Femmes de marins pêcheurs en Bretagne 22 rencontres avec des femmes de marins pêcheurs, une plongée dans la vie de familles de pêcheurs

, par  TEPHANY Danièle

Danièle Téphany
22 rencontres avec des femmes de marins pêcheurs, une plongée dans la vie de familles de pêcheurs.
Roscanvel, Histoires d’ici et d’ailleurs, 2020, 74 pages, 10 €
Pour commander : http://histoiresiciailleurs.monsite-orange.fr/

Voir la présentation de ce livre en anglais ci-dessous.

Une profession qui ne pourrait exister sans l’engagement personnel, social, voire politique des femmes

Au-delà de la valeur patrimoniale des histoires de vie qui révèlent des expériences humaines singulières, ce recueil de portraits de femmes de marins pêcheurs a vu le jour autour d’un intérêt personnel lié à l’environnement familial de Danièle Téphany : née et ayant vécu dans un port de pêche finistérien, elle-même fille et petite fille de femmes qui partageaient la vie de pêcheurs naviguant selon les époques sur des langoustiers entre les côtes bretonnes, britanniques et africaines, elle souhaitait aborder la condition féminine dans la Bretagne maritime. Donner un coup de projecteur sur la vie de femmes vivant avec des marins pêcheurs, c’est mieux connaître une facette importante du monde maritime, mais également participer à la transmission de la mémoire sociale d’une région comme la Bretagne qui doit beaucoup aux marins et à leurs familles, tant d’un point de vue économique que culturel. Ces portraits contribuent à une meilleure compréhension de l’histoire des femmes en illustrant leur rôle majeur dans une profession qui ne pourrait exister sans leur engagement personnel, social, voire politique.

En finir avec un imaginaire archaïque

Les représentations liées aux femmes ont longtemps été associées à tout un imaginaire quelque peu archaïque dont les peintres (« la veuve de l’île de Sein » d’Emile Renouf au Musée des Beaux-Arts de Quimper) et poètes (De Victor Hugo à Tristan Corbière en passant par José Maria de Heredia) se sont souvent fait l’écho, en l’occurrence la femme en noir, marquée par le deuil, lasse d’attendre sur le quai le retour d’un mari ou d’un fils. « Femme de marin, femme de chagrin » reprend aussi le proverbe. Ce sont ces clichés si peu conformes à ses souvenirs d’enfance que Danièle Téphany essaie d’interroger grâce à une série de 22 entretiens.

Les femmes revendiquent leur indépendance

Le livre permet d’apporter un éclairage actuel sur ces femmes de pêcheurs appartenant à différentes générations, qu’elles participent ou non à l’activité de pêche de leur mari. Qui sont elles ? Sont-elles issues du milieu de la pêche ? Partagent-elles des points communs, des préoccupations communes ? Rencontrent-elles des difficultés semblables ? Se sentent-elles différentes des autres femmes de leur âge, de leur milieu social ? Quel est l’impact du métier de pêcheur sur leur vie professionnelle ou familiale ? Comment composent-elles avec le métier de leur conjoint ? L’exercice de toute profession leur est-il possible ? Enfin, l’expression femme de marin pêcheur qui associe le destin de la femme au métier de son mari n’est-elle pas quelque peu provocatrice et fait-elle encore sens quand les femmes revendiquent de façon plus affirmée leur indépendance ?

Une contribution parfois invisible

Cette approche de genre fait écho à des préoccupations actuelles sur le thème des femmes en donnant à voir leur contribution parfois invisible au métier de marin pêcheur, là où trop souvent n’émerge encore que la figure masculine. Les entretiens à l’origine des portraits ont révélé une parole intime, sincère et subjective autour de trajectoires de vie, de l’organisation domestique, familiale et professionnelle, de la gestion du quotidien, sans oublier les questions étroitement liées aux métiers maritimes telles que la peur du naufrage et de l’accident à bord, ou encore l’absence. Ces portraits illustrent à leur manière le rapport hommes/femmes, du point de vue des femmes, dans le milieu de la pêche.

