La perception des océans par le public ne correspond pas à la réalité établie par la science

, par  LE SANN Alain

Il y a un décalage entre la perception par le grand public et les médias de l’état des océans et de leurs ressources vivantes face à la réalité analysée par les scientifiques. Il existe des alertes nécessaires au vu de dangers réels et avérés ou de perspectives inquiétantes comme le réchauffement climatique. Mais le catastrophisme systématique des médias alimentés par bon nombre d’ONG environnementalistes ou des films comme Seaspiracy amène à des décisions irrévocables qui ont des effets pervers, en particulier pour les pêcheurs et pour l’alimentation future des milliards d’habitants qui comptent sur les ressources marines pour se nourrir. Ainsi, ce catastrophisme et le sentiment d’urgence qui en découle poussent les institutions et les élus vers une mise en réserve de 30 % des Océans et des ZEE, au mépris des droits des pêcheurs et des populations qui vivent des ressources de ces zones. Bien sûr, on peut mettre en réserves des eaux éloignées des côtes habitées, mais créer de grandes réserves en zones littorales aura des effets pervers alors que des cantonnements limités et des outils de gestion efficaces existent pour associer biodiversité et usages des ressources halieutiques.

Le poisson n’est pas en train de disparaître par la surpêche

La FAO considère qu’un stock de poissons en dessous de 80 % de sa biomasse cible est surexploité. Mais cette définition ne tient pas compte de la pression de pêche actuelle sur le stock, un bien meilleur indicateur de la durabilité actuelle et future. Par exemple, un stock à la biomasse cible qui subit une surpêche n’est pas considéré comme surpêché par la FAO, mais sa durabilité est pourtant menacée. Par contre, un stock appauvri qui se reconstitue grâce à une meilleure gestion et à la fin de la surpêche, est considéré comme surexploité jusqu’à ce qu’il franchisse le seuil de 80 %. Pour la plupart des spécialistes des pêches cette pêche est durable pendant qu’elle se rétablit. La pression de pêche trop forte sur un stock (overfishing) est un meilleur indicateur de la durabilité de la pêche que le niveau du stock à un moment donné. L’anglais distingue ainsi overfishing de overfished.
Il y a d’autres problèmes de terminologie qui peuvent amener à des confusions. Ainsi, il y a de nombreuses années, la FAO qualifiait de "pleinement exploités" les stocks au rendement maximal durable, ce qui correspond à l’objectif de gestion. Mais cette notion d’exploitation avait une connotation négative et beaucoup considéraient ces stocks comme surexploités ce qui permettait de clamer que 90 % des stocks étaient surexploités. Aujourd’hui la FAO parle de stocks pêchés de manière durable [1].

Evidemment la surpêche existe mais elle n’est pas telle qu’elle menace l’ensemble des ressources. Il faut pour cela, regarder les données les plus fiables, celles de la FAO, même si elles ne le sont pas pour tous les stocks et tous les pays car certains ne disposent pas de données statistiques sûres. Pour la FAO, 66 % des pêcheries et stocks contrôlés sont à des niveaux biologiques durables et produisent 78,7 % des produits de la mer consommés, assurant 59 millions de tonnes de nourriture de qualité. Cela représente près de 10 kg par hab. par an, complétés par la production aquacole qui dépasse aujourd’hui les produits de capture et permet d’assurer au total 20,5 kg par habitant [2], contre près de 18 kg en 2008. Les 34% de pêcheries en dessous des niveaux durables produisent 22,3% des produits de la mer. Il reste donc des progrès importants à réaliser. Mais on peut aller bien au-delà pour accroître la nourriture issue de la mer.

