Pêche industrielle et morues, phoques ....

, par  LUCAS Serge

Serge Lucas, photographe spécialisé dans la pêche et écrivain, nous a adressé quelques réflexions suite à notre article sur la pêche industrielle. Au-delà de ce sujet, il apporte plusieurs éléments et données sur d’autres questions récurrentes concernant la pêche.

Industrielle ! Est-ce un gros mot ? On finirait par s’en méfier devant tant de mises en accusation !
Mais où en serions-nous sans l’industrie et les échanges internationaux ?
Je ne veux ici évoquer que les aspects techniques et non les entrelacs financiers… Mais ce sont bien de la technique dont s’insurgent la plupart des protestataires.
Commençons par nous déshabiller. D’où viennent nos vêtements : slips, chaussettes, chemises… ?
Voyons ensuite nos habitations : ma pompe à chaleur air-eau Mitsubishi (Quelle économie ! Quel confort !)…,
Je ne vais pas ainsi énumérer le monde industriel qui nous entoure…
Qu’on cesse donc de parler de pêche industrielle en grimaçant !
Pour moi, il n’y a que des Gens de Mer qui font le "petit" ou le "grand" métier, depuis l’estran jusqu’au plus lointain large. Chacun bien dans son métier. Ceux qui ont fait le large reviennent rarement à la côte ou alors la pension n’est pas loin !
Et chacun espère pouvoir retourner à la mer l’année suivante. Ils seraient suicidaires s’ils détruisaient d’abord la ressource. La crainte de chacun n’est pas de constater une année de "misère", il y en a toujours eu comme, des années de "fortune". Leur crainte est de constater la diminution de la taille de leurs prises. C’est le signe le plus alarmant de la fragilisation d’une espèce… N’oublions pas non plus que nombre d’espèces fraient à la côte ! Les jeunes peuvent être alors menacés par les petites pêches artisanales. Dans le midi on se régale des fritures. Qui sont souvent des alevins rougets. "Tant est importante la fécondité de cette espèce que ce n’est pas dangereux " m’a dit un jour un spécialiste d’Ifremer, auquel je montrais des photos de caisses de mini rougets bien rangés dans une criée en Espagne.

Et comme tu l’écris, justement, Alain, pas un seul des maquereaux pêchés par les plus grandes unités ne viendrait se glisser dans les trémails des dorissiers de la côte…