Une grande diversité de situations, d’expériences et de situations personnelles

Tel un fil rouge, l’expression femme de marin pêcheur permet de déconstruire une image souvent univoque et de rendre visible la grande diversité des situations, des expériences et des histoires personnelles de ces femmes qui ont su s’organiser et « bricoler » leur vie quotidienne en l’absence de leur mari. Au-delà des différences générationnelles, ces témoignages de femmes d’aujourd’hui, le plus souvent encore en activité, viennent rendre compte d’une réalité complexe et contrastée.
Au final, derrière les clichés et l’imagerie véhiculée par les cartes postales touristiques, ces rencontres avec des femmes liées au monde de la pêche montrent un milieu maritime bien vivant malgré les crises successives qui l’ont touché, notamment en termes d’emploi, de quotas ou de mise au rencard des bateaux. Si les ports n’abritent plus les nombreuses flottilles des périodes fastes, si les communautés de marins pêcheurs ont également disparu, les côtes bretonnes restent marquées par l’économie maritime. La façade littorale comporte toujours une multitude de lieux où les activités de pêche se portent plus ou moins bien, mais où tous ceux qu’on y croise apprécient la qualité de vie.
Le récit de chacune de ces femmes donne le sentiment de s’immerger dans un univers à chaque fois différent : quoi de commun, en effet, entre la pêche artisanale et la pêche au large, entre les sorties journalières à quelques milles de la côte et les embarquements vers la Manche, la Mer du Nord ou l’Afrique. Chaque type de pêche impacte différemment la vie personnelle et familiale.

Vivre avec un marin pêcheur implique un sens de l’adaptation, de la rigueur dans l’organisation de la vie familiale et sociale

Un point commun tout de même à toutes ces femmes : la vie de tous les jours n’est pas facile car elles portent souvent seules l’organisation domestique et le quotidien avec les enfants. Non pas que leurs conjoints renâclent à exercer ces tâches – quand ils sont à terre, nombre de marins cuisinent ou font le ménage - mais les contraintes de leur métier les en empêchent. La plupart des femmes qui ont témoigné exercent ou ont exercé une profession. Certaines ont opté pour une activité professionnelle éloignée du monde maritime, d’autres participent à l’entreprise de pêche de leur conjoint mais dans tous les cas, vivre avec un marin pêcheur implique un certain sens de l’adaptation, des capacités d’anticipation et de la rigueur dans l’organisation de la vie familiale mais aussi sociale.

Des femmes déterminées, admiratives du courage du pêcheur, en manque de reconnaissance sociale.

Dans les années 90, des femmes ont fait preuve d’un engagement remarquable et se sont dépensées sans compter pour défendre le métier de leur mari quand le monde de la pêche vivait des heures difficiles. Aujourd’hui, malgré les réglementations qui désolent certains et les difficultés à recruter des équipages chez les armateurs, la pêche assure généralement aux familles qui en vivent un bon niveau de vie.
Avec ces portraits s’impose le sentiment d’être face à des femmes déterminées, indépendantes d’esprit et habituées à affronter l’adversité, car pour citer certaines interviewées, cette vie : « Ça forge un caractère. »
Toutes sont admiratives du courage de celui qui prend la mer, travaille sans répit et reste pourtant animé par la passion de son métier. Beaucoup ont évoqué l’importance de la confiance et de la solidarité au sein du couple pour surmonter toutes ces contraintes. Pour autant, elles déplorent souvent un manque de reconnaissance sociale pour celles qui restent à terre, pour tout le travail invisible qu’elles assument et sans lequel le marin ne pourrait pas se consacrer pleinement à son métier.
A l’heure où les femmes aspirent à davantage d’égalité entre les sexes, certaines ont sauté le pas dans ce monde maritime qui demeure encore majoritairement masculin et ont fait le choix d’exercer le métier de marin pêcheur comme ou avec leur conjoint.

Traduction en anglais :

A profession that could not exist without the personal, social and even political commitment of women.

Beyond the heritage value of life stories that reveal singular human experiences, this collection of portraits of fishermen’s wives was born around a personal interest linked to Danièle Téphany’s family environment : born and having lived in a fishing port in Finistère, being herself the daughter and granddaughter of women who shared the life of fishermen sailing on crayfish boats between the Breton, British and African coasts, she wanted to address the status of women in maritime Brittany. Turning the spotlight on the lives of women living with fishermen discloses an important facet of the maritime world, but also participates in the transmission of the social memory of a region like Brittany, which owes a great deal to the seafarers and their families, both economically and culturally speaking. These portraits contribute to a better understanding of the history of women by illustrating their major role in a profession that could not exist without their personal, social and even political commitment.

