférence, il attire les foules fascinées par son image de pirate déguisé en capitaine galonné, ils paient royalement pour écouter ses discours. Il reçoit aussi un excellent accueil dans la grande presse nationale et régionale, Ouest France, Télérama, Reporterre, etc. Je ne reviens pas ici sur son antispécisme végan revendiqué [1], ni sur son cynisme affiché, seulement sur son utilisation de données ahurissantes. En Janvier 2018, dans Reporterre, il affirme que « l’ensemble des chats domestiques consomment plus de poisson que l’ensemble des phoques ». On peut être scandalisé par l’utilisation de poissons consommables par les hommes dans la nourriture pour les chats ; ceux-ci ont en effet, dans les pays riches, un pouvoir d’achat supérieur à celui des pauvres du Sud. Mais sous-évaluer ainsi la consommation des phoques est tout à fait scandaleux. Au Canada, les 9 millions et plus de phoques, qui prolifèrent depuis les campagnes de Brigitte Bardot, dans les eaux du St Laurent et de Terre Neuve, consomment plus de 10 millions T de poissons. L’ensemble des cétacés y consomment 19 millions T quand la pêche représente environ 1 million T, mais évidemment seule la pêche constitue un problème. Les scientifiques considèrent que leur prédation empêche toute reconstitution du stock de morues dans certaines zones comme au sud du Golfe du St Laurent [2]. A l’échelle mondiale, ce sont des dizaines de millions de tonnes qui sont consommées par les phoques surprotégés. Il est devenu impossible de pêcher au filet sur certaines côtes chiliennes ainsi que dans le NE des Etats Unis. Les phoques, pour se nourrir, se contentent de suivre les bateaux qui vont poser leurs filets et se servent. Il est donc impossible que les chats en consomment autant mais de telles âneries permettent de rappeler au lecteur le rôle joué par Paul Watson dans la protection des phoques, ce qui lui assure sa renommée et son financement, alors même qu’il a reconnu que protéger les phoques n’avait guère de sens puisqu’ils étaient loin d’être menacés [3].

« Les équipements de pêche perdus en mer représentent 70% des déchets plastiques. »

La chasse aux déchets plastiques fait partie des grands sujets du moment et c’est heureux. Mais c’est aussi l’occasion pour une association de défense des animaux, « Protection Mondiale des animaux », de réussir un joli coup lors de la rencontre des ministres de l’environnement du G7 à Halifax, au Canada en septembre 2018. Elle réussit à faire croire que « les équipements de pêche perdus en mer représentent 70% des déchets plastiques ». Le G7 fut mobilisé pour mettre fin à ce scandale. Il est nécessaire de prendre en compte ce problème mais il est dangereux de minimiser ainsi les apports terrestres, largement dominants. Bien sûr, les démentis n’eurent pas la publicité de l’affirmation erronée qui fut abondamment reprise par la presse, y compris Sciences et Avenir (21-09-2018), alors que Karmenu Vella, commissaire européen à l’environnement, estime la part de la pêche à 30%, sans aucune certitude [4] ; c’est beaucoup, mais loin de 70%. Comme d’habitude, lorsqu’une énorme erreur est assénée par une ONGE – un chiffre est une donnée scientifique n’est-ce-pas ? – une bonne partie de la presse s’en empare sans aucun regard critique comme s’il s’agissait d’une vérité révélée. Impossible ensuite de revenir en arrière : l’opinion publique a été trop fortement marquée.

