Le cinéma et les pêcheurs dans le tourbillon des migrations Au Festival Pêcheurs du Monde,

La 11éme édition du Festival Pêcheurs du Monde (mars 2019, à Lorient), menée par une équipe renouvelée, a tenu ses promesses : le public et les films de qualité étaient au rendez-vous. Le festival a montré une nouvelle fois qu’il pouvait concilier les questionnements sur la pêche et des films de grande qualité, dont beaucoup d’inédits en France. La thématique de la vie des pêcheurs et leurs communautés permet de mettre en valeur des films remarquables qui passent souvent inaperçus dans des festivals plus généralistes. Le festival joue ainsi un rôle important pour faire connaître au public français des films étrangers souvent primés par les deux jurys tout en les plongeant au cœur de la vie des pêcheurs.

Les pêcheurs face aux défis des migrations.

Un quart des films présentés abordaient la question des migrations, dont deux longs métrages couronnés par les deux jurys. « Old Marine Boy » , du coréen Moyoung Ji, nous fait découvrir la vie d’un pêcheur qui a fui la Corée du Nord avec sa famille et pratique une pêche très spectaculaire et dangereuse avec un antique scaphandre. S’il gagne sa vie en risquant chaque jour sa santé, il est confronté à des difficultés d’intégration dans une société basée sur des réseaux difficiles à intégrer. Dans « Voices of the Sea » , le couple de pêcheurs de Cuba est déchiré par les choix opposés de la femme et de son compagnon. Le pêcheur refuse de courir le risque de la traversée et de devenir un travailleur marginalisé dans une ville bétonnée aux Etats-Unis. Il préfère poursuivre sa vie de pêcheur pauvre dans une société corrompue et confrontée à la pénurie permanente ; il peut au moins bénéficier de l’amitié de ses voisins et des beautés de la mer. Sa femme, au contraire, veut un avenir meilleur pour ses enfants et elle veut retenter le passage qu’elle a déjà essayé pour suivre son mari. Celui-ci a disparu en mer, mais elle est entourée de parents et d’amis qui ne cessent de rêver au passage vers la Floride pour échapper à un régime qui ne leur laisse aucun espoir. La réalisatrice Kim Hopkins nous plonge avec justesse dans l’intimité d’un couple chaleureux. Ces deux films primés représentent bien l’esprit du festival ; ils nous font découvrir, comme bien d’autres, les problèmes de nos sociétés tels qu’ils sont vécus et perçus par les pêcheurs et leurs communautés. Leurs problèmes et leurs espoirs sont aussi les nôtres.
Les pêcheurs ont souvent été des migrants pour suivre le poisson mais leurs migrations ont aujourd’hui d’autres causes avec les crises de l’environnement, des ressources, les crises politiques et économiques. Les difficultés à renouveler les pêcheurs et à retenir les jeunes obligent aussi à recourir à des pêcheurs migrants dans beaucoup de pays du Nord, comme le montre le film « La vague à l’âme » , mais aussi dans le Sud.

La mer dangereuse

La pêche reste un des métiers les plus dangereux au monde. Même si les conditions se sont améliorées dans les pays du Nord, un équipage n’est jamais à l’abri d’un accident. Les spectateurs ont ainsi pu vivre intensément, de l’intérieur d’un navire, l’angoisse d’un équipage en panne de moteur dans une mer déchaînée, à 500 km des côtes d’Irlande. Les jeunes collégiens et le public ont été touchés par le film de Frédéric Brunnquell « Hommes des tempêtes » . A ces dangers traditionnels s’ajoutent maintenant de nouvelles menaces liées au changement climatique comme le montre « In Ockhi’s Wake » qui analyse avec précision les origines de l’effroyable bilan de la tempête Ockhi au large du Kerala, en novembre 2017. Il y eut près de 400 morts dans une zone qui n’avait jamais connu de cyclone. Le changement climatique affecte aussi les villages de pêcheurs confrontés à la submersion des côtes. En Casamance, des pêcheurs migrants ghanéens doivent abandonner une île où ils vivent depuis des décennies. En France, ce sont des marais salants vieux de 1000 ans qui risquent de disparaître ; ils ont pourtant résisté à la pression immobilière et touristique mais ne peuvent pas grand-chose face à la hausse irrésistible du niveau marin.

