Chandrika Sharma, une éternelle rebelle Défenseure infatigable des droits humains.

, par  Kurien John

"En l’honneur de Chandrika Sharma, qui a travaillé sans relâche à l’amélioration des conditions de vie des pêcheurs du monde entier et qui a apporté un concours précieux à l’élaboration des présentes directives "
Dédicace, en 2014, des directives volontaires de la FAO/ONU visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté.

Chandrika au Brésil en 2006
Ph A le Sann

Une contribution de John Kurien, Alain Le Sann, Brian O’riordan, Cornelie Quist, Jackie Sunde, Nalini Nayak, Ramya Rajagopalan, René-Pierre Chever, René Scharer, Rolf Willmann, Sebastian Mathew, Venugopal et Vivienne Solis-Rivera.

Publiée au Mexique dans "Rebelles de la mer"

Chandrika Sharma venait d’entrer dans la cinquantaine en mars 2014 lorsque l’avion MH370 de Malaysian Airlines à bord duquel elle se rendait à Pékin a disparu, ce qui a donné lieu à l’un des plus grands mystères de l’histoire de l’aviation. Ce que nous savons avec certitude, c’est que le puissant océan a pris Chandrika sous sa tendre garde. C’est comme si elle avait donné sa vie pour les gens de l’océan qu’elle aimait. Beaucoup de temps et d’argent ont déjà été consacrés à la recherche de l’avion, mais nous pensons qu’un jour, dans le futur, un petit pêcheur trouvera la preuve irréfutable qui permettra de résoudre ce grand mystère !

La vie de Chandrika a été courte, mais elle a été une vie attentionnée, chaleureuse, joyeuse, inspirante, énergique et déterminée, le tout agrémenté d’un sens de l’humour immensément délicieux. Son mari Naren et sa fille Meghna étaient au centre de ses amarres dans la vie. Pour eux et pour tous ceux qui la connaissaient, la disparition de Chandrika, selon les mots poétiques de Naren, était "une conclusion sans fin".

Après avoir terminé sa scolarité et ses études supérieures dans le nord de l’Inde, Chandrika a obtenu une maîtrise en travail social à Mumbai, en Inde. Elle a brièvement travaillé avec une ONG sur l’énergie en milieu rural et la foresterie communautaire avant de rejoindre le Centre for Development Studies dans l’État du Kerala, dans le sud de l’Inde, où elle a obtenu un master en économie appliquée. Elle a toujours été passionnée par ses études et était connue pour son style de vie simple et économe. Chaque enveloppe utilisée devenait un précieux morceau de papier pour prendre des notes !
En 1996, Chandrika a rejoint le Collectif international de soutien aux travailleurs de la pêche (www.icsf.net ) et en est devenue la secrétaire exécutive en 2002. Au cours des années qui ont suivi, elle est rapidement devenue la force motrice de l’organisation, donnant la priorité à la promotion durable des droits humains pour les travailleurs de la petite pêche. Elle a écrit de manière efficace à ce sujet et s’est exprimée dans différentes instances nationales et internationales ainsi que lors de divers événements et conférences du réseau.

