Une gestion minutieuse très complexe
Il y a trente ans, au début de sa carrière, sa marée de coquilles Saint Jacques, en baie de Quiberon ne lui donnait guère qu’un maximum de 150 kg de coquilles, pour une heure de pêche par jour. Aujourd’hui, le gisement fournit régulièrement 350 tonnes, réparties entre plus de 50 pêcheurs disposant d’une licence, chaque marée assure 300 Kg régulièrement. Plus qu’un gisement, très petit par rapport à ceux de Bretagne Nord et de Normandie, il s’agit de plusieurs petits bancs dispersés dans la baie en fonction de la nature des fonds et des eaux. Les pêcheurs ont mis en place, ensemble, des règles complexes pour permettre un rendement régulier, sans chercher à pêcher le maximum, pour maintenir les prix en fonction du marché. On peut même dire qu’ils ont créé des gisements qui ne seraient guère productifs sans l’action des pêcheurs. La baie est divisée en plusieurs zones où s’appliquent des règles différentes en fonction des rendements des traits de pêche : 30 minutes par jour, sur les meilleures zones, sans limites de tonnage, jusqu’à la journée sur d’autres zones moins productives. Les temps de pêche sur les différentes zones sont déterminés de manière à assurer un minimum de 300kg par sortie tout au long de la saison.
Contre les idées reçues sur les dragues
La gestion des gisements bouleverse bien d’autres idées reçues sur les pratiques de pêche. La drague, honnie par nombre d’ONG environnementalistes et de scientifiques, reste pour les pêcheurs un outil efficace qui ne remet pas en cause la productivité du milieu. Pour Serge Le Franc, les courants et les tempêtes remuent en permanence les fonds, le passage de la drague n’est qu’une perturbation parmi d’autres. Pour lui, même les bancs de maerl, proches de la côte de Belle Île ne sont pas menacés par les dragues, ce que contestent les scientifiques. Pour cette raison, les pêcheurs ont décidé de réaliser une cartographie précise des bancs de maerl les plus importants, ils ont interdit les dragues sur ces bancs, n’autorisant que quelques pêches (oursins). La taille et les types de dragues sont bien sûr définis et contrôlés. Les dragues permettent en particulier de capturer des étoiles de mer qui sont les principaux prédateurs des coquilles. Les pêcheurs ont l’obligation de les ramener à terre pour les sécher avant de les remettre à l’eau. Sans les dragues, il y aurait bien moins de coquilles.
Ensemencer
Cette gestion minutieuse est complétée chaque année par des ensemencements de jeunes coquilles issues d’une écloserie créée par les pêcheurs du Finistère. Les zones ensemencées sont surtout les zones moins productives qui sont ainsi renforcées. Pour financer tout cela, les pêcheurs titulaires d’une licence doivent payer une contribution assez élevée de plus de 2000€, mais ils sont largement payés en retour. Ils ne cherchent pas pour autant à augmenter à tout prix les débarquements pour éviter un effondrement des cours. Pour cela, il faut aussi bien distinguer la coquille de la baie, des coquilles des autres gisement bretons. En effet la coquille Saint Jacques de la baie de Quiberon se distingue par son muscle très charnu et son beau corail qui justifient un prix plus élevé. L’idéal serait de disposer d’une marque distinctive ou d’un label, mais pour l’instant le choix n’a pas été fait. Cette année, le Comité des pêches a décidé d’organiser à Quiberon une fête de la coquille, en fin de saison, début mai ; la première édition fut un grand succès.
Gérer les autres ressources
Certaines années, se pose un problème avec la maladie des anneaux bruns, le muscle reste comestible, mais les risques liés à la toxine, présente dans les autres parties, entraînent l’interdiction de pêche, par précaution. Le gisement est trop petit pour justifier des investissements de traitement de la noix très épisodiquement. En cas de fermeture, les pêcheurs doivent donc se trouver d’autres ressources. Ils ont mis en place des mesures de gestion pour la civelle. Celles-ci sont considérées comme exemplaires, au point que les pêcheurs ont été récompensés cette année, à Londres, par un prix international, pour leur gestion de la civelle sur la Vilaine. Enfin, une autre ressource importante donne des signes de faiblesse, la seiche. Elle est pêchée à tous les stades de sa vie, par tous types d’engins, du chalut aux casiers. Les pêcheurs ont commencé à prendre des mesures pour mieux connaître le comportement des seiches, leurs zones précises de reproduction, pour fixer par la suite des mesures de gestion. Comme pour les autres ressources, il s’agit donc d’un processus autonome et collectif, mis en place par les pêcheurs pour résoudre un problème lorsqu’il devient évident. Cela se fait sans intervention de scientifiques, qui peuvent être appelés à la rescousse, sans intervention préalable de l’administration. Un modèle qui fonctionne et correspond bien aux constats d’Elinor Ostrom [1], à l’encontre des clichés habituels sur les pêches et les pêcheurs, à contrecourant du discours dominant sur la disparition programmée des ressources halieutiques. Certaines ONG environnementalistes ont ainsi été furieuses de voir que les dragues à coquilles n’aient pas été reconnues comme des engins destructeurs à bannir, lorsque la protection des bancs de maerl a été mise à l’ordre du jour. Contrairement à ce que pensent certains, qui défendent l’intégrité des fonds marins, gratter les fonds marins n’est pas nécessairement une catastrophe partout, alors que la littérature scientifique et environnementaliste actuelle tend à stigmatiser les engins traînants, accusés de détruire la biodiversité. Les pêcheurs de la baie de Quiberon sont la preuve vivante qu’ils savent prendre soin de leurs ressources et de leur milieu.
Alain Le Sann
Août 2019