L’avenir des outils de gestion et de protection de la bande côtière en Bretagne

, par  LE LAY Emma

Protéger 30% du territoire français, aussi bien terrestre que marin, et placer 10% en protection forte, voici les promesses du Président de la République Emmanuel Macron lors du One Planet Summit le 11 janvier 2021 (MOUTERDE & VALO, 2021). Les aires marines protégées (AMP) sont au cœur de l’actualité, alors que Marseille accueillera le Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en septembre 2021.

Les aires marines protégées peuvent être définies comme des espaces maritimes délimités dans un but de protection de l’environnement à long terme, selon le Congrès mondial de la conservation de Montréal de 1996 (PETIT, 2019). La Convention sur la diversité biologique (CDB) issue du Sommet de la Terre à Rio en 1992 fixe pour objectif d’établir un réseau d’AMP dans le monde entier, et ce, d’ici 2022. C’est dans ce cadre que l’UICN impulse la création d’aires marines protégées sur la scène internationale. Il existe cependant une multitude d’AMP aux statuts et aux niveaux de protection très variés. Si le processus des AMP est déjà enclenché, la question du niveau de protection et l’implication des acteurs loacux représentent actuellement des enjeux majeurs. Face aux pressions anthropiques sur l’environnement marin, les stratégies nationales prévoient en effet la création de zones de protection forte (ZPF), poussées par des organisations non gouvernementales environnementales (ONGE).

Le Collectif Pêche et Développement s’est ainsi penché sur l’avenir des outils de gestion et de protection en Bretagne au regard des pressions existantes. Cette étude a été menée dans le cadre d’un stage de trois mois et se focalise sur quatre cas bretons : le Parc naturel marin d’Iroise (PNMI), le cantonnement de l’île de Sein, le site Natura 2000 (N2000) des Roches de Penmarc’h et le Schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) du Golfe du Morbihan. L’étude se concentre uniquement sur la bande côtière, ne dépassant donc pas la limite des 12 milles marins depuis la côte, zone dans laquelle se déroule la petite pêche et la pêche côtière. 19 entretiens et 2 embarquements ont été réalisés afin de recueillir différents points de vue : des pêcheurs, des représentants des pêcheurs, des associations de protection de la nature (APNE) ou tout autre acteur impliqué dans ces outils.

Une stratégie nationale pour les aires protégées controversée

2021 marque l’année de sortie de la nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées pour la prochaine décennie. Celle-ci constitue pour la première fois une stratégie globale aussi bien pour l’espace marin que pour l’espace terrestre ; cela peut être un premier pas pour en finir avec le clivage terre-mer à condition qu’il ne s’agisse pas uniquement de projeter des politiques terrestres sur la mer. Cette stratégie concrétise aussi l’annonce d’Emmanuel Macron qui consiste à protéger 30% de la ZEE française avec un tiers en protection forte. Sur ce point, toutes les personnes interrogées ont été unanimes : les objectifs chiffrés ne correspondent pas forcément à la réalité du terrain et s’apparentent surtout à un affichage politique. Quel intérêt s’ils ne sont pas atteints ? Pourquoi 30%, pourquoi pas 40% ou 50% ? Les acteurs s’interrogent sur le fondement scientifique de ces objectifs et sur la mise en œuvre d’une telle stratégie. Si cela se traduit par l’instauration d’AMP principalement dans les terres australes et antarctiques françaises (TAAF), l’efficacité de cette stratégie serait bien limitée.

Il faut également retenir que ces objectifs des 30% s’inscrivent dans une approche descendante. Dans son livre « La croissance verte contre la nature », Hélène Tordjman met en avant le « foisonnement institutionnel » qui caractérise la gouvernance internationale de la protection de la nature. Parmi cette multitude d’acteurs, les ONG environnementales ont pris un poids particulièrement important, ayant la capacité d’exercer des pressions sur les Etats et les institutions internationales, et participent ainsi au développement de ce que l’auteure appelle la « soft law » ou le droit mou. Elle interroge le bien-fondé de ces normes : « La légitimité politique d’une telle loi est problématique, dans la mesure où la grande majorité de ces acteurs ne sont pas élus » (TORDJMAN, 2021, p.177). Parmi ces ONGE, l’UICN joue un rôle majeur. Elle a notamment impulsé la création d’aires marines protégées à l’échelle internationale via la Convention sur la diversité biologique. L’UICN considère d’ailleurs l’objectif de 10% en protection forte insuffisant, et demande à classer 30% de l’océan mondial en zone de non-prélèvement d’ici 2030.

Ces annonces soulèvent inévitablement des questions et des inquiétudes pour le secteur de la pêche puisque si une aire marine protégée n’exclut pas forcément cette activité, le but d’une zone de protection forte est d’exclure les activités humaines. Les entretiens révèlent que la pêche est trop souvent la « variable d’ajustement », peut-être parce que c’est l’une des activités les plus visibles sur l’eau et parce qu’il est plus facile d’agir sur quelques pêcheurs que de s’attaquer à des problèmes avec des enjeux parfois politiques et économiques plus gros.

Quatre exemples bretons pour un panel diversifié

Le parc naturel marin d’Iroise, un bilan plutôt positif

Les acteurs interrogés semblent plutôt satisfaits du PNMI, mis en place en 2007 après 