La pêche au temps du coronavirus

, par  YHUEL-BERTIN, Emmanuelle

A travers cette chronique, je vous invite à découvrir l’impact des mesures de confinement prises en mars 2020 sur la pêche artisanale lorientaise et plus précisément sur l’activité d’un fileyeur de 13 mètres avec 4 hommes à bord.

Jeudi 7 mai 2020
Le déconfinement sera effectif lundi prochain. La date du 11 mai marquera-t-elle la fin de la crise sanitaire et économique ? Non, les politiques et les médias insistent sur le fait que c’est une étape et un retour à la normal va prendre du temps. Pour la filière pêche, la réouverture des restaurants est fondamentale car elle conditionne une pleine activité. En attendant, deux remarques peuvent être formulées :
1/ Il y a eu une réelle mobilisation pour trouver des solutions pour la filière pêche notamment au niveau européen : Des aides seront accordées aux bateaux et équipages impactés et une campagne de communication est mise en place afin de sensibiliser le consommateur.
2/ Le port de Lorient, s’en sort assez bien. Ses acteurs ont eu la volonté de s’adapter au mieux face à une situation inédite. Cela n’a pas été sans difficulté mais l’activité a pu être maintenue et ce qui n’a pas été le cas dans tous les ports français.

Jeudi 30 avril
Bien évidemment qu’il y avait une explication à la remontée des cours sous criée : la remise en service du second tapis ! La vente a retrouvé son organisation classique et habituelle, l’impact sur les prix ne s’est pas fait attendre.
Pour info : Le bateau risque de ne pas sortir avant samedi voire lundi compte tenu de la météo...

Mercredi 29 avril
Les prix remontent sans explication : la sole qui s’est négociée à 10 euros samedi est remontée à 20 euros et le lieu a retrouvé un prix « normal » de 6 euros.

Mardi 28 avril
En cette période particulièrement difficile, on pourrait imaginer une solidarité au sein de la filière, il n’en est rien. L’ambiance est morose chez les pêcheurs lorientais et ce n’est pas étonnant.
Les lieus vendus samedi à 2,5 euros se sont retrouvés quelques heures plus tard sur l’étal d’un poissonnier de la région à 16 euros ! C’est un exemple parmi d’autres.
La presse locale révélait aujourd’hui que des mareyeurs installés sur le port de Keroman faisaient appel à des importations étrangères. Demander à ces personnes d’adopter un comportement responsable ? Un vœu pieux !

Lundi 27 avril
Le seul impact positif de la situation : la baisse de prix du baril de pétrole. Le carburant qui habituellement est une charge substantielle pour tous les navires est actuellement très peu cher : 28 centimes le litre.

Samedi 25 avril
L’ordre de passage sur le tapis ou convoyeur est déterminé chaque jour par un tirage au sort. L’écart entre les enchères négociées en début et fin de vente peut être plus ou moins important. En cette période, il est très important. Ce matin, les premiers lieux vendus à 3 h se sont négociés autour de 7 euros. A 7 h, la même espèce d’une qualité identique ne valait plus que 2,5 euros. Le manque à gagner pour le bateau sur l’ensemble de la vente d’aujourd’hui s’élève à 1500 voire 2000 euros.

Si au cours des toutes premières semaines du confinement, le marché s’est régulé, la dernière quinzaine a été beaucoup plus difficile. L’impact de la crise sanitaire et économique est tangible. La perte en termes de chiffre d’affaires pour le bateau s’élève à 30 % comparativement à la même période en 2019.

Mercredi 22 avril
Ce qu’il y a de bien avec le port de Lorient, c’est que les choses ne sont pas figées. Devant la complexité de ce qui avait été envisagé précédemment, hier soir, une énième organisation était adoptée :
1er passage : langoustines sur 2 tours, 15 bacs au 1er tour (inchangé)
2e passage : produits vivants (inchangé)
3e passage : 3 palettes maxi par bateau, dans l’ordre du tirage au sort
4e passage : reste du poisson, dans l’ordre du tirage au sort.
Les espèces en grande quantité ou à faible valeur doivent continuer à être alloties et pesées par les bateaux pour la vente en criée
Une simplification était nécessaire pour une meilleure équité. La remise en service du second tapis pourrait aussi solutionner quelques problèmes pour l’heure, cela ne semble pas être une option.
De tout façon, force est de constater que malheureusement le prix du poisson baisse.
Nous nous retrouvons face à un marché désorganisé suite à la fermeture de tous les restaurants. Un exemple concret : La grosse sole qui communément trouvait preneurs sur les tables parisiennes et qui se négociait sous criée autour de 20 euros, part aujourd’hui à 12 euros.
Si un déconfinement progressif est évoqué depuis plusieurs jours pour le mois de mai, aucune annonce sérieuse ne concerne la restauration, rien ne laisse donc présager une évolution positive de la situation dans les prochaines semaines.