Contrôler les conditions de travail et préserver les ressources

Et si l’on évoque les conditions de travail et de vie des marins ne nous limitons pas à la grande pêche… A bord d’artisanaux britanniques il y avait, il y a cinq ans, (je ne sais si c’est encore le cas) des thaïlandais dans quelle condition ? Et dans Ouest-France du 30 janvier 2007, Raymond Cosquéric écrivait que sur un artisans espagnol "12 marins s’entassaient alors qu’il n’y avait de couchette que pour la moitié !"
J’en reviens à la grande pêche. En 1978, lors de mon voyage à bord du Finlande le commandant me disait : "on a trop gratté, on l’a dit mais à terre on ne nous entend pas…" Et lorsque la banquise gagna plus sud chassant le Finlande d’un de ses sites favoris, le même commandant eut cette réflexion : Tant mieux les crevettes vont ainsi être à l’abri, elles pourront grandir et se reproduire tranquillement !
Il s’offusquait encore quand on apprenait qu’à Dieppe on avait jeté à la poubelle une grande quantité de belles soles qui n’avaient pas trouvé acheteur : Dire qu’il y a des gamines dans le monde qui ont faim ! concluait-il !
Et cet autre patron français, sorti de Boulogne, qui pêchant le maquereau à la limite des eaux britanniques fit la grimace quand il aperçut une vedette des Coast guards, commentant : Certes ils sont sévères, mais au moins ils sont efficaces, ce qui n’est pas le cas de nos surveillants français. Tant mieux, la pêche en a besoin.
Certes, depuis les années 80 des progrès ont été accomplis. Il n’empêche que la pêche libre d’antan ne peut plus exister. Compte tenu des améliorations des matériaux, des outils de détection, des engins même (mis au point par des spécialistes d’Ifremer et autres), il faut désormais des mesures intelligentes d’abord pour préserver la ressource. Ne soyons pas hypocrites, nous parlons bien de ressource et non de gentils animaux marins qu’il faudrait protéger ! Ces poissons (crustacés et mollusques compris) nourrissent une partie de l’humanité et apportent des protéines à combien d’enfants ! Protéger la ressource, c’est aussi protéger le travail et donc le devenir des marins pêcheurs.
Il faut des mesures que scientifiques et pêcheurs peuvent appliquer aux termes de sérieux et respectueux entretiens. Pas besoin de ces ONGE, organisations non démocratiques qui par des "coups" ne cherchent qu’à susciter les dons de "gentils gogos" et garnir leurs comptes en banque…
Pour moi le danger actuel ne vient pas du monde de la mer, mais de ceux qui veulent s’approprier la mer et en définir l’usage, à des fins pas toujours très claires…
Évoquons un instant la décision de 1992 et la création de la Zone Économique Exclusive des 200 milles. Cette zone prétendument faite pour protéger les états côtiers, ne profite en réalité qu’aux états riches. Les États Unis fut le premier pays à l’appliquer pour des raisons qui semble-t-il n’avait pas grand-chose à voir avec la ressource halieutique, mais pour le contenu des sous-sols ! Que peuvent faire les pays côtiers, souvent pauvres, de leurs 200 milles s’ils n’ont ni les flottes et les hommes formés ? Ils cèdent leurs droits aux pays riches (Chine, Union Européenne…) Et dans ce cas qui peut garantir que la corruption n’existe jamais !
Je peux développer… Je préfère pour l’instant reprendre la mer…

Le 1er octobre j’ai passé 24 heures à bord d’un coquillard de Dieppe, pour suivre l’ouverture de la nouvelle campagne de pêche à la coquille Saint-Jacques.
Arrivé à 23h30 sur la zone où il avait prévu de mettre en pêche l’équipage a attendu 0 h le 1er octobre pour larguer les dragues. Ce coquillard comme tous les autres de la flottille avait alors 24 heures pour atteindre son quota, soit 2 200 kg.
Désormais on ne parle plus que de quotas ! Rentré après minuit le jeudi soir ce bateau pouvait repartir le dimanche après-midi afin de mettre en pêche à 0 H ; le lundi 5 octobre. Il lui était alors permis de pêcher trois quotas jusqu’au mercredi soir 24 h, 7 octobre. Trois quotas soit trois fois 2 200 kg. Cela est bien précis, car ce bateau ne pouvait pêcher 3 000 kg le lundi, 1 400 le mardi et 2 200 le mercredi. Il devait chaque jour pêcher 2 200 kg, ayant noté sur un livre, soumis au contrôle, chacun de ses 19 traits, avec heure de largage, heure de virage, et nombre de bacs de 22 kg chaque fois. Ainsi parle-t-on de pêche libre !!!
Autre impératif : un patron pêcheur n’a pas le droit de donner plus de 5 kg de coquilles par semaine à chacun de ses matelots… Cela troublerait les quotas !!!

Autre sujet : non pas les dauphins, mais les phoques.

Le Hourdel est un charmant très petit port à l’extrémité sud de la baie de Somme. Naguère les touristes aimaient à venir regarder les pêcheurs de crevettes grises et échanger quelques conversations. Désormais les touristes sont encore plus nombreux, mais ils viennent voir… les phoques ! Des phoques intouchables et rois des eaux et bancs de sable. L’été, à marée descendante des bassines se forment dans le sable où les bambins aimaient barbotter. Ces jeux sont terminés et les bassines réservées aux phoques qu’il ne faut surtout pas déranger… Merci pour les enfants !

