Comment le gaélique écossais contribue à la protection des mers d’Écosse

, par  COLE Alastair, COURSE Magnus

Port de Loch Sgioport, South Uist

Les réglementations introduites à la suite du départ du Royaume-Uni de l’UE ont retardé l’exportation de crustacés vivants vers l’Europe, entraînant la perte de chargements entiers de homards et de langoustines dans les ports écossais.
La pêche représente une part relativement faible de l’économie du Royaume-Uni, mais les droits de pêche ont dominé une grande partie des négociations de Brexit avec l’Union européenne. Et comme le Royaume-Uni échappe aux protections environnementales de l’UE, la pêche est une fois de plus un champ de bataille pour les idées concurrentes en matière de conservation marine.
Si ces débats portent presque toujours sur des chiffres - quotas de capture, niveaux des stocks, prix et taxes - se concentrer sur ces seuls aspects quantifiables peut nous amener à négliger les valeurs qui, en premier lieu, maintiennent les gens dans la pêche.
Nos recherches sur la pêche côtière dans les Hébrides extérieures, en Écosse - un archipel peu peuplé au large de la côte ouest - nous ont menés des bateaux aux usines de transformation et aux archives, témoignant d’un engagement en faveur de la durabilité qui ne se limite pas à la législation. Nous avons constaté que le respect de la culture et de la langue de ces îles est aussi important que la protection de la faune et de la flore pour préserver un environnement marin florissant pour les générations à venir.

Bateau en pêche aux hébrides

Naviguer dans le passé
Environ 75 % des pêcheurs des Hébrides extérieures parlent le gaélique, ce qui est bien plus que les 61 % de locuteurs pour l’ensemble de la population des îles. Le gaélique écossais est une langue celtique - apparentée au gaélique irlandais, mais bien distincte de celui-ci - autrefois parlée dans une grande partie de l’Écosse, mais aujourd’hui principalement confinée à ses îles les plus occidentales. Cette langue a connu un déclin au cours du XXe siècle et compte aujourd’hui environ 60 000 locuteurs.
La pratique quotidienne de la langue par les pêcheurs au travail contribue à la transmettre à la génération suivante, car les jeunes s’imprègnent du gaélique écossais lorsqu’ils sont sur les bateaux et dans les usines de transformation où les captures sont débarquées.
Tout un système de "comharran" - marques de navigation en gaélique - entoure les îles. La plupart ne sont connues que des pêcheurs. Un "Creagan Breac" désigne un lieu de pêche que l’on peut trouver en alignant un grand rocher clair à flanc de montagne sur South Uist avec l’extrémité d’un promontoire sur lequel se dresse une église.
"Personne d’autre n’a cette connaissance", a déclaré un pêcheur d’Uist. "Même les vieux paysans ne les connaissent pas".
Une grande partie des connaissances sur les créatures qui peuplent ces zones de pêche est également consignée dans la langue gaélique. Un pêcheur de Benbecula a expliqué : « Mon père me disait : "Tu dois aller à cet endroit précis à cette heure précise et il y aura des homards". Et... c’est comme ça que ça fonctionne. C’est ce que mon grand-père et mon arrière-grand-père ont fait aussi. »
C’est ce que les spécialistes des sciences sociales appellent le savoir écologique traditionnel - des informations sur l’environnement qui sont incorporées dans la culture et la langue et transmises de génération en génération.

Anciennes méthodes, nouveaux défis
La flotte côtière écossaise pêche dans les 12 miles et représente environ les trois quarts de tous les bateaux de pêche écossais. Près de 90 % d’entre eux sont de petits bateaux caseyeurs pour deux personnes. Nos recherches ont montré que dans les Hébrides extérieures, les connaissances culturelles des pêcheurs contribuent à un engagement séculaire en faveur de la durabilité. Certaines zones sont inexploitées pendant la saison du frai et les spécimens sous la taille réglementaire et les femelles oeuvées sont rejetées en toute sécurité. Cette approche est logique, comme l’a expliqué un pêcheur de Benbecula, car : « Les pêcheurs ne vont pas se couper le cou pour des années et pour les générations à venir. »
Les connaissances des pêcheurs concernent ici non seulement les espèces qu’ils ciblent - comme les homards, les crevettes et les crabes - mais aussi l’environnement marin en général. Les étapes de la vie des mouettes juvéniles, les myriades d’espèces de dauphins et de baleines, les différentes sortes d’algues marines relevées avec les casiers sont toutes décrites de manière très détaillée par des noms et des phrases en gaélique écossais.
Ces liens séculaires entre la langue et l’environnement remettent en question les opinions dominantes sur la meilleure façon de protéger les habitats. La vitalité du gaélique écossais en tant que langue vivante souffrirait certainement si la pêche devait être réduite, et une grande partie des connaissances qui y sont liées, qui ont contribué à maintenir la pêche dans les mers des Hébrides de manière durable pendant des générations, seraient également perdues.
Lors de la discussion sur l’extension des aires marines protégées par le gouvernement écossais pour limiter la pêche dans les Hébrides, un pêcheur a déclaré : « Toute la culture gaélique de l’endroit disparaîtra. La langue gaélique que nous parlons, dans le cadre de notre travail, ne serait plus là. La culture, les gens, tout disparaîtrait à jamais. »

Dans notre long métrage documentaire en langue gaélique, Iorram, (Boat Song en anglais), nous explorons le patrimoine de ces îles grâce à des images contemporaines et à des histoires et des chansons non traduites auparavant, archivées par la School of Scottish Studies de l’université d’Édimbourg au cours des années 50, 60 et 70.
Face à l’image séculaire de communautés luttant contre la mer dans ce qui reste l’une des professions les plus dangereuses de Grande-Bretagne, nous entendons les voix des "hareng girls" des Hébrides confrontées à l’étrangeté de la nourriture anglaise sans un mot d’anglais pour se plaindre. Nous apprenons que des pêcheurs ont été enlevés comme travailleurs sous contrat et emmenés aux Antilles. Nous voyons les prix s’effondrer, les bateaux couler, les GPS arriver.
Malgré tous ces changements, le gaélique écossais lie les communautés de pêcheurs entre elles. Les débats passionnés sur l’avenir de la pêche écossaise, sur la question de savoir si elle sera gérée par Holyrood ou Westminster, et sur le degré de participation des communautés de pêcheurs elles-mêmes à leur propre avenir, vont certainement faire rage au fur et à mesure que la question de l’indépendance se posera de nouveau.
Mais il est impératif de prendre en compte la valeur durable de la langue et de la culture de ces îles.
Iorram (Boat Song) a été présenté pour la première fois en 2021 au Festival du film de Glasgow et peut actuellement être visionné virtuellement dans les cinémas indépendants du Royaume-Uni. Pour savoir où le voir, consultez le site https://iorramfilm.com.

Magnus Course
Maître de conférences en anthropologie sociale, Université d’Édimbourg

Alastair Cole
Maître de conférences en pratique cinématographique, Université de Newcastle

Traduction
A Le Sann

Publié dans The Conversation le 5 mars 2021

How Scottish Gaelic is helping protect Scotland’s seas

Cet article est republié à partir de https://theconversation.com" sous licence Creative Commons. https://theconversation.com/how-scottish-gaelic-is-helping-protect-scotlands-seas

Voir aussi le film court « Our Fathers’ Sea » https://vimeo.com/299843335?ref=em-share

Voir en ligne : How Scottish Gaelic is helping protect Scotland’s seas

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