Daniel Pauly, biologiste marin de renom international ou spécialiste de la rhétorique de la surexploitation ?

, par  LE RY, Jean-Michel

Commentaire de l’interview accordé par Daniel Pauly à l’hebdomadaire Télérama du 8 mai 2019, par Jean-Michel LE RY, ingénieur agro-halieute.

Question : « Quel était votre rapport à la nature ? » (sous-entendu : « dans votre jeunesse ? »).
Réponse : « Un lien intellectuel, pas du tout émotionnel. Et ça n’a pas vraiment changé. Vous pouvez me balader dans un champ et je ne vois rien, je ne comprends rien. Je connais les noms des oiseaux et des plantes car je les ai appris dans les livres, mais je n’arrive pas à les identifier…bien sûr, j’ai développé, depuis, un regard pour les poissons, ce qui m’intéresse néanmoins, c’est de comprendre les modèles qui structurent le vivant. /……/ Aujourd’hui, c’est ce que je fais encore, en utilisant des bases de données, des modèles mathématiques, des méthodes statistiques. J’arrive à convertir des données en modèles que je vois dans ma tête. Je ne les vois pas dans la nature.
Nous avons pu ainsi démontrer, avec d’autres chercheurs, que les prises totales de poissons diminuent depuis 1996 »……..

A la lecture d’un tel acte de foi dans les mathématiques pour comprendre puis expliquer les fluctuations des stocks de poissons dans le monde, plus d’un professionnel observateur de son milieu de vie risquera de rester sans voix…

Daniel Pauly utilise des « bases de données », lesquelles ???
Quand on connait le type de données disponibles, leur mode de collecte ou d’évaluation et leur degré de précision sur les plages du Kerala, de Mauritanie, de Madagascar, du Cameroun, au port de Jakarta, voire même aux Antilles françaises, quand on connait les absences d’enregistrement volontaires ou accidentelles (rappelons le cas des captures de Thon rouge par des navires de Taiwan en Méditerranée dans les années 2000, ignorées sciemment car « politiquement incorrectes » !), comment peut-on appeler les chiffres collectés « bases de données » et les entrer dans un ordinateur ?

Daniel Pauly utilise des « modèles mathématiques »
Au fait , est-on certains que les mathématiques peuvent – actuellement – représenter tous les phénomènes naturels et en particulier biologiques ? Que dire de la pertinence de certaines prévisions météo ou de secousses sismiques ?

Que dire alors de l’attitude et de la confiance aveugle de certains biologistes vis-à-vis des modèles mathématiques appliqués à la vie marine ?

1990 : un scientifique britannique recommande à la Commission européenne une réduction drastique et immédiate de la pêche à la langoustine dans le sud-Irlande. En tant que responsable d’organisation de producteurs concernée par le sujet, je lui demande sur quel indicateur repose sa recommandation.
Réponse : un modèle mathématique
Question : lequel ?
Réponse : un modèle de gestion qui a été mis au point pour le…hareng et qui a fait ses preuves…

Il y avait là deux absurdités cumulées :
1- La langoustine est un arthropode, plus proche de l’araignée que de n’importe quel poisson,
2- C’est une espèce qui vit sur le fond (benthique) et se nourrit localement alors que le hareng vit en surface (pélagique) et nomadise en fonction des ressources en plancton…

Réponse finale de l’expert à mes remarques : « D’accord, le modèle n’est pas bien adapté mais c’est le seul dont je dispose actuellement et c’est quand même mieux que rien !!! ». Raisonnement oh combien scientifique, n’est-ce pas Monsieur Pauly ?

2011 : au Cap Vert, un expert américain – mandaté par le Projet Régional des Pêches pour l’Afrique de l’Ouest (PRAO) de la Banque Mondiale – vient faire un diagnostic « de précaution » sur l’état de trois stocks de poissons pélagiques qui constituent la base de l’alimentation protéique de la population, notamment deux types de chinchards, Decapterus macarellus et Selar crumenophtalmus .

(Contrairement à de nombreux pays africains, le Cap Vert dispose d’un centre de recherches marines l’Institut National de Développement des Pêches (INDP), doté de scientifiques et de techniciens compétents et expérimentés. A défaut de pouvoir disposer de données exhaustives sur les captures, ils ont opté depuis plus de 10 ans pour des observations systématiques mais par sondage sur des lieux de débarquement représentatifs. Ils obtiennent ainsi des données qualitatives, notamment la mesure de la taille moyenne au débarquement pour la plupart des espèces commercialisées).

En fin de mission, l’expert américain, spécialiste des poissons de fond des Grands lacs américains (!!!), observe après exploitation de son modèle, des « résultats non significatifs » et il recommande – au titre du « principe de précaution » – d’arrêter cette pêche vivrière pendant trois ans…

En 2013, en montrant l’inadéquation complète du « modèle de Fox » adapté et utilisé par cet expert et en mettant en évidence l’augmentation régulière depuis 5 ans de la taille moyenne des poissons capturés, il a été possible de rassurer les autorités cap-verdiennes en les confortant dans l’application des mesures actuelles de contrôle des pêches (engins, zones et saisons).

Heureusement depuis, Monsieur Pauly, votre collègue a retrouvé ses Grands lacs et ses poissons d’eau douce et les Cap Verdiens ont poursuivi une politique raisonnée et raisonnable pour la gestion de leur pêche vivrière.

Pour conclure, quand Daniel Pauly explique que seul un « travail global a du sens », on peut se demander ce qu’il veut dire par « global ». Comment peut-on porter un jugement « global » sur l’état de la pêche dans le monde et proposer des méthodes « globales » pour sa gestion ?

Alors que les stocks de cabillauds adultes sont à leur niveau optimum pour assurer un bon renouvellement en Mer de Barentz, actuellement, il est évident et préoccupant de constater que beaucoup de stocks de poissons côtiers, qu’ils soient démersaux ou pélagiques, indispensables pourtant à l’alimentation des populations dépendantes dans de nombreux pays très pauvres, sont très mal connus et donc très difficiles à gérer.

Les équations ne peuvent fonctionner que si les modèles sont adaptés et si les bases de données sont fiables.

Essayons plutôt d’adapter les modes de gestion aux réalités locales, avec bon sens et avec la participation des populations riveraines concernées. La rhétorique de la surexploitation généralisée, globale et permanente ne sert qu’ à renforcer le pouvoir des acteurs extérieurs au monde des pêcheurs en les marginalisant et en les excluant, alors qu’ils sont les meilleurs connaisseurs de l’évolution des stocks et de l’environnement marin, au quotidien et dans le moyen terme. Aux Etats de créer un cadre qui leur permette de s’adapter à une réalité en évolution permanente et de plus en plus chaotique avec les changements climatiques. Aux scientifiques de les accompagner, aux ONGE de jouer leur rôle d’alerte sans imposer leur domination.

« Les pêcheurs ne « gaspillent » pas le poisson par ignorance ou perversité, mais parce qu’ils travaillent sous les contraintes d’un monde réel telles que les taux d’intérêt, les prix établis et la mobilité imparfaite des techniques et du capital ». [1]

Pêcher, c’est encore plus compliqué que de compter les poissons et de faire des modèles mathématiques pour cela et c’est une école de modestie.

[1Arthur F. Mc Evoy, in The fisherman’s problem, ecology and law in the California fisheries, 1850-1980. Cambridge University Press. 1986. 370 p

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