Brexit : les illusions des pêcheurs britanniques

, par  LE SANN Alain

Le Brexit approche à grand pas, même si un report de quelques semaines est possible. Dans leur grande majorité, les pêcheurs britanniques sont persuadés que le Brexit leur garantira une multitude d’avantages. Théoriquement, cela est possible mais à deux conditions qui risquent fort de ne pas être remplies pour diverses raisons. Il faudrait que le Royaume Uni puisse pêcher tous les quotas des captures réalisées dans sa ZEE avec l’établissement d’une frontière maritime strictement contrôlée et le maintien de droits d’accès au marché européen dans les conditions actuelles. Il y a peu de chances que cela se réalise comme l’a montré la New Economics Foundation (NEF) dans un rapport documenté sur l’impact du Brexit en fonction de plusieurs scénarios. Seules ces deux conditions garantiraient des améliorations pour l’ensemble des pêcheurs. Dans tous les autres cas il y aurait des gagnants et des perdants.
Mais les gagnants sont généralement dans le secteur de la pêche hauturière.
Griffin CARPENTER, Not in the same boat, the economic impact of Brexit across UK fishing fleets. New Economics Foundation, 2017, 115 p.

La propagande des brexiters

La propagande des pro-brexit a permis de mobiliser les pêcheurs britanniques sur la base d’affirmation démagogiques et simplistes. Ainsi, on peut discuter cette idée que l’entrée du Royaume Uni dans l’Union Européenne s’est traduite par un vol de ressources des pêcheurs britanniques. En réalité, lors de l’établissement de la zone de pêche commune, le Royaume Uni ne contrôlait que ses eaux territoriales des 12 milles et les négociations ont permis de maintenir l’accès partiel à la zone des 6- 12 milles en échange de droits de pêches des britanniques dans les eaux des autres pays et de l’accès au marché européen. Les Anglais avaient abandonné leur pêche hauturière après la perte de l’accès aux eaux islandaises, à la différence des Ecossais ; ils ont même pu bénéficier de droits de pêche supérieurs à leurs captures historiques. Historiquement depuis des siècles, les autres pêcheurs européens ont fréquenté toutes les eaux de la mer du Nord, de la Manche et de la mer d’Irlande. Il est parfaitement absurde de définir la nationalité d’un poisson en fonction de sa zone de capture, car une sole pêchée en mer d’Irlande peut être née dans les eaux de Belgique. En toute hypothèse, le Brexit aboutira certainement à l’exclusion des Européens des eaux territoriales du Royaume Uni, ce qui bénéficiera à la petite pêche côtière, mais c’est le seul avantage qu’ils devraient retirer car ils auront aussi plus de difficultés à vendre sur le marché européen.

Tous les pêcheurs britanniques n’ont pas les mêmes intérêts.

L’analyse de la NEF présente le grand intérêt de différencier les impacts suivant les segments de la flotte de pêche. On peut constater que la petite pêche côtière, qui représente 77% de la flotte, connait une situation difficile. Elle ne dispose que de 1,5% des quotas, mais elle cible essentiellement des espèces hors-quotas (bars, crustacés, coquilles saint Jacques) destinées en quasi-totalité à l’exportation. Par contre la pêche hauturière, en particulier celle d’Ecosse qui est la plus importante, bénéficie actuellement d’un très bon niveau de rentabilité (jusqu’à 19% de marge de profit), grâce notamment au rétablissement des stocks. A celle-ci s’ajoutent les bateaux étrangers sous pavillon britannique dont 20 néerlandais et 40 espagnols. Certains disposent de quotas importants pour des espèces intéressant peu les Britanniques qui n’ont pas voulu investir. Il est donc difficile de parler d’une pêche britannique unifiée autour d’intérêts communs.

