Cette photo illustre le dernier article publié par Tom Kocherry, le 3 mai, son analyse des élections indiennes sur le site
www.countercurrents.org/kocherry030514.htm. [1]
Chers amis
Notre ami, le leader et ancien président du National Fishworkers Forum (NFF), fondateur du World Fishworkers Forum, invité spécial du World Forum of Fisher Peoples (WFFP), est décédé le 3 mai à son domicile de Trivandrum en Inde, à l’âge de 74 ans. Ces dernières années, il a vécu à la maison des Rédemptoristes de Kanyakumari, au Tamil Nadu. Malade depuis un an, il vivait au couvent de l’Eglise Sainte Croix, à Muttada, Trivandrum. Il y a été inhumé le lundi 5 mai.
Le Père Thomas Kocherry était un militant, prêtre catholique, juriste qui a aidé à la création du Kerala Swantra Matsyathozhillali Federation. Il fut aussi coordinateur de l’Indian National Alliance of Peoples’ Movements ( NAMP) et Recteur de la Communauté des Rédemptoristes de Periyavillai. Il était membre de l’Autorité de gestion de la zone côtière en Inde.
Un engagement avec les plus pauvres
Thomas Kocherry est né à Changanasserry, Kerala, dans le sud de l’Inde, le 10 mai 1940. Il était le cinquième d’une famille de onze enfants, 7 garçons et 4 filles. Il grandit dans la zone des Backwaters, où les pêcheurs pauvres utilisaient de tout petits bateaux pour vivoter sur ces eaux douces, parallèles à l’Océan Indien. La double influence qui a marqué sa vie de jeune adulte fut celle de l’Eglise (surtout l’évangile social des Pères Rédemptoristes) et la gauche radicale qui contestait la politique du Kerala (dominée par le Parti Communiste Indien) dès le début de l’Indépendance. Après son ordination en 1971, il partit travailler avec les réfugiés du Bangladesh, à Raigunj, une zone frontalière du Bangladesh. Les histoires de désespoir et de misère noire qu’il découvrit le changèrent définitivement. Sa décision de se consacrer à la défense des opprimés fut renforcée plus tard, lorsqu’il commença à travailler dans un petit village de pêcheurs, Poothura, près de Trivandrum. Des mareyeurs, menés par une famille haut placée, utilisaient la force pour maintenir en permanence les pêcheurs à la limite de la famine, même s’ils travaillent plus que toutes les autres communautés. Il décida de leur donner les armes de la connaissance en leur apprenant à lire et à écrire. Il était assez naturel pour Kocherry de faire cause commune avec les pêcheurs côtiers pauvres et leurs combats. Lui et trois autres Rédemptoristes gagnaient leur vie en pratiquant la pêche à la senne de plage. Ils aidèrent à organiser des cliniques et des maternités chez les pêcheurs très pauvres, qui travaillaient durement, mais étaient systématiquement exploités par les marchands.
Un leader national et international
A la fin des années 70, les pêcheurs du Kerala commencèrent à s’organiser et à défendre leurs droits dans une série de domaines. Ils créèrent une organisation, la Fédération Indépendante des Pêcheurs du Kerala. En 1981, Kocherry et son camarade Joyachana Antony firent une grève de la faim de 11 jours pour obtenir l’interdiction du chalut pendant la mousson (période de reproduction pour divers poissons). Kocherry fut arrêté sur la base d’accusations inventées de toutes pièces. Tout en assurant sa propre défense, il réussit à obtenir un diplôme de droit à l’Université du Kerala. En 1982, le combat des pêcheurs devint national et Kocherry fut élu président du NFF. Environnementaliste, il fut l’un des organisateurs de la fameuse marche de Kanyakumari en 1989 pour la défense de l’environnement littoral en Inde. Au milieu des années 90, il mena une campagne nationale pour empêcher le gouvernement indien d’ouvrir la pêche dans son pays à une flotte de 2600 chalutiers étrangers. Avec 10 millions d’Indiens dépendants d’une pêche durable pour leur survie, les enjeux étaient importants. Une campagne militante inclut des marches, des jeûnes, et le blocage des principaux ports de pêche du pays. Le gouvernement dût retirer sa loi - une des premières victoires, et des plus significatives, contre la mondialisation.
Kocherry, qui aida à la création du WFFP, avait compris les tensions du combat pour les droits des communautés de pêcheurs dans un contexte de déclin des ressources. « Vous attaquez seulement le sommet, les plus gros, les chalutiers les plus destructeurs d’abord et ensuite vous pouvez poursuivre jusqu’à l’établissement d’une pêche durable ». En croisade contre la pollution côtière, il menait la protestation contre la centrale nucléaire de Koodankulam au Tamil Nadu. La campagne a mobilisé les villageois locaux et les militants de tout le pays qui craignaient que, comme à Fukushima au Japon, l’usine soit vulnérable à un tsunami. Le mouvement s’est battu bec et ongles depuis le début de la construction en 1989. « On ne peut parler de justice sociale sans parler d’environnement » disait Kocherry. « On peut éviter la destruction et le déclin du capital naturel ». Ceci explique, pour une part, sa position antinucléaire.
Tom Kocherry, en Octobre 2000, lors du Forum Mondial des pêcheurs, qui aboutit, sous son impulsion, à la scission du WFF et la création du WFFP.
Photo A. Le Sann
Un militant critique infatigable
Tom Kocherry était un vieux sage des mouvements sociaux et environnementalistes. Malgré les cicatrices de plusieurs batailles, il demeurait un optimiste invétéré. « Chaque combat, chaque mouvement, toute réforme, c’est de l’optimisme » disait-t-il. On ne pouvait pas arrêter Tom Kocherry. Après quatre crises cardiaques, de nombreuses grèves de la faim et seize séjours en prison, il ne montrait aucun signe de ralentissement. Quand il ne menait pas une campagne, il voyageait en Inde du Sud, organisant de séminaires pour de jeunes militants.
Kocherry a beaucoup réfléchi aux mouvements populaires, comment ils réussissent et ils échouent. Ces derniers temps, il était très critique à la fois sur le Parti Communiste Indien (marxiste) et l’Eglise Catholique établie. : « Ils s’institutionnalisent, créent des dogmes, des rites et des statues de leurs dieux, ils deviennent des puissances et cèdent au pouvoir de l’argent ». Pour Kocherry, la puissance d’un mouvement populaire est ailleurs : « Il doit partir de la base. Le défi est de créer une structure révolutionnaire évolutive qui ne s’institutionnalise jamais et n’est pas ossifiée par le pouvoir ». C’est une vision qui devrait toucher la corde sensible des mouvements « Occupy » actuels, à la recherche de nouvelles formes d’organisation.
D’après Herman Kumara (Nafso et WFFP)
Traduction Alain Le Sann