Mardi 21 avril
Je vous donne ici lecture du mail de la Société d’économie mixte Lorient Keroman reçu ce jour. Il concerne la nouvelle organisation de la vente cotière :
La crise sanitaire nous impose de travailler sur un seul convoyeur pour la vente côtière. Cela permet de limiter le nombre de personnes présentes et de respecter la distanciation sociale.
Pour limiter les impacts négatifs d’une telle mesure, nous avons déjà avancé la vente à 3H30 tous les jours sauf le lundi et créé différents tours de ventes.
Dans le respect du tirage au sort avec l’ensemble des bateaux sans distinction du mode de pêche, nous allons réaliser les aménagements suivants :
1er passage : langoustines
o 1er tour : une palette de 30 bacs maxi par bateaux
o 2ème tour les palettes restantes
2ème passage : produits vivants
3ème passage : poissons de saison
o 1 tour limité à 1 palette de 30 bacs maxi
Le surplus sera vendu en criée (allotissement et pesée par le bateau)
4ème passage : autres poissons
o 1er tour limité à 1 palette de 30 bacs maxi
o 2ème tour limité à 1 palette de 30 bacs maxi
o 3ème tour les palettes restantes
Les bateaux devront identifier par numérotation 1, 2, 3…. l’ordre de leurs palettes.
Les espèces en trop grande quantité ou à faible valeur devront comme d’habitude être alloties et pesées par les bateaux pour la vente en criée.
Le non-respect de ces mesures entrainera la perte du bénéfice du tirage au sort.
Rappel : l’annonce est obligatoire pour participer au tirage, en cas d’absence l’ensemble de la pêche sera vendu à la fin.

Alors évidemment, il faut le lire et le relire pour s’y retrouver et S’ADAPTER. Il faut aussi éventuellement pêcher ! Surtout se concentrer sur la pêche et ne pas penser à ceux qui ont imaginé une telle organisation. Les adjectifs me manquent pour la qualifier. Surtout, se concentrer sur le poisson, retrouver la sole. Restez zen !

Jeudi 16 avril
Risque sanitaire, gestes barrières, crise économique … le contexte est anxiogène mais il faut se recentrer sur le cœur de métier : la pêche. Les conditions météorologiques sont trop clémentes pour voir le poisson mailler en nombre. Ce n’est pas la catastrophe mais ça pourrait être mieux. Les 200 kg de maquereaux pêchés hier se sont négociés ce matin à 2 euros le kg et la sole à 17 euros. Des prix corrects pour la saison.

Mardi 14 avril
La réunion des différents acteurs du port de Lorient n’a rien solutionné ! Les petits bateaux resteront lésés par le système adopté ; la pêche d’une cinquantaine de bateaux qui représente entre 15 et 20 tonnes de poisson et langoustine doit se négocier le plus rapidement possible sur un seul tapis ! En fin de vente vers 7 heures du matin, les prix sont au plus bas. Les poissonniers qui achètent le beau poisson sont partis depuis longtemps. Seuls restent les mareyeurs qui souhaitent acheter le plus de poisson possible à bas coût. Le risque pour les pêcheurs dans les prochains jours ? vendre à perte !
Demain, une nouvelle réunion nationale consacrée aux arrêts temporaires pourrait prochainement avoir lieu. Si un accord était trouvé, certains bateaux seraient susceptibles de s’organiser afin de faire des roulements. Cette solution est étudiée depuis le début du confinement mais pour l’instant elle n’a pas abouti.