Sauf en cas de scénario peu vraisemblable de maintien d’un accès libre au marché européen, le Brexit constitue plus une menace qu’un avantage pour la petite pêche côtière. En effet, n’étant pas concernée, ou très peu, par l’accès à de nouveaux quotas, en l’absence de droits historiques, elle serait la première touchée par les difficultés d’accès au marché européen ; mais il ne faut pas non plus imaginer que le Royaume Uni récupérera automatiquement les quotas des captures réalisées dans ses eaux par les Européens, soit 43% des captures totales dans sa ZEE et 37% en valeur. Les Britanniques ne sont d’ailleurs pas intéressés par toutes les espèces pêchées par les Européens (lançons, merlan bleu, etc.), ils ont reconnu devant les Danois que ces derniers conserveraient leur accès à ces ressources, la question qui reste posée : à quel prix et dans quelles conditions ? Les Britanniques souhaitent aussi conserver l’accès à des ressources de valeur hors de leur ZEE (Coquille Saint Jacques). Le Brexit sera donc suivi d’une période de négociations qui seront longues et ardues pour répartir les ressources et définir les conditions d’accès au marché européen. Les questions juridiques sont complexes à traiter car un pays n’est pas propriétaire de ses stocks mais seulement gestionnaire de stocks qui sont partagés. Les négociations sont déjà difficiles dans le cadre de l’Union Européenne, elles le seront encore plus ensuite quand le Royaume Uni sera un pays tiers, riche en poissons certes, mais largement dépendant de l’Union européenne où il exporte 57% de ses captures.

Source : NEF, Not in the same boat
Le risque est grand d’une surenchère sur les quotas, chacun voulant maximiser ses avantages, mais avec comme résultat une surpêche dommageable pour tous. Pour accéder au marché européen, le Royaume Uni ne sera pas en position facile, il rentrera dans la cadre des négociations de l’OMC, mais il devra faire des démarches pour y adhérer, et les droits de douanes peuvent atteindre 30%. Même en adhérant à l’Espace Economique Européen comme la Norvège, il y aura des droits de douanes à payer et de plus l’Union européenne peut utiliser des armes non tarifaires comme des contrôles stricts pour rendre les exportations plus compliquées. Les avantages de la dépréciation de la livre risquent de ne pas suffire.

Les enjeux pour la transformation

Les premiers à s’inquiéter de l’impact négatif du Brexit sont donc les entreprises de transformation et de commercialisation. Elles représentent plus d’emplois que la pêche elle-même. Aux problèmes de commercialisation, s’ajouteront pour elles les problèmes de main d’œuvre car 80% de leurs employés sont des non britanniques, essentiellement européens. Pour la pêche, il y aura aussi des problèmes de main d’œuvre car plus de 15% des matelots sont d’origine européenne (Roumanie et Lituanie), sans compter les marins originaires des pays du Sud (Philippines).

En fin de compte, le Brexit entraînera-t-il une large recomposition de la répartition des droits de pêche entre Pêcheurs européens et britanniques ? Il y aura

certainement des changements, mais leur niveau est incertain car si l’Ecosse a des capacités pour capturer de nouveaux quotas, tous ne l’intéressent pas. On n’assistera pas à un réinvestissement massif des Anglais dans la pêche hauturière, ils y ont renoncé depuis longtemps : ils n’ont plus ni les hommes ni les savoirs. Seuls, en Cornouailles et dans le sud-ouest du Pays, des armateurs piaffent d’impatience pour fermer leurs eaux aux Européens. Mais ont-ils réellement les moyens d’y parvenir ? Pour maintenir une partie de leurs droits de pêche, les Européens devront sans doute payer comme dans d’autres pays tiers, qui paiera ces droits ? Et qui en aura les moyens ? On assistera sans doute à une longue période de transition et de négociations, source d’incertitudes pour les pêcheurs européens les plus concernés, et cette incertitude peut être fatale pour certains.

Le poids de la pêche anglaise est faible face à l’Ecosse

Plus d’équité dans la pêche britannique ?

Le brexit risque d’augmenter les tensions dans la pêche britannique. Beaucoup de pêcheurs estimeront avoir été floués par de fausses promesses. L’Ecosse, politiquement opposée à la sortie de L’Union Européenne sera confrontée au mécontentement de ses pêcheurs et cherchera sans doute à s’assurer une meilleure part des captures parce qu’elle dispose de la flotte la plus dynamique ; il existe déjà des tensions entre pêcheurs écossais et anglais sur la répartition de certains quotas. Le secteur de la petite pêche côtière fera aussi entendre sa voix pour bénéficier d’un partage plus équitable des quotas. De telles revendications remettent en cause la privatisation des quotas largement favorisée par la politique libérale britannique. Le rapport de la NEF pose aussi la question du devenir des flottes étrangères sous pavillon britannique. Elles ne seront pas remises en causes car les Britanniques n’ont pas les hommes ni les bateaux pour reprendre leurs quotas, mais des conditions plus strictes pourraient leur être imposées comme des obligations de débarquement ou l’embauche de marins britanniques. Ce serait aussi une bonne occasion de remettre sur la table la question de la flotte franco espagnole (60 gros bateaux pêchant les quotas français).

Navigation