Les pêcheurs indiens, divisés à propos d’un port

Beaucoup craignent que le grand projet du Kerala (Etat SO de l’Inde) puisse ruiner leur moyen de subsistance. Des pêcheurs du Kerala et du Tamil Nadu pourraient perdre leur gagne-pain suite au projet de création du port de Vizhinjam.

Sur la côte sud de l’Inde, plus de 400 000 pêcheurs se trouvent divisés sur la proposition d’un port maritime international, dont beaucoup pensent qu’il réduira à néant leurs moyens de subsistance et mettra leur avenir en danger.

Le port de Vizhinjam, Photo Alain Le Sann
Le port maritime international de Vizhinjam, qui coûte 11 milliards de dollars US – le projet de rêve du gouvernement du Kerala – sera réalisé en trois phases.
Bien que la construction du port n’ait pas encore commencé, des routes y menant ont déjà été construites.

Thankappan Appavi Nadar, âgé de 68 ans et originaire de Mulloor Beach, a passé plus de cinq décennies à pêcher des moules mais il pense que ses jours de pêche sont comptés étant donné que son petit village est sur la route du projet portuaire. « Ils ont installé leurs bureaux ici. Quand la construction commencera, on devra abandonner cette plage », dit Thankappan à ucanews.com. Son visage, brûlé par le soleil, en dit long sur ses longues années de lutte pour un piètre revenu. Il a passé toutes ces années sur la plage, à regarder les innombrables vagues et plonger dans les profondeurs marines pour attraper des moules.

Un autre habitant, Satishkumar, âgé de 32 ans, considère que les garanties d’emplois sont une façon d’induire les gens en erreur pour qu’ils soient favorables au projet du port en eau profonde. Il prétend que la population locale commence déjà à souffrir des effets négatifs du projet. « Les autorités ont construit une route jusqu’à l’entrée du port en détruisant le bassin hydrologique du village. Maintenant on doit faire face à une grave pénurie d’eau potable dans la région ». Dans le sud du Kerala, alors que les problèmes liés à l’eau s’aggravent à cause de la sécheresse, les routes et autres réalisations drainent les ressources d’eau de la région.

La population locale s’est aussi plaint de ne pas pouvoir vendre leur propriété au cas où le gouvernement aurait besoin de leur terre pour étendre le projet portuaire. A Vinzhinjam, près de 243 hectares ont été mis de côté pour la construction d’hôtels et d’immeubles de bureaux reliés au port. « Si le gouvernement les rachètent, les propriétaires auront des compensations financières mais pour l’instant ils ne peuvent plus les vendre », dit Satishkumar. Cependant, un fonctionnaire d’Etat a nié ces allégations.
K. Babu, le ministre des ports et de la pêche, a informé ucanews.com que le gouvernement n’a pas émis d’interdictions sur les transactions de terres et a mis en place un bureau des réclamations afin de régler les problèmes. « Jusqu’ici, l’acquisition de terres pour le port s’est faite sans encombres », dit-il.

Pendant ce temps dans cette zone, 46 familles de pêcheurs ont déjà été déplacées à cause du projet, alors que 3 000 autres d’Adimalathurai, village voisin du Tamil Nadu, seront déplacés une fois que le projet sera achevé. « Quand le port sera opérationnel, on sera forcé d’évacuer la plage. Beaucoup de pêcheurs crédules pensent que le port sera une vraie mine d’or pour eux. Mais ils ne réalisent pas qu’ils n’auront aucun moyen de subsistance », dit Maria Soosa, un pêcheur d’Adimalathurai.

T. Peter, le secrétaire du Forum national des travailleurs de pêche, a déclaré à ucanews.com que la communauté des pêcheurs est menacée par « une mafia du développement » qui prend le contrôle de la côte. Une série de règlements gouvernementaux ont rendu la vie impossible aux pêcheurs en les empêchant de construire des maisons ou de développer leur activité. « Mais ensuite le gouvernement donne le feu vert pour des gros projets comme celui-ci, en violant toutes les règles », dit-il.

Malgré la peur montante parmi la communauté des pêcheurs, certains habitants pensent que le projet offrira de meilleures perspectives de carrière pour leurs enfants. « Le gouvernement nous a assurés que nos moyens de subsistance seraient protégés. Nous aurons de bonnes opportunités. On attend avec impatience l’arrivée du port dans la région », dit Fredie Soosamarian, un pêcheur de Vizhinjam âgé de 28 ans. « Je ne veux pas que mes enfants finissent pêcheurs », dit Fredie. Selvaiyyan Aruldasan croit aussi que le projet s’avèrera une bénédiction pour les pêcheurs. « Désormais nos vies sont prises dans l’engrenage d’une incertitude totale. Parfois on fait une bonne prise, mais la plupart du temps, on revient de la mer les mains vides. Si je suis engagé pour travailler au port, j’arrêterai de pêcher », dit Aruldasan.

ucanews.com. 6 mars 2014

Traduction : Joana Neves, stagiaire au Crisla.

Voir en ligne : Indian fishermen divided over port

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