Comment l’innovation de la maille carrée a été mise en place dans la pêcherie de langoustines.

, par  ALI Djouma, BOUGUEON, Robert, LE SANN Alain

Voici un extrait de l’interview de Robert Bouguéon, l’initiateur de l’introduction de la maille carrée sur les chaluts à langoustines. Cette innovation du panneau à maille carrée sur le dos du chalut pour faciliter l’échappement des poissons juvéniles a été imposée en 2003. Elle permet donc de réduire les rejets. Depuis les recherches se poursuivent pour améliorer la sélectivité, en lien entre les pêcheurs et l’Ifremer.

En 2002, Robert Bouguéon à droite avec le commissaire européen à la pêche Franz Fischler (photo, René Pierre Chever).

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Parce que quand j’ai mis la maille carrée en place, c’était …. Je me rappelle toujours hein, on était à Small, il y avait …. Avec le sondeur, on voyait bien, t’avais des sacrées taches, c’était des petits merlans, des petits poissons, de la merde quoi. Puff, on pêchait, je ne sais pas, 4-5 tonnes tous les traits. Et c’était du petit merlan, nuit et jour, pour le foutre à la poubelle en rentrant. C’est n’importe quoi. On pêchait quoi ? 4-5 kilos de langoustines et moi j’étais sûr qu’il y avait de la langoustine, j’étais sûr, j’avais compris, je savais pourquoi on ne pêchait pas. Parce que quand … c’était tous les poissons flottants qui rentraient en même temps dans le cul du chalut, le cul se levait, les mailles s’ouvraient, pufff, toutes les langoustines foutaient le camp. Et c’est là que j’ai décidé de la maille carrée, je me suis dit que je vais la mettre en place et (rire) bingo du premier coup, ça a pris. Et on avait sept paniers de langoustines hein ? 4 ou 5 paniers de gros poissons, des gros merlans, des lieus, tu vois ? Ce n’était pas grand-chose mais bon la différence elle était là. Euh, parce que c’est là que j’ai vu, mon équipage (rire) mon équipage qui se foutait de ma gueule un peu au début quand ils m’ont vu mettre ma maille carrée ; à l’époque il y avait déjà la télé à bord, ils ont vu passer un bateau dans la journée, ils étaient toujours en train d’étriper du petit merlan et eux ils étaient en train de regarder la télé. La gestion de la ressource et la gestion humaine, pour moi ça a toujours été deux trucs qui allaient ensemble. Voilà… Parce que plus tu fais attention à tes ressources, plus tu fais attention à tes matelots aussi parce qu’ils travaillent moins, ils sont moins fatigués, ils gagnent du temps donc voilà ... c’est un tout ! Moi j’ai toujours dit qu’un bon pêcheur, ce n’est pas un pêcheur qui pêchait plein mais c’est un pêcheur qui pêchait bien. La nuance elle est quand même….
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C’est un peu l’histoire de la maille carrée, quand j’ai mis en place la maille carrée en 90, personne n’a fait trop attention, ils s’en foutaient, ça c’était donc à la pêche au large et après en 96 quand j’ai stoppé la pêche au large, j’ai acheté mon petit chalutier côtier, on était à deux, moi et le matelot et la première chose que j’ai faite c’est mettre la maille carrée sur les chaluts.
A : Ils étaient jumeaux ?
R : Ils étaient jumeaux et c’est de là qu’est venue l’histoire de la nouvelle règlementation européenne, donc on disait qu’il fallait supprimer, enfin… on nous obligeait à mettre un maillage de 100 millimètres pour la langoustine et on savait très bien qu’avec un maillage de 100 millimètres, on ne pourrait plus pêcher une langoustine, donc la pêche aux langoustines c’était mort, plus la peine d’en parler ou alors on nous mettait un chalut sélectif, mais qui était fait avec l’Ifremer, en fait c’était un chalut qui ne pêchait rien donc …. Il y avait une grosse réunion, le matin au comité des pêches, il y avait les Lorientais, enfin il y avait du monde de partout, des préfets…
A  : C’était quoi le chalut que proposait l’Ifremer ?
R : Un chalut sélectif.
A  : Avec quelle méthode ? C’était une grille ?