Putting an end to an archaic imagination

Representations linked to women have long been associated with a somewhat archaic imaginary world often echoed by painters ("the widow of the Ile de Sein" by Emile Renouf at the Musée des Beaux-Arts in Quimper) and poets (from Victor Hugo to Tristan Corbière via José Maria de Heredia) with such images as the woman in black, marked by mourning, weary of waiting on the quay for the return of a husband or son. "Sailor’s wife, woman of sorrow" as a famous saying goes. These are the clichés, so out of tune with her childhood memories, that Danièle Téphany is trying to question through a series of 22 interviews.

Women claim their independence

The book sheds a current light on these fishermen’s wives belonging to different generations, whether they participate or not in their husbands’ fishing activities. Who are they ? Were they all born into the fishing community ? Do they share common points, common concerns ? Do they face similar difficulties ? Do they feel different from other women having the same age and social background ? What is the impact of being a fisherman on their professional or family life ? How do they cope with their mate’s occupation ? Is it possible for them to practice any job ? Finally, isn’t the expression "fisherman’s wife", which associates a woman’s destiny with her husband’s profession, somewhat provocative and does it still make sense when women are more assertively claiming their independence ?

A rather invisible contribution

This gender approach echoes current concerns about women by showing their rather invisible contribution to the job of fisherman, where all too often only the male figure emerges. The interviews which the portraits are based on revealed an intimate, sincere and subjective speech about life trajectories, domestic, family and professional organization, the management of daily life, without forgetting issues closely linked to maritime professions such as fear of shipwreck and accidents on board, or even absence. These portraits illustrate in their own way women’s point of view about the relationship between men and women in the fishing industry.

A wide variety of situations, experiences and personal situations

Like a main thread, the expression fisherman’s wife helps to deconstruct an often univocal image and to make visible the great diversity of situations, experiences and personal stories of these women managed to organize themselves and make do with their daily lives while their husbands were away at sea. Beyond generational differences, these testimonies of today’s women, most of them being still working, give an account of a complex and contrasting reality.
In the end, behind the clichés and imagery conveyed by tourist postcards, these encounters with women linked to the world of fishing show a quite lively maritime environment despite the successive crises that affected it, particularly in terms of employment, quotas or boat scrapping. Although ports no longer shelter the numerous fleets of the lucky period and fishing communities also disappeared, the Breton coasts are still marked by the maritime economy. The coastline still hosts a multitude of places where fishing activities still trundle on, but also where everyone you come across appreciates the quality of life.
The story of each of these women gives the feeling of being immersed in an ever different world : what is in common, in fact, between small-scale fishing and high-sea fishing, between daily trips a few miles off the coast and fishing in the English Channel, the North Sea or Africa ? Each type of fishing has a different impact on personal and family life.

Living with a fisherman implies a sense of adaptation and rigour in the organization of family and social life.

One thing all these women share, however, is an uneasy and challenging everyday life because they usually carry alone the burden of the domestic organization and daily life with the children. Not that their husbands are reluctant to carry out these tasks - when they are ashore, many sailors cook or do the housework - but the constraints of their profession prevent them from doing so. Most of the women who testified have or had a job. Some of them chose a professional activity far from the maritime world, others participate in their husbands’ fishing business, but in all cases, living with a fisherman implies a certain sense of adaptation, anticipation and rigour in the organization of family and social life.

Determined women, admiring the courage of the fisherman, in need of social recognition.

In the 90s, women showed remarkable commitment and put all their energy into defending their husbands’ profession when the fishing world was going through hard times. Today, despite the regulations that despair some professionals and the difficulties ship owners face in recruiting crews, fishing activities generally provides a good standard of living for the families that live on them.
With these portraits, what stands out is the feeling of facing determined, free-minded women, used to braving adversity, because to quote some of the interviewees, this way of life : “ shapes your character.”
They all admire the courage of the man who puts out to sea, works without respite and yet has a passion for his job. Many mentioned the importance of trust and solidarity within the couple in order to overcome all the constraints. However, they often lament the lack of social recognition for those who stay ashore, for all the invisible work they take on and without which the sailor could not fully dedicate himself to his profession.
At a time when women long for more equality of the sexes, some of them took the plunge into the maritime world, which is still predominantly male, and chose to work as fisher(wo)men as or with their husbands.

Voir en ligne : http://histoiresiciailleurs.monsite...

Navigation