Cambodgiens et Birmans, esclaves de la pêche en Thaïlande.

, par  LE SANN Alain

La Thaïlande est le troisième pays exportateur de produits de la mer, pour une valeur de 7 milliards de dollars. Ce succès est cependant le résultat d’une exploitation scandaleuse des ressources et des hommes, comme viennent de le confirmer plusieurs rapports récents [1] .
En 1989, la Thaïlande a été frappée par un terrible ouragan qui fit plus de 1000 morts et disparus dans la pêche. Ce désastre provoqua une fuite des pêcheurs vers d’autres activités à terre, au moment même où le pays connaissait une forte croissance économique. Confrontés à une gigantesque pénurie de main-d’œuvre, les armateurs durent chercher des solutions, mais cette pénurie se poursuit et s’aggrave même puisqu’il manquerait 50 000 personnes dans la pêche, selon le Ministère du Travail. Pour répondre à leurs besoins, les patrons et armateurs ont dû avoir recours à de la main-d’œuvre clandestine venue du Cambodge et de Birmanie. Ces clandestins sont attirés par des marchands d’hommes qui paient les frais de voyage et attirent les étrangers en leur promettant n travail à terre dans des usines ou dans la construction. Une fois sur place, perdus, sans connaissance de la langue, dépendant du courtier, ils sont vendus à des patrons de bateaux et des armateurs. Devenu pêcheur et soumis à un travail forcé, le migrant est endetté à la fois auprès du patron et du courtier car ceux-ci retiennent sur le salaire les sommes versées. Selon l’enquête de l’OIM en 2011, comme celle de l’OIT en 2013, presque aucun n’a de contrat de travail écrit. Beaucoup se retrouvent prisonniers de fait, sur des bateaux de pêche lointaine qui partent parfois pour des mois. Souvent, lorsque le bateau rentre au port, ils sont transférés contre leur gré sur un autre bateau et le calvaire de certains peut durer jusqu’à deux ans et demi. Il arrive qu’ils soient battus à mort lorsqu’ils sont malades et en incapacité de travailler. Beaucoup ont tenté de fuir et certains se retrouvent depuis des années sur des îles où ils essaient de survivre, sans aucun moyen de rejoindre leur pays. Parfois lorsqu’ils ont réussi à fuir à leur retour dans un port, ils peuvent être arrêtés par la police et emprisonnés. Leur statut de clandestin les maintient à la merci des patrons et des armateurs.
L’enquête de l’OIT menée auprès de 600 pêcheurs tente de donner une idée chiffrée de ces situations d’esclavage. 20% des pêcheurs interrogés travaillent sur des bateaux pour des marées de plus d’un mois. C’est parmi eux que l’on trouve les situations les plus dramatiques. L’OIT estime que 16% de ces pêcheurs sont en situation de travail forcé, cela semble largement sous-estimé car les conditions de l’enquête ne permettaient pas aux pêcheurs de s’exprimer en tout liberté, souvent sous le regard du patron. Le rapport de l’OIM est beaucoup plus sévère et estime, quant à lui, que l’utilisation du travail forcé est systématique dans la pêche thaïlandaise. Il considère qu’une grande partie du poisson exporté par la Thaïlande est le produit du travail forcé. L’association Environmental Justice Foundation [2] évalue à 200 000 le nombre de travailleurs forcés dans la pêche sur 650 000 pêcheurs dans le pays. Cette association a également produit un film sur les conditions misérables de ces pêcheurs.
Il existe un début de prise de conscience des autorités de la gravité du problème, mais l’arsenal juridique et policier est bien insuffisant. Les conditions de travail devront cependant changer sur les bateaux de pêche thaïlandais car le développement économique de la Birmanie et du Cambodge risque de tarir bientôt les sources de travailleurs forcés… Mais il faut avant tout des lois et des contrôles sur leur application pou protéger les travailleurs de la pêche et pas seulement une politique de promotion des exportations à n’importe quel prix.

Alain Le Sann
Février 2014

[1Employment practices and working conditions in Thailand’s fishing sector / International Labour Organization ; ILO Country Office for Thailand, Cambodia and Lao People’s Democratic Republic ; ILO Tripartite Action to Protect Migrants within and from the GMS from Labour Exploitation (TRIANGLE) ; Asian Research Center for Migration, Institute of Asian Studies, Chulalongkorn University. - Bangkok : ILO, 2013, xvi, 105 p.
Trafficking of Fishermen in Thailand, Organisation Internationale pour les Migrations, 2011, 92 p. http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---asia/---ro-bangkok/documents/publication/wcms_220596.pdf

[2EJF, Sold to the Sea – Human Trafficking in Thailand’s Fishing Industry,. 2013 17 p. http://ejfoundation.org/oceans/soldtotheseafilm

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