La mer polluée

Chaque année, des films alertent sur les pollutions marines révélant à chaque fois des aspects inattendus et de nouvelles menaces. En Mer du Nord ce sont des millions de tonnes de gaz et d’explosifs toxiques issus des deux guerres mondiales, abandonnés et enfouis sous les eaux, qui menacent de se répandre sous l’effet de la corrosion. Ils menacent gravement la survie de la vie marine, et les pêcheurs subissent déjà leurs effets nocifs quand ils les ramènent dans leurs filets. En Tunisie, le golfe de Gabès est ravagé par la pollution issue d’une usine chimique qui déverse ses résidus depuis des dizaines d’années. Seuls réussissent à survivre des crabes qui pullulent et s’entredévorent, les derniers pêcheurs les appellent les Daesh, les crabes terroristes. Quand la pollution est installée depuis des décennies comme en Méditerranée, il est très difficile et coûteux d’arrêter la dégradation car il faut remettre en cause des activités industrielles importantes créatrices d’emplois. A force de ténacité, des pêcheurs et des élus arrivent cependant à restaurer certains milieux littoraux au moins partiellement comme on le voit dans le remarquable documentaire sur l’étang de Berre, près de la plus grande zone industrielle de France.

Les pêcheurs, défenseurs des ressources et des milieux naturels

Les pêcheurs ne font pas que subir les diverses crises auxquelles ils sont confrontés, ils sont également les acteurs de la défense des océans, de leurs ressources, de leur environnement. S’ils ont pu agir parfois de manière inconsidérée, ils sont aussi parmi les premiers à réagir. Dans son film très attendu « Océans 2, la voix des invisibles » , Mathilde Jounot donne la parole aux pêcheurs engagés dans la défense de leurs ressources et de leur environnement, en France, au Sénégal ou dans l’Océan Indien. Après avoir bousculé certaines idées sur les grosses ONG environnementalistes, elle étonne encore avec ce plaidoyer pour la reconnaissance des capacités des pêcheurs, bousculant les a priori et les clichés sur les pêcheurs destructeurs, incapables de réagir face aux diverses crises qui les menacent. Elle montre également, comme d’autres films, qu’ils savent allier la gestion au niveau local avec l’organisation à l’échelle internationale avec les réseaux régionaux et les forums WFF et WFFP.

Les femmes se mobilisent pour leurs droits et leur avenir

Comme chaque année, le festival a permis de montrer comment les femmes prennent toute leur part pour défendre le futur de la pêche. Des courts métrages ont décrit comment, au Canada, dans les Caraïbes, au Mexique, en France, des femmes s’engagent dans la pêche et s’inquiètent de l’abandon de cette activité par les jeunes dans des régions qui ont pourtant une longue tradition de pêche. Bien sûr, c’est dans les activités post-captures que leur engagement est le plus reconnu. L’association WSI (Women in Seafood Industry) a présenté les films lauréats de son concours international de vidéos. Enfin le prix Chandrika Sharma a été remis cette année à un court métrage qui montre avec force les conséquences de la pollution pour les femmes du Bangladesh qui pêchent les larves de crevettes dans les Sundarbans, le film « Ligne Noire » porte tristement son nom.
Avec plus de 40 films de 16 pays, le festival dresse un tableau contrasté de la situation des pêcheurs dans le monde ; malgré la gravité des crises, il reste des signes d’espoir, des femmes et des hommes qui se battent sans être toujours reconnus. Le cinéma leur donne un visage.

Alain Le Sann, fondateur du festival Pêcheurs du Monde.

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