A propos de phoques, écrivant durant le confinement, une nouvelle sur une morue baguée, j’ai pris contact avec un biologiste de Terre-Neuve. Il m’a abondamment renseigné sur le marquage des morues, dont la pêche est interdite aux séculaires Terre-neuvas depuis 1992. Il m’a, aussi, indiqué des publications du Gouvernement Canadien dont voici un extrait :
Les Canadiens du secteur Pêches et Océans du Gouvernement Canadien continuent d’étudier tous les secteurs de la pêche et notamment l’évolution des stocks de morues. Ils publient régulièrement les résultats de leurs observations et leurs études.
Voici quelques extraits.
Avis scientifique 2019/021. Évaluation de la morue franche (Gadus morua) du sud du golfe du Saint-Laurent (Div. de l’OPANO 4T-4Vn (nov. – avril)) jusqu’en 2018
• L’indice de biomasse pour les morues de taille commerciale (≥ 42 cm) provenant du relevé annuel par navire de recherche du MPO était, en 2017 et 2018, le plus bas observé dans les 48 années de données. […]
• L’estimation de la biomasse du stock reproducteur (BSR) a diminué de façon constante entre 1997 et 2018. Au début de 2018, la BSR est estimée à 13 900, la plus basse enregistrée dans les 69 ans de la série temporelle, à 4 % des niveaux élevés de biomasse des années 1980.
• La BSR de 2018 est estimée à 17 % du Point de Référence Limite (PRL), sans aucune chance de l’égaler ou de la surpasser.
• En raison de la diminution de la BSR, l’abondance des recrues a diminué depuis le milieu des années 1980, malgré le fait que le taux de recrutement est au-dessus de la moyenne dans la plupart des récentes classes d’âges.
• Sous les conditions de productivité actuelles, il y a 90 % (prises annuelles de 0 à 100 t) ou 99 % (prises de 300 t) de probabilité que la BSR va diminuer davantage entre 2018 et 2023, une diminution prévue de 32 % de la BSR de 2018.
• Une mortalité naturelle (M) extrêmement élevée des morues de 5 ans et plus est la raison de l’absence de rétablissement de ce stock. La mortalité naturelle des morues adultes a augmenté dans les 40 dernières années et est maintenant estimée à 55-57 % (M = 0,81 à 0,85) annuellement, considérablement plus élevée que celle estimée dans les années 1970 (18 %, M = 0,2). À ce haut niveau de mortalité naturelle, il y a de fortes probabilités que ce stock continue à décliner, même sans pêche.
• Ce stock est maintenant sous l’emprise d’un effet Allee. Un effet Allee est présent lorsque le taux de croissance de la population par individu diminue à mesure que la taille de la population diminue. C’est l’opposé du comportement habituel d’une population à faible abondance. De plus, depuis 2000, ce stock présente une production déficitaire, une moyenne négative de 7 000 t par année, indicative d’un fort effet Allee. Si un fort effet Allee persiste, cela va conduire une population à l’extinction.
La prédation par le phoque gris est considérée comme étant la principale cause de la mortalité naturelle élevée de ce stock depuis les 20 dernières années et, par conséquent, la cause de l’effet Allee.
• Dans les 20 dernières années, les morues se sont progressivement déplacées hors de leurs aires traditionnelles d’alimentation des eaux peu profondes vers les eaux plus profondes durant leur saison d’alimentation dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Ce déplacement semble être le résultat de l’augmentation du risque de prédation par le phoque gris dans les eaux peu profondes durant l’été. On s’attend à ce que ce changement dans la distribution engendre un coût (ex. diminution de l’apport de nourriture). Ce changement coïncide également avec le déclin de la condition de la morue.
Considérant l’abondance actuelle du phoque gris dans cet écosystème, le rétablissement de cette population de morue ne semble pas possible et la probabilité de son extinction est élevée.

En Mer, il y a deux espèces à sauver, deux espèces qui depuis tant et tant de millénaires ont su vivre et se développer ensemble : : les Poissons et les Pêcheurs !

Oh ! Dites-moi : C’est de quelle côté la Mer ?

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