Mercredi 8 avril 2020
En ce début de semaine, le port de Lorient voit l’ensemble de sa flottille artisanale reprendre la mer. Les fileyeurs et chalutiers qui par mesure de précaution avaient arrêté net leur activité au premier jour du confinement reprennent le travail. De leur côté, les mareyeurs organisent leurs achats en fonction des arrivages et bien sûr de la demande. Bref, on pourrait s’attendre à ce que la situation soit à défaut d’être normale, ajustée aux circonstances. Et bien non ! Se pose le problème du personnel du port de Keroman. L’effectif est drastiquement réduit. Conséquence : un seul tapis sous criée. Afin de faciliter le travail de son personnel, la direction du port demande aux pêcheurs de trier leur poisson avant qu’il ne soit présenté à la vente : un travail supplémentaire pour les équipages qui ne seront pas davantage payés puisque leurs salaires correspondent à un pourcentage sur les ventes. Chaque bateau doit sélectionner une palette de « beau poisson » et le reste de sa pêche est présenté sur une seconde palette. Les deux lots sont présentés sur le tapis en deux temps lors d’une vente qui s’éternise jusqu’au petit matin. Cette organisation pose problème tout particulièrement aux fileyeurs car il est difficile de sélectionner du beau poisson. Le poisson qui passe au second tour est dévalorisé. Un exemple concret : aujourd’hui les merlus passés au second tour se sont vendus 3,5 euros le kilo. Hier, ils se négociaient à 10 ! Une réunion devrait avoir lieu vendredi mais les cours risquent en attendant de s’effondrer.
Autre point de crispation : l’organisation de producteur qui s’est retirée dès le troisième jour du confinement, continue à nous prélever sa taxe sur le total des ventes. Une aberration !
Poursuivre son activité en pleine crise est une chose mais faut-il encore que tous les acteurs de la filière jouent le jeu !

Lundi 6 avril
La pleine saison de sole se tire. Je traduis : Le printemps arrive et la sole se raréfie. Cette année, c’est au profit du poisson bleu, plus précisément du maquereau. Il est arrivé avec le confinement mais ne voyez aucune corrélation entre les deux événements. Communément, on dit que le maquereau est un signe avant-coureur d’une belle saison estivale, on verra ! En ce début avril, il est abondant, trop abondant. Le consommateur l’apprécie davantage en conserve que frais. Résultat : il s’est négocié 77 centimes le kilo ce matin sous criée. Début mars 2020 :
Alors que les médias mettent en avant les gestes barrière pour repousser la propagation du Covid 19, la pêche artisanale lorientaise se remet tout doucement d’un hiver où l’activité a été impactée par les nombreuses tempêtes.

Vendredi 3 avril
Aujourd’hui la Commission Européenne a fait connaitre ses propositions en faveur du secteur de la pêche : la perte de chiffre d’affaires des navires sera compensée à hauteur de 75% par le Fonds européens pour les Affaires Maritimes et la Pêche (FEAMP). C’est une mesure d’accompagnement qui a sans nul doute fait l’objet d’âpres débats ! Je peux lire aussi dans les documents transmis que les « quantités éligibles au stockage peuvent être augmentées de 25% ». Il va falloir que je sois attentif pour la sole. En attendant, elle est moins présente dans les filets.

Samedi 28 mars 2020
Il ne fait aucun doute que la pression morale est plus importante depuis le début de la crise sanitaire. Il faut notamment accorder toute sa confiance aux matelots en matière de confinement lorsqu’ils ont mis pied à terre et chasser la suspicion.
Est-ce que poursuivre l’activité a été une bonne option pour l’instant ? le poisson s’est jusqu’à présent correctement vendu et paradoxalement à ce que nous aurions imaginé, les salaires versés cette dernière quinzaine ont été légèrement supérieurs à ceux versés en 2019 sur la même période. (Rappel : pour la pêche artisanale les salaires sont traditionnellement versés à la quinzaine et correspondent à un pourcentage des ventes sous criée). Mais qu’en sera-t-il les prochaines semaines ?

Jeudi 26 mars
L’annonce de la fermeture des marchés ouverts par le premier ministre Edouard Philippe est à prendre au sérieux. Depuis mardi c’est le flou mais quel sera l’effet de cette nouvelle décision sur les ventes dans les prochains jours ?
Il va falloir attendre la fin de la semaine pour la suite de cette chronique !

