La pêche industrielle peut-elle être durable ?

, par  LE SANN Alain

Le journal étudiant "Le Drenche" nous a demandé en Août un article sur la pêche industrielle. Il a été publié au moment du baptême du chalutier géant "Scombrus" à Concarneau ; cette cérémonie a soulevé l’indignation et la colère de nombreux pêcheurs et d’ONG. On peut comprendre cette manifestation qui met le doigt sur deux problèmes réels. La pêche industrielle française de poissons pélagiques est, dans sa quasi-totalité, sous contrôle de capitaux étrangers, hollandais pour les maquereaux, italiens, thaïlandais et hollandais pour le thon. Que reste-il de français dans de tels armements ? Quelques officiers et des quotas. Ces quotas de maquereaux sont donc accaparés par des intérêts étrangers. Pour une part ils peuvent être pêchés en Manche ou dans le Golfe de Gascogne par ces chalutiers géants sous le nez des artisans qui ne disposent pas de ces quotas. De plus, ces industriels ont un poids considérable dans les OP et au CNPMEM, alors qu’ils ne représentent que peu de pêcheurs. Cependant, l’essentiel de leur pêche s’exerce sur les grands stocks du large, en Mer du Nord et en Atlantique Nord, souvent inaccessibles aux artisans. Les stocks concernés sont énormes, estimés à 4,2 millions de tonnes en 2019. Le TAC recommandé par le CIEM s’élève à 922000 tonnes pour 2020. Il y a donc de la place pour quelques gros chalutiers à condition qu’ils respectent les quotas attribués, ce qui n’a pas été le cas depuis quelques années et a amené le MSC à retirer sa certification. Des captures limitées et contrôlées sur ces stocks abondants du large ne mettent pas en péril les artisans ni le fonctionnement de la chaîne alimentaire.
La colère est donc justifiée lorsqu’elle concerne des stocks proches des côtes, accessibles aux artisans, mais faut-il pour autant remettre en cause toute pêche des espèces pélagiques du grand large ? Ce serait se priver de ressources alimentaires abondantes et de qualité, accessibles à des prix très bas.

Bien encadrée, la pêche industrielle peut être durable

Le Collectif Pêche et Développement défend prioritairement la pêche artisanale et pour cela il est important de définir la place de la pêche industrielle pour qu’elle ne soit pas en contradiction avec les intérêts des artisans, mais il faut s’entendre sur ce qu’est la pêche industrielle. En Europe, elle concerne tous les bateaux de plus de 12 m, car la définition limite le secteur artisanal à la petite pêche, excluant de plus les arts traînants (drague, chalut). Une telle définition est trop restrictive et ne correspond pas à la réalité de la pêche artisanale sur la côte atlantique car elle exclut la pêche côtière et la pêche hauturière – cette dernière est également partiellement artisanale, quoique le niveau d’investissement la rende de plus en plus inaccessible aux patrons pêcheurs embarqués.

Pour être durable, la pêche industrielle doit être fortement encadrée pour éviter les désastres que sa puissance peut engendrer comme dans les années 1960-2000, en Europe et ailleurs. C’est encore malheureusement le cas avec la pêche illégale, principalement asiatique. Il faut encadrer et contrôler l’effort de pêche, les captures, les conditions de travail et de rémunérations des marins, limiter les subventions, mais cela ne garantit pas la durabilité. Il faut éviter les accaparements de certaines ressources quand elles sont partagées avec les artisans comme c’est le cas pour le thon, les maquereaux et d’autres espèces, en donnant la priorité aux artisans, en interdisant l’accès de certaines zones aux industriels. Par exemple, il est anormal que des chalutiers géants de 100 m et plus accaparent les maquereaux en Manche alors qu’ils sont accessibles aux artisans.

Certaines pêches industrielles comme la pêche minotière pour la farine et l’huile doivent être soit interdites ou fortement réduites. En effet, les captures concernées peuvent souvent être consommées directement, ce qui suppose de créer les conditions de leur commercialisation pour l’alimentation humaine. Les autres espèces non consommables directement constituent la nourriture des espèces consommables.

La pêche industrielle pour être durable doit aussi s’engager à respecter les droits sociaux des marins. Si cela se faisait partout, bien des pêches lointaines illégales ne seraient pas rentables et seraient réduites. Si toutes ces conditions sont respectées, certaines pêches industrielles peuvent être durables et contribuer à nourrir la population à des prix raisonnables. Elles peuvent même être indispensables, au moins temporairement, pour certains pays incapables jusqu’à présent d’exploiter par eux-mêmes leurs ressources du large, faute de capacités humaines et financières. C’est le cas de nombreuses îles du Pacifique qui assurent une bonne part de leur budget en vendant des droits de pêche. Certaines ressources importantes se trouvent dans des zones peu habitées et ne sont accessibles qu’à des bateaux industriels.

Voir en ligne : https://ledrenche.ouest-france.fr/l...

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