Aménager le vivant ou le mettre sous cloche : La triplette bretonne a choisi.

, par  LE SANN Alain

Le 17 janvier, à l’occasion des 20 ans du master AUTELI (Aménagement et urbanisme des territoires littoraux) de l’Université de Bretagne Sud à Lorient, les étudiants ont ouvert leur colloque "Aménager le vivant" en donnant la parole à une triplette de représentants des activités primaires du littoral : Robert Bouguéon, pêcheur de Saint Guénolé, Jean-Noël Yvon, ostréiculteur sur la rivière d’Etel, Anne-Sophie Jégat, agricultrice à Saint Philibert. Avec l’appui de Pierre-Yves Roussel, animateur de l’association Cap 2000 et ancien étudiant du master, ils ont défendu avec passion et lucidité la cohabitation de leurs activités et leur rôle dans la préservation de l’environnement.

La triplette se bat pour la qualité de l’eau

Jean-Noël Yvon a témoigné du succès de la démarche entreprise depuis plus de 20 ans pour améliorer la qualité de l’eau de l’ensemble de la rivière d’Etel et de son bassin versant, avec l’association Cap 2000 [1] qui réunit conchyliculteurs, agriculteurs et pêcheurs. En 1974, la rivière d’Etel avait une eau de mauvaise qualité, pour J-N. Yvon, inspiré par les idées de Pierre Mollo, le problème venait nécessairement de la terre, il fallait donc travailler en amont pour réduire et même éliminer les rejets nocifs.

L’ostréiculture par elle-même n’a pas d’impact négatif sur la qualité des eaux. Très vite les ostréiculteurs se sont aperçus que la qualité bactériologique de l’eau se dégradait pendant les périodes de vacances. Le problème était donc lié à l’assainissement et à l’explosion du tourisme et de l’urbanisation. Les ostréiculteurs, alliés aux agriculteurs, ont pu peser pour améliorer l’assainissement. Ils sont bien les meilleurs garants de la qualité des eaux et leur activité n’est pas contradictoire avec la préservation de la biodiversité. Il faut toutefois revoir certaines pratiques, mettre en place un nouveau modèle économique qui ne soit pas fondé sur le produire toujours plus, au-delà même de la demande, parfois. En diminuant la densité, on peut retrouver de la diversité, comme le constate J-N. Yvon sur ses parcs en fond de ria. Il assiste au retour des pétoncles, des hippocampes, des coquilles Saint-Jacques et même des huîtres plates. Avec moins d’investissement, on peut être rentable, encore faut-il que les banques acceptent de financer des projets moins intensifs. Il faut aussi un travail très intensif, parfois épuisant, auquel s’ajoute la bataille pour la qualité de l’eau, toujours à recommencer, comme l’a montré la crise du norovirus de décembre à janvier 2020. [2] t>

Le pêcheur et la transition bleue.

Pour sa part, Robert Bouguéon, le pêcheur bigouden, à sa retraite, a participé à la création d’une association "la transition bleue" [3] pour défendre la pêche artisanale et l’avenir du port de Saint Guénolé-Penmarc’h. Il constate que ces efforts finissent par payer et que le port de Saint Guénolé retrouve de l’élan. Robert Bouguéon plaide pour une amélioration de la qualité du poisson et des méthodes de pêches plus douces et plus sélectives.

Il a été l’ardent promoteur de la maille carrée sur le dos des chaluts à langoustines, maintenant obligatoire en Europe [4]. Il plaide aussi pour des repos biologiques, particulièrement en période de frai. Mais il met également en cause la dégradation de l’environnement littoral liée surtout à la pression touristique. Les stations d’épuration ne sont pas toujours adaptées au surplus estival. Il constate enfin une dégradation nette du milieu à l’endroit des rejets des stations d’épuration. Qui dit tourisme, dit aussi port de plaisance. Robert Bouguéon a plaidé pour que le Comité des pêches soit l’opérateur de la zone Natura 2000 des Glénan ; il l’a obtenu. Mais peu de temps après, le préfet du Finistère, pressé par les élus locaux, a autorisé un rejet de 6000 m3 de boues polluées du port de Loctudy, dans la zone Natura 2000, en pleine zone de pêches des langoustines, au grand dam des pêcheurs scandalisés. Les pêcheurs à pied professionnels constatent aussi fréquemment des maladies ou des chutes de stocks de coquillages du fait des pollutions.

Le touriste et la paysanne

Les paysans sont souvent les premiers mis en cause dans la dégradation des milieux littoraux. Ils ont effectivement la responsabilité principale dans le développement des algues vertes. Nombre d’entre eux en ont pris conscience et, comme Anne-Sophie Jégat, ont entrepris de faire évoluer leurs pratiques : 20% des agriculteurs bretons sont engagés dans des mesures agri-environnementales et climatiques. Cela implique une réduction des intrants et souvent des rendements. Par exemple Anne-Sophie Jégat pratique des fauches tardives pour favoriser la biodiversité. Ils protègent aussi les haies et beaucoup en recréent. Ils réduisent aussi le travail du sol. Tout cela ne va pas sans contraintes supplémentaires et des réductions de rendement tandis que le travail s’accroit. Souvent les associations environnementalistes méconnaissent ou minimisent ces contraintes. Cependant les problèmes principaux en zone littorale viennent du développement touristique et des résidents secondaires. A Saint-Philibert, où il y a eu jusqu’à 50 exploitations agricoles, il n’en reste que 3, dont une seule d’élevage laitier. Le mal est fait, il est impossible de revenir en arrière. Près des zones habitées, il est de plus en plus difficile de pratiquer l’élevage, surtout en été, car des touristes ou des résidents secondaires manifestent leur hostilité. Ces résidents font aussi de la rétention foncière, laissant se développer des friches et des zones cultivées deviennent inaccessibles.

Producteurs primaires solidaires.

On constate donc souvent une solidarité entre pêcheurs-ostréiculteurs et agriculteurs. Même si des conflits existent, le dialogue permet en général de les surmonter. C’est notamment le cas avec l’association CAP 2000 qui travaille sur la rivière d’Etel et le littoral du Morbihan. Les 3 professions se trouvent des intérêts communs face aux défis environnementaux et du développement touristique. Paysans, pêcheurs et ostréiculteurs doivent faire évoluer leurs pratiques, mais ils sont les meilleurs garants du maintien des espaces du vivant et de la biodiversité. On peut constater qu’ils évoluent alors que dans le même temps l’urbanisation et le tourisme ne cessent de se développer, détruisant irrémédiablement des milieux vivants. Le paradoxe est qu’on retrouve parfois certains résidents secondaires influents (avocats...) prétendant défendre l’environnement et agissant en justice contre des producteurs primaires. Ils veulent mettre sous cloche les milieux littoraux alors que la triplette bretonne a montré que le maintien des activités primaires n’est pas incompatible avec la préservation de la biodiversité. Ainsi les pêcheurs à pied du Golfe du Morbihan peuvent démontrer que leur pêche saisonnière à la palourde dans les herbiers de zostères n’a pas d’impact significatif sur leur croissance, en dehors d’un léger retard, vite rattrapé. De même, les pêcheurs de coquilles Saint-Jacques ont accepté de renoncer à pêcher sur les principaux bancs de maerl de Belle Ile, alors même que ces bancs sont restés en bon état après des années de pêche. La question qui se pose pour l’avenir, avec la pression croissante pour la création de réserves intégrales, est de savoir si la mise sous cloche de nombreux espaces littoraux ne va pas s’imposer alors même qu’elle n’est pas toujours nécessaire. Mais qui écoutera la voix de ceux qui, par leur travail et leur présence, ont contribué à la préservation d’espace productifs et vivants sur les littoraux ? Régis Debray dans son texte "Le siècle vert" [5] vient de leur apporter un appui de poids en rappelant que la géographie humaine est "cette discipline carrefour à honorer de toute urgence". Il rappelle aussi ce mot de Julien Gracq, également géographe : "une civilisation de bernard-l’ermite est sans avenir". Les étudiants, et leurs enseignants-géographes par leur apport théorique [6], peuvent aider les producteurs primaires à défendre leurs intérêts et la biodiversité. De la défense des écosystèmes, il faut passer à celle des géosystèmes, avec humilité, respect, confiance et dialogue ; ce furent les mots de conclusion.

Alain Le Sann. Janvier 2020

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