Mercredi 25 mars
Sous criée, un tapis sur deux fonctionne ce matin pour 7 tonnes de poisson. C’est peu mais les prix se maintiennent.
Finalement la prise de température des membres d’équipage aura été une mesure très éphémère : rétropédalage des instances décisionnaires ! Est-ce raisonnable d’un point de vue sanitaire ? Impossible à dire, mais c’est un soulagement d’un point de vue réglementaire car le thermomètre récupéré lundi soir était défectueux : impossible de l’utiliser la nuit de facto à l’embarquement !

Mardi 24 mars
La semaine débute avec une nouvelle charge qui incombe au patron : Surveiller la bonne santé des membres de son équipage et mettre en place un cahier de bord sur lequel il faut indiquer la date, l’heure et la température de chacun. Il pourra ensuite se concentrer sur son cœur de métier : traquer le poisson !

Lundi 23 mars
Impossible de sortir en mer faute de thermomètre ! Est-ce que les générations précédentes auraient eu des scrupules à sortir du port ? En 2020, il faut suivre les nouvelles règles sanitaires et trouver un thermomètre ! Pénurie dans les pharmacies au même titre que le gel hydroalcoolique et les masques.

Samedi 21 mars
Bilan : Une semaine éprouvante. L’incertitude du lendemain est pesante pour notre marin. Il faut un minimum de bateaux en mer pour maintenir l’activité sur le port mais il ne faut pas trop d’apports pour que les prix restent corrects. Il ne faudrait pas vendre à perte !

Vendredi 20 mars
« Il est important que la flottille arrive à approvisionner régulièrement la criée pour approvisionner les mareyeurs et poissonniers toujours en activité et soutenir la continuité de la filière » C’est ce que retient notre patron pêcheur du compte rendu d’une réunion qui a réuni différents acteurs de la filière au port de Kéroman. Lors de cette réunion il a aussi été dit : « Pour la pêche côtière : marché très variable et volatile. La criée reste ouverte tant qu’il y a du poisson. Une autorégulation des chalutiers artisans devrait se mettre en place pour la langoustine. La GMS agit en réaction des flux et des demandes de la clientèle, mais agit pour maintenir ses rayons « traditionnels ». Il est escompté un retour de la consommation de poisson courant de la semaine prochaine. Quelques mareyeurs ferment temporairement leur activité, faute de débouchés. Reprise d’activité rapide possible, en fonction du marché. ».
De leur côté, les patrons pêcheurs qui ont fait le choix de poursuivre leur activité se concertent pour maintenir un prix barrage alors que les organisations de producteurs se sont désengagées dès le 2ème ou 3ème jour du confinement. Le risque est de voir certains mareyeurs et poissonniers profiter de la situation.

Mercredi 18 mars
Dans ce contexte, notre patron de fileyeur fait le choix de continuer son activité pour quatre raisons :
1/ Le poisson est présent.
2/ Les prix sont corrects en criée : La sole se négocie entre 12 et 13 euros.
3/ Le bateau à quai, les charges restent à payer
4/ rien de concret concernant les aides
Il faut maintenant convaincre son équipage du bienfondé de sa décision.

Mardi 17 mars :
Un vent de panique souffle sur le port de pêche suite à l’annonce des mesures de confinement. La lutte contre le coronavirus exige une mobilisation nationale. A partir de ce mardi pour quinze jours au moins, les Français devront rester chez eux, sous peine de sanctions, sauf déplacements absolument nécessaires. Quel sera l’impact de ces mesures sur la filière pêche ?
Faut-il continuer l’activité ? Comment respecter les gestes barrières dans un espace de travail réduit ? Quelle responsabilité pour le patron vis à vis de ses matelots en cas de contraction du virus à bord ? Est-ce que la criée de Lorient va fermer ? Est-ce que des aides seront octroyées aux bateaux en cas d’arrêt total de la filière ? On parle de chômage technique pour les matelots, mais à quelle hauteur ? Et pour les armements et patrons ? Echanges radio entre patrons, coups de fil aux instances, réception de nombreux mails… Face au flot d’informations divergentes, il faut prendre une décision.

Emmanuelle YHUEL BERTIN

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