« 86% des poissons des étals des supermarchés sont non durables »

A la veille de la décision de l’Union Européenne sur les quotas de pêche, l’UFC Que Choisir a diffusé une étude [5] reprise avec délices par l’ensemble de la presse nationale et régionale, qui a publié ces titres. Les comités des pêches ont eu beau dénoncer les mensonges et les erreurs, leurs communiqués n’ont pas eu le même écho [6], loin de là ; la parole des organisations de pêcheurs est par nature suspecte tandis que celle des ONGE est la seule fondée sur la science. Rappeler que 69% des stocks évalués sont exploités de manière durable en 2018 contre 5% en 2009, ce n’est pas une information qui mérite les gros titres, alors qu’elle traduit une amélioration importante de l’état des stocks qui serait impossible si 86% des poissons étaient issus d’une pêche non durable. Alors que l’enquête de l’UFC ne concernait que 3 espèces représentant 28% des poissons sauvages consommés en frais, la presse a généralisé à l’ensemble des espèces ; on ne fait pas le détail et « Le Monde » pousse même le chiffre à 88%, ce qui témoigne d’une lecture particulièrement attentive de l’étude. Mais la rédaction de l’étude de l’UFC induisait assez naturellement la généralisation.
Évidemment, parmi les critères de la durabilité de l’UFC – qui est uniquement basée sur l’environnement – figurent les engins de pêche. Le chalut est condamné mais, en fin d’article, le conseil donné est de « diversifier les achats en privilégiant les espèces dont les stocks sont les plus fournis, lieu noir, merlan, hareng et maquereau ». Pourtant l’essentiel de ces poissons sont capturés au chalut, qui plus est, souvent par des bateaux industriels, et donc en dehors des critères de durabilité de l’UFC. Mais à ce niveau, on n’est pas à une contradiction près.

« La terre a perdu plus de 90% de ses poissons en moins de 100 ans. D’ici 2048, ils auront disparu, selon l’ONU. »

C’est le tweet publié en janvier 2018 par le compte Sphère Animale qui a plus de 44000 abonnés. Ce chiffre de 90% de poissons disparus est souvent repris et généralisé alors qu’il ne concerne que certaines espèces. Dans le cas présent, on s’appuie même sur une source de l’ONU, mais on ne précise pas laquelle. La référence à 2048 vient d’une étude qui n’avait pas l’Onu pour origine. En août 2015, Télérama ouvre son dossier sur les océans par une longue interview de Paul Watson qui reprend ce chiffre : « Depuis 1945, 90% des êtres vivants des océans ont disparu ». C’est naturellement une fable, mais le journaliste ne pose aucune question pour demander d’étayer une telle affirmation. La quasi-totalité des journalistes n’ont aucune connaissance sérieuse des réalités complexes de la pêche, et c’est tout à fait normal, mais ils font confiance aux discours des ONGE, souvent sans critiquer ou varier leurs sources. Quand on navigue sur twitter, les commentaires qui accompagnent des informations de ce genre sont ahurissants et témoignent d’une opinion publique, particulièrement chez les jeunes, imprégnée par un catastrophisme qui la rend incapable de recevoir des messages positifs. Pourtant, dans nombre de pays développés, des progrès considérables ont été accomplis pour restaurer les ressources, il y a peu de domaines où l’on peut trouver de telles évolutions positives. Il reste encore du chemin à faire mais si on veut retrouver de l’espoir, mieux vaut reconnaître les réussites et les progrès.

« 55% des océans sont soumis à l’impact de la pêche »

Il existe aussi des études très sérieuses et très pointues dont les résultats sont sciemment présentés de manière à accabler la pêche et les pêcheurs. Lorsque d’autres chercheurs reprennent les mêmes données mais présentent différemment les résultats et les conclusions qu’ils en tirent, la vision de l’impact de la pêche change radicalement.
Pour obtenir le résultat de 55% des océans impactés par la pêche les chercheurs ont divisé les océans en cellules de 0,5° et dès qu’un bateau de pêche y intervient, comme on peut le constater sur les données transmises par son système de signalement AIS, toute la cellule est considérée comme impactée ; par contre si on choisit d’autres tailles de cellules, les résultats sont très différents. Avec des cellules de 0,1°, les zones impactées représentent 27% des océans. Mais si on choisit de petites cellules de 0,01°, l’impact constaté ne concerne que 4% des océans [7] . Curieusement, c’est le chiffre de 55% qui a suscité l’intérêt des médias.

Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.

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