La Formule Bleue : Démasquer les dynamiques politiques derrière la promesse de la Croissance Bleue

, par  BARBESGAARD, Mads, BRENT, Zoe W., PEDERSEN, Carsten

Voici les conclusions de l’étude publiée par le Transnational Institute en octobre 2018 et traduite en français . Une réflexion intéressante à considérer dans le débat sur la planification spatiale marine et le développement des champs éoliens.

"Les millions de gens qui jusqu’à présent dépendent de l’espace marin pour leurs vies et leurs moyens d’existence -particulièrement les petits pêcheurs artisans- n’ont pour la majorité pas été invités à la fête bleue."

Le concept de Croissance Bleue est large et ambigu, siège de nombreuses visions et idéologies. Ce flou a permis d’attirer une coalition hétéroclite d’acteurs, qui peuvent tous projeter leurs propres interprétations sur ces pro- grammes politiques. Pour certains il s’agit de conservation et d’énergies renouvelables, alors qu’en pratique les forages offshore restent intacts. Enrober la croissance bleue d’une couche de durabilité aide à calmer les inquiétudes grandissantes face au réchauffement climatique, et devient profitable grâce au tourisme durable et aux Aires Marines Protégées (AMPs) à grande échelle. C’est la formule de conservation.

Pour d’autres, il s’agit d’une transition vers l’aquaculture, qui transfère l’espace océanique à d’autres usages et évite d’avoir à gérer le problème du déclin des stocks de poisson, et le besoin croissant de nourriture issue de la pêche ou d’autres ingrédients comme le soja, le colza, le tournesol et le blé. C’est la formule protéique.

Finalement, la planification de l’espace maritime au niveau national met concrètement en priorité les secteurs qui génèrent le plus gros profit, en particulier le pétrole, le gaz, le transport maritime et l’exploitation minière. Cette approche offre aussi plus de possibilités pour profiter des infrastructures existantes et de l’expertise dans le développement des énergies alternatives et de l’aquaculture. C’est la formule énergétique/extractive.

Aussi compréhensible que soit l’agenda de la croissance Bleue, des contradictions écologiques et sociales inconciliables demeurent. Et les conflits environnementaux et sociaux seront accentués, aussi longtemps que ces contradictions demeureront. Comme avec les précédentes instances historiques d’enclosures et de changements dans les régimes de régulation, les chefs d’Etat semblent essentiellement voir la croissance bleue comme un moyen de résoudre les conflits entre des industries océaniques en compétition. Et cela se passe dans le contexte de l’impératif coercitif à assurer que les composantes des taux de croissance sont nécessaires par tous les moyens.

La Croissance Bleue se manifeste ainsi comme un exercice d’équilibriste qui consiste à définir ces tentatives comme ‘durables’ et dans l’intérêt de tous. Cependant, il est important de surligner que les millions de gens qui jusqu’à présent dépendent de l’espace marin pour leurs vies et leurs moyens d’existence -particulièrement les petits pêcheurs artisans- n’ont pour la majorité pas été invités à la fête bleue. Cela pose des questions politiques très compliquées pour les mouvements de pêcheurs et leurs alliés. Certains essaient d’obtenir une invitation pour se joindre à l’économie bleue, en croyant que c’est la voie la plus sure pour sécuriser leurs droits à leurs zones de pêche. D’autres au contraire sont plus sceptiques, car ils ont été témoins de la façon avec laquelle le programme de la croissance bleue pousse les pêcheurs artisans au bord de la falaise.

Coexister avec le développement toujours plus grand des industries de l’océan n’est pas facile pour les pêcheurs : les espaces desquelles ils dépendent pour leurs moyens d’existence sont rapidement envahis par des plans pour de nouveaux ports, des installations touristiques, des voies de transport maritime, et de nouvelles exploitations aquacoles. Et s’ils arrivent à défendre une zone particulière, l’impact combiné de la construction, de la contamination et du changement climatique signifie qu’il est de moins en moins probable que cette zone soit poissonneuse. Pour survivre, ils doivent aller toujours plus loin en mer, ce qui augmente leurs dépenses en carburant ainsi que leur exposition aux dangers de l’océan et aux conflits possibles avec les flottes de pêche industrielles. Pour beaucoup, la pêche n’est plus viable.

Au regard des stocks de pêche qui s’effondrent déjà, le besoin d’une approche de la pêche avec une sensibilité environnementale et sociale va augmenter. C’est plus évident pour les petits pêcheurs artisans que pour les autres, mais les termes d’entrée dans la fête de la croissance bleue font qu’il est impossible pour les pêcheurs de survivre et de se conformer à de tels standards. C’est là que se cache le terrible secret au cœur de la croissance bleue : l’appétit pour le pétrole, le gaz, les minéraux, les protéines et la conservation qui nourrissent et forment ce programme, est fondamentalement non durable. Le contrat tripartite avec les formules de conservation, de protéine et d’énergie/extraction qui ont été mélangés échoue à résoudre les causes fondamentales de la dégradation de l’environnement –incluant le changement climatique – et condamne la population de pêcheurs artisans à un futur de plus en plus désespéré : un espace réduit et moins de poissons.
trad : Th. Josse

Champ éolien au Pays de Galles

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