À la découverte d’un monde qui intrigue et passionne Sortie en mer

, par  ALI Djouma

« Le métier de marin pousse ceux qui le professent à vouloir connaître les secrets de ce monde. » Christophe Colomb
J’aurais pu intituler cet article « Comment j’ai vécu le pire mal de mer de mon existence sans en être attristée »… Laissez-moi vous raconter cette journée unique et mémorable…

Étudiante en master aménagement et urbanisme des territoires littoraux à l’UBS, j’ai eu l’opportunité de faire une sortie en mer dans le cadre de mon stage au sein du Collectif Pêche et Développement. Grace à mon maitre de stage, président de l’association, Alain Le Sann et à Emmanuelle Bertin, membre de l’association. Je suis montée à bord du bateau "Les Océanes", accueillie par Ludovic Bertin, patron, et son équipage de trois matelots (Zac, Jérémie et Grégory).

C’était le 07/05/2019, dans la nuit du Lundi à Mardi vers 3h00, un des réveils les plus matinaux de ma vie. Le départ se passe en douceur, dans une agréable fin de nuit d’encre. Je m’installe dans la cabine supérieure au côté du capitaine pour appréhender un peu ce monde si troublant. Car nombreux sont ceux qui pensent savoir ce qu’est la pêche, mais qui sait réellement ce qui se passe sur cette partie de la sphère, sur ces bateaux, au milieu de la houle, dans le noir ? J’étais donc très excitée à l’idée d’y être pour découvrir comment ça se passe concrètement, que ça soit au niveau de leur organisation, leur manière de faire, leur regard vis-à-vis de ce métier et j’avoue que je n’ai nullement été déçue.
Donc ça y est, l’ancre du bateau est levée, le capitaine descend pour faire tourner les moteurs et très vite nous avançons dans une nuit calme, à la fois apaisante et obscure. Le bateau se met à tanguer. Je ne le sais pas encore mais il tanguera pour la majeure partie de la journée… j’essaie de prendre mes repères. La nuit est noire et les écrans de pilotage m’hypnotisent assez pour tenir loin de moi un début de mal de mer. Je commence à discuter avec le capitaine, enfin … à l’interroger pour être plus précise. J’étais complètement impressionnée par toute cette technologie à bord du bateau et très vite je commence à lui poser des questions sur le fonctionnement (à quoi lui servent les cartes et les cadastres affichés sur l’écran, pourquoi il signale par mail chaque parcours qu’il fait… etc.), sur sa façon de pêcher (comment il choisit ses endroits, combien de temps il décide de rester sur un même endroit, combien de filet il utilise…etc.). Il m’explique vraiment tout dans le moindre détail, un échange extrêmement passionnant et enrichissant pour moi qui suis en train de découvrir le monde de la pêche.

Une petite heure après notre départ, le capitaine va réveiller les matelots qui s’étaient endormi, ils viennent à la cuisine pour prendre leur petit déjeuner et surtout du café, un élément essentiel pour Jérémie, le plus jeune matelot de l’équipage qui m’en propose à plusieurs reprises mais je ne suis pas vraiment fan du café.
Le filet s’apprête à être lâché, le capitaine leur fait signe d’y aller. Les filets sont immenses, les câbles qui les tiennent semblent sans fin. Le bateau tangue. Je suis en première loge pour voir le spectacle. Et entre temps, à l’horizon, l’obscurité laisse place à la lumière, le jour balaye la nuit, et nous voilà à ce moment d’éveil où la nature reprend vie. Je somnole un peu, je me déplace à la cuisine pour aller m’allonger sur le canapé tout en me concentrant sur ma respiration. Je me laisse porter par les flots, et c’est là que commence mon mal de mer. Les nausées, les vomissements commencent et sur le coup tout ce que je veux c’est rentrer chez moi. Je n’avais jamais ressenti ce genre de sensations, c’était « horrible ». Je passe le reste de la journée sur le canapé de la cuisine affaiblie.
J’observe ces marins qui m’ont adopté. Je sens une grande solidarité entre eux, une douceur dans leur regard. Ils s’enquièrent sans cesse de mon état de santé, me proposent à boire, me racontent des anecdotes pour me faire oublier ce mal de mer (surtout Zac), m’installent le mieux possible dans les conditions de confort sommaire qui sont leur quotidien…
C’est le moment de remonter les filets. À l’arrêt le bateau tangue plus encore. Curieuse sensation que de voir l’horizon bouger de 90° en une seconde… Les câbles sont tirés dans un long tintamarre. Il faut guider les câbles de fer puis les lourds cordages lors de cette remontée pour éviter qu’ils s’emmêlent, une tâche confiée au capitaine. Bientôt le filet est à l’air.
Toujours barbouillée je décide quand même d’aller voir, Le produit de la pêche arrive enfin. Des crevettes, des araignées, des poissons …etc. Les mines ne sont pas très réjouies, il y a des jours meilleurs.
On rentre vers 14h, la pêche est triée et nettoyée directement à même le pont dès qu’elle est sortie de l’eau : les poissons d’un côté, les araignées de l’autre et ainsi de suite. Les filets sont ensuite remontés et rangés avec soin et attention, pour qu’ils soient opérationnels dès le lendemain matin. Le pont est ensuite briqué. Je suis les gestes précis de ces trois marins. Chacun sait ce qu’il a à faire, peu de paroles sont échangées.
Malgré des hauts le cœur comme je n’en ai jamais eus, je suis ravie. J’ai conscience d’avoir vécu une expérience unique, rarement accessible. À ma connaissance, il est peu commun de pouvoir accompagner des pêcheurs sur une « vraie » journée de travail.

Ces quelques heures passées auprès de ces marins m’ont appris beaucoup de choses. Tout ce que je savais de ce métier était purement théorique. M. Le Sann dit souvent que la pêche est un métier « noble », je l’approuvais mais je ne mesurais pas réellement le poids de ces mots. La pêche est un métier plus que noble, c’est un métier exceptionnel, un métier qui doit être apprécié à sa juste valeur, c’est un métier de toute une vie.
Ludovic Bertin, le capitaine me montrait sur une carte ou il répertoriait chaque élément du fond marin, une sorte de carte mentale complétée au fur et à mesure des années. C’est impressionnant, « le travail d’une vie entière ! » disait-il. M. Le Sann disait aussi que pour être pêcheur il fallait être doté d’une intelligence et que n’importe qui ne pouvait pas être pêcheur. Effectivement, être pêcheur c’est avant tout de la passion et de l’envie mais aussi cette capacité à développer un “sens de l’eau” particulièrement aiguisé.
Le monde marin est un monde intriguant du fait d’un univers abyssal majestueux riche d’une vie hors du commun et en même temps passionnant !
Mais ces dernières années, nous avons droit à un autre discours, un discours très péjoratif qui veut que les pêcheurs soient des pilleurs et des dégradeurs de l’océan. Il faut arrêter de désigner la pêche comme seule coupable de l’état de santé des océans mais plutôt œuvrer ensemble pour ce bien commun afin de le préserver.
William Arthur Ward disait « Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles. »
A bon entendeur…
Djoumah Ali

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