R  : Non, ce n’était pas une grille non plus, je ne sais même pas, en fait on le connaissait pas encore. Il n’était pas encore mis en place donc… on ne savait pas trop. Moi j’ai levé mon doigt à 19 h, j’en avais marre, j’ai peut-être la solution (rire) et c’est là que, comment il s’appelle, François T…, il dit « non, non, ça ne marchera pas, on a déjà essayé » mais je dis François, ça marche avec moi donc c’est obligé que ça marche, ça fait 10 ans que j’ai ça et donc ça marche. Et non qu’il me dit, et c’est là qu’on s’est rendu compte qu’on ne parlait pas de la même chose, lui il parlait d’un chalut pélagique et nous on parlait d’un chalut de fond. Donc tu vois ? là déjà il y avait … et donc c’est parti comme ça. On l’a essayé, elle a été validée et mis en place, elle est obligatoire en Europe aujourd’hui, tant mieux pour moi et, et donc quand elle a été rendue obligatoire, beaucoup de patrons m’ont dit comme ça « Ouais, t’es con, tu sais pas ce que tu fais, tu nous fais chier, on ne pêchera plus rien … » nanana, c’était que des trucs comme ça. Je leur ai dit mais écoutez les mecs, moi ça fait 10 ans que j’ai un truc comme ça, je pêche autant que vous, peut être mieux que vous. Euh… C’était vachement tendu hein ! Et Bernard …. de l’Armorique, un samedi matin, il téléphone au comité des pêches et me dit « Ouais ton truc, ça ne marche pas », je lui dis mais pourquoi tu dis ça, « Oh les autres disent que ça ne marche pas » et toi tu l’as essayé ? Ben non qu’il me dit, et ben écoute Bernard….il était costaud hein, un qui cassait tout. Et je dis, ben si tu veux je vais en mer avec toi lundi matin, tu vas prendre une maille carrée, tu vas mettre sur un chalut, c’est moi qui te le mettrai et puis on … il dit ok. Je suis parti le lundi matin, je lui ai mis la maille carrée en place sur un des chaluts, on a fait le premier trait, avec tous les autres bateaux, tous les bateaux étaient là, et on vire le premier trait et manque de bol, le chalut normal, il était déchiré, ce n’était pas grand-chose, il était un peu déchiré, il y avait un caillou qui a passé dedans, le chalut maille carrée il était propre, il n’était pas déchiré et il y avait un peu près l’équivalent dedans. Alors je demande à Bernard qu’est-ce que tu en penses ? il me dit « on ne peut pas dire que ça ne pêche pas mais le chalut est déchiré donc s’il n’était pas déchiré je pense qu’il allait pêcher beaucoup plus ». Bon je me dis, c’est déjà un demi bon point (rire) et on a fait un deuxième trait et les deux chaluts étaient corrects et il dit « c’est marrant le chalut de maille carrée pêche plus que l’autre ». Ben oui, j’ai toujours dit qu’il pêchait plus que l’autre (rire). Ah c’est bizarre qu’il me dit et on a fait un troisième trait pareil, au total, on est rentré au Guilvinec, on avait 120 kg de langoustines et les autres bateaux même les plus grands, ils avaient 80 kg, alors Bernard me dit « ça marche ton truc ! ». Mais il n’avait dit à personne, il a fait exprès de dire à personne que j’étais à bord (rire). Mais après je lui ai demandé mais qui, euh dis-moi, qui dit que ça ne marche pas ? Il m’avait cité des noms, c’était aussi des durs, c’est des mecs qui … alors je suis parti les voir un par un et je leur ai dit, si vous voulez je le remets à l’eau demain matin, je l’ai mis à l’eau avec Bernard, je vous mets le truc en place et puis euh… et là, ils ont tous pouffé, tout le monde a changé parce que j’avais convaincu pratiquement le plus dur. Le plus dur, je l’avais convaincu et quand tu avais convaincu le plus dur (rire), le reste ça va tout seul. Et c’est comme ça que c’est arrivé mais je leur ai dit, je ne suis pas con, si ça n’avait pas marché, je ne suis pas plus bête qu’un … j’aurais remis mon chalut normal, il fallait bien que je paye mon bateau et mon matelot donc je n’aurais pas… J’ai mis la maille carrée parce que ça marchait bien, ça marchait mieux que les autres. Et en plus, on faisait des économies de gasoil parce qu’on filtrait beaucoup plus d’eau, en gasoil on gagnait aussi hein ?! C’était vraiment un truc que …
A  : C’était avant que l’obligation soit mise en place ?