Chandrika s’est engagée très fortement et de manière sensible avec un large éventail de parties prenantes : travailleurs de la pêche, représentants de leurs communautés, diplomates, fonctionnaires internationaux et militants d’autres organisations de la société civile. Une travailleuse de la pêche sud-africaine a rappelé que Chandrika se souvenait toujours de lui adresser une carte de Noël, même si elle ne l’avait rencontrée qu’une seule fois lors d’un programme de formation. Elle était toujours prête à écouter avec bienveillance des opinions dissidentes, mais lorsque les valeurs fondamentales étaient en jeu, elle n’hésitait pas à se confronter même à ceux qui étaient haut placés. Un diplomate indonésien de haut rang, généralement méfiant à l’égard des militants des associations de la société civile, était touché par sa manière polie, mais ferme, d’être en désaccord avec lui et par sa connaissance approfondie des sujets qu’elle abordait. Elle était une rebelle tranquille, travaillant de l’intérieur pour changer le système. Elle abhorrait la violence. Elle a toujours recherché une approche non conflictuelle face aux obstacles et une approche pacifique et consensuelle pour atteindre ses objectifs. Elle faisait preuve de clairvoyance et de fermeté dès qu’un consensus était atteint. Son héritage n’est pas seulement constitué par les précieuses contributions qu’elle a apportées par son travail. Elle laisse derrière elle des amis, sa famille et les nombreuses personnes avec lesquelles elle était entrée en contact et qui gardent d’excellents souvenirs d’elle.
Pour Chandrika, un monde meilleur était possible. Elle y a travaillé avec un sourire désarmant. Son message était toujours enraciné dans les valeurs humanistes, et elle avait cette capacité particulière de remplir son public d’espoir. Elle ne connaissait pas le sens d’impossible. Rien ne l’en dissuadait.
Le style de leadership de Chandrika était spécial. Elle travaillait toujours à l’arrière-plan, ne se mettant jamais inutilement en avant et sans chercher les feux de la rampe. Elle pouvait sentir le pouls de l’époque mieux que quiconque et était très sensible aux mouvements sociaux, avec lesquels elle a établi un rapport chaleureux et émotionnel.
Dans tous les forums, qu’ils soient internationaux ou nationaux, elle a souligné le rôle et la contribution essentielle des femmes dans la pêche et les communautés de pêcheurs, dont la voix n’est souvent pas entendue et dont les problèmes sont généralement considérés comme secondaires ou moins prioritaires. Elle dénonçait toutes les formes de violence contre la nature et les personnes.
Pour elle, la violence contre la nature et la violence contre les femmes et les hommes étaient les deux faces d’une même médaille. Elle était aussi douce qu’elle était déterminée.
Chandrika a sincèrement essayé de vivre sa vie en accord avec ces convictions.
Elle participait activement aux initiatives locales en faveur d’une société durable et juste. Elle essayait autant que possible de manger des aliments biologiques et était également végétarienne. Ses amis proches ont toujours fait l’éloge de ses valeurs esthétiques et de son amour pour les fruits. Elle a contribué à la création d’un système d’élimination des déchets biodégradables dans l’immeuble où elle vivait. Elle utilisait la médecine homéopathique et essayait de faire du yoga ou de longues promenades matinales, même en voyage.
La plus grande contribution de Chandrika pour le monde de la pêche, sans aucun doute, a été ses efforts pour faire avancer les directives de la FAO/ONU sur la pêche à petite échelle. La contribution de Chandrika a été inestimable à double titre :
Tout d’abord, son rôle a consisté à changer le discours en passant d’une focalisation étroite sur les droits de pêche à l’adoption d’une approche fondée sur les droits humains pour améliorer la vie et les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs - et en fait de tous les groupes marginalisés. Pour elle, ce n’était pas une question de choix : c’était une responsabilité et une obligation.
Ensuite, grâce à la plateforme d’ICSF, elle a pu donner une impulsion remarquable à la création d’initiatives importantes de processus participatifs sur le terrain qui ont abouti à une version populaire des directives pour la petite pêche. Dans le cadre de l’élaboration des normes de la FAO, cette mobilisation a établi un nouveau record - plus de 4 000 acteurs de terrain ont été consultés dans le monde entier. Il s’agit d’une réalisation singulière qui n’a pu aboutir sans le travail acharné de nombreux membres d’organisations de la société civile, notamment Chandrika elle-même. La proposition initiale des directives pour la pêche à petite échelle, officiellement publiée par la FAO, s’est également beaucoup inspirée des propositions de la base. Le fait que les directives pour la pêche à petite échelle, finalement approuvées, soient dédiées à sa mémoire de manière unique et appropriée, est l’hommage durable à sa vie et à son engagement.

Le cadeau que Chandrika nous fait à tous est de nous rappeler en permanence qu’il faut toujours rester ouverts et inclusifs, même si la lutte est parfois douloureuse et difficile. Car l’important c’est d’incarner le changement qu’on souhaite apporter.

Traduction Danièle Le Sann. Février 2020

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