La mer peut assurer une forte croissance de la production alimentaire

En 2050, la population mondiale approchera les 10 milliards d’habitants. Il faudra donc augmenter la production alimentaire. Selon une étude récente [3], il vaut mieux compter sur les potentialités des océans que sur la production terrestre qui met plus en péril la biodiversité et subira plus fortement l’impact des changements climatiques. L’empreinte carbone de la production de protéines en mer est beaucoup plus faible de même que son impact sur la biodiversité et ces protéines sont plus saines.
D’ici 2050, l’océan pourrait fournir durablement 80 à 103 millions de tonnes de nourriture, soit une augmentation de 36 à 74 % par rapport au rendement actuel de 59 millions de tonnes. On est donc loin d’une approche catastrophiste de l’avenir des océans, même s’il faut des conditions pour aboutir à un tel résultat prometteur en agissant dans quatre directions.

- Améliorer la gestion de la pêche
C’est la première exigence ; les outils existent et de gros progrès ont été réalisés dans la plupart des pays développés. La situation est plus difficile dans les pays du Sud, où se fait aussi sentir plus fortement le poids des pêches illégales. Mais ce n’est pas de là que viendront les principaux gains puisque la croissance peut atteindre seulement 16 % soit 57, 4 millions de tonnes pour la pêche seule.

- Mettre en œuvre des réformes politiques pour la mariculture (Pisciculture marine + conchyliculture)
L’aquaculture terrestre est limitée par la disponibilité en eaux douces et les pollutions issues de ces élevages. Par contre les possibilités liées au développement de la conchyliculture sont très importantes. Les auteurs évaluent le potentiel à 80 millions de tonnes, sur la base des prix actuels, contre à peine 3 millions actuellement. Pour ces élevages, il n’y a pas d’apport de nourriture, c’est l’un des aliments ayant le plus faible impact sur la planète, mais il faut disposer des espaces et des réglementations adaptées, parfois trop restrictives et souvent trop laxistes. Reste aussi à régler les problèmes de qualité des eaux.

- Faire progresser les techniques d’alimentation pour la pisciculture marine.
Aujourd’hui, 75 % de la pisciculture marine dépend des apports d’huile et de farine de poisson issues de la pêche. Ce n’est donc pas une activité durable. Il faut donc trouver les moyens alternatifs de nourrir ces espèces. On peut utiliser les déchets de la transformation du poisson, mais aussi des insectes, des algues, des insectes, des produits végétaux, etc. Des progrès ont déjà été réalisés en ce sens. Mais il faut aussi résoudre les problèmes liés à la concentration des élevages (pollution et maladies) et disposer d’espaces adaptés. Sans doute les chercheurs sont-ils bien optimistes puisqu’ils envisagent, suivant les scénarios, une croissance de la production de 17 millions de tonnes à 174 millions de tonnes contre 7 millions de tonnes actuellement. On constate en tout cas une progression rapide de diverses formes d’élevages marins, mais ils sont encore loin de respecter les critères de durabilité.

- Modifier la demande des consommateurs
Trop souvent la consommation des produits de la mer est liée aux restaurants, beaucoup plus que la viande par exemple. Il faut donc modifier les habitudes alimentaires à domicile, orienter les consommateurs vers les produits comme les coquillages qui ont l’impact le plus faible sur l’environnement. Il faut aussi arrêter de répandre les bobards sur la disparition des poissons ou d’affoler le public avec les dangers liés à la consommation de produits de la mer. Sauf exception, ces produits restent sains. Dans un pays comme la France la surveillance sanitaire permet de protéger les consommateurs, les ostréiculteurs en savent quelque chose.

De tels scénarios peuvent être incertains du fait des changement climatiques, mais ils s’appuient sur des tendances déjà observées que les politiques publiques peuvent appuyer et renforcer. En renforçant la demande, il serait possible d’aller jusqu’à 103 millions de tonnes sans aller donc jusqu’au maximum des potentialités. De plus ils ne semblent pas évoquer certaines potentialités comme les algues ou le plancton. Il faut donc renverser le sentiment actuellement largement répandu que les océans sont en voie d’épuisement, sans nier les réels problèmes à résoudre. Des progrès peuvent être rapidement accomplis. Il faut absolument limiter le réchauffement climatique pour ne pas voir ces progrès remis en cause. Les océans peuvent jouer un rôle majeur dans l’alimentation tout en préservant l’environnement et la biodiversité [4].

Alain Le Sann, Mai 2021

Navigation