R : Oui avant, ah oui parce que moi j’ai mis ça en place en 90 et l’obligation c’était en 2003. Ç’a quand même été une bataille, parce que je me rappelle, j’ai perdu quand même beaucoup de pognon n’empêche, parce que, euh… comment je dirais, quand je rentrais avec l’Ifremer, il fallait mesurer tous les petits merluchons, il fallait mesurer les petites langoustines, il fallait mesurer tous les poissons. Donc comme ça on perdait du temps, on était les derniers à vendre, tu vendais moins cher, tout ça c’était des… (rire) mais bon c’était pour la bonne cause… mais bon, j’arrivais à me débrouiller donc…. Mais ce n’était pas…. Pour que ça ne marche par tout temps, ils me faisaient changer de panneaux, changer de toit, de coté de chalut, c’était tout…. C’était compliqué hein (rire).
A  : Tu n’as pas eu d’indemnité pour…
R  : Ah rien, rien, que dalle que dalle, je n’ai rien eu. Moi j’ai …. Enfin, j’ai compté …… bon un peu, près de 180.000 euros de ma poche pour le comité local des pêches du Guilvinec, ouais, parce que je n’étais pas encore en retraite quand j’étais élu. J’avais vendu mon bateau et … comme il nous restait encore un an et demi, j’ai acheté un petit bateau, un petit bateau de 8 m pour faire la palangre, sauf que je n’allais jamais en mer parce que René Pierre m’appelait, tiens il y a une réunion ici, encore ceci, j’allais jamais en mer et …. Et il fallait que je paye mes charges, c’était un petit bateau, c’était 40.000 euros par mois euh… par an, par an. 2 ans et demi, ça fait 80.000 euros, pas de salaire, euh… il faut manger, j’avais 4 enfants, il faut … il faut les habiller, tu vois ? Mes frais de routes, de déplacements, d’avion, de… tout ça c’était… remboursé tous les 3 mois et donc fallait que j’avance. Quand j’allais à Paris en avion, fallait que je paye de ma poche (rire), euh… oui, oui, ça fait beaucoup de sous. Beaucoup croyaient qu’au Comité des pêches, j’étais payé pour, mais non, zéro, zéro…
A  : Est-ce que Ifremer aurait pu mettre au point cette amélioration là sans…
R  : Je ne suis pas sûr qu’ils arrivaient à faire, ils auraient peut-être trouvé quelque chose mais qui aurait posé des problèmes aux pêcheurs, qui n’aurait pas été accepté par les pêcheurs. Même que ça aurait été bon, mais tu sais les pêcheurs, bah tu sais aussi bien que moi, c’est des réticents par rapport à l’Ifremer.
A  : Il faut que ça parte d’eux pour que… après…
R : Oui, le fait que c’est parti d’un pêcheur, ça a été mieux accepté, je pense que ça fait beaucoup, c’est un pêcheur qui a lancé le truc, ce n’est pas Ifremer, donc ça a été beaucoup mieux suivi. Il a fallu quand même …. J’ai fait un sacré boulot hein ! Tous les jours j’ai …. En fait c’est moi qui ai proposé ça à Ifremer et je sais que François T… me disait « C’est pas mal ce que tu fais. » Tous les jours, je faisais une grille et puis je marquais tel tel jour, je pars en mer à telle heure, je vais à tel tel endroit, les fonds sont sableux, sont vaseux, les courants sont comme ci, le vent est comme ça, tous les traits, tous les traits ; j’ai pêché tant et tant, il y a ça de juvéniles, il y a ça de bon. J’ai fait pendant trois mois un truc comme ça et je crois qu’il est toujours dans les trucs du comité départemental et quand Ifremer dit « ça c’est quelque chose qui est assez lisible, on voit bien que ça marche quoi, et pourquoi ça marche ». Donc …. C’est du boulot aussi mais je voulais les convaincre que ça marche parce que j’étais convaincu moi, moi pendant 10 ans quand même j’ai vu, donc j’étais convaincu, c’est obligé j’étais convaincu… je savais bien que ça marchait, mais je sentais aussi que par moment j’avais l’impression qu’ils ne voulaient pas que ça marche. Ça c’est une impression que j’ai eue !
A  : Qui ne voulait pas que ça marche ?
R : Ifremer, Ifremer, ils ne voulaient pas que ça marche !
A  : Pourquoi ?
R  : Je ne sais pas, parce que ça ne venait pas d’eux, à mon avis c’est pour ça ! A mon avis, c’est parce que ça ne venait pas d’eux, ils ne voulaient pas que ça marche.
A  : Donc là tu as sauvé la pêche aux langoustines ?!
R  : En quelque sorte !
……
Interview de Robert Bouguéon (R) réalisée par Djoumah Ali, stagiaire de l’UBS au Collectif Pêche & Développement, et Alain le Sann (A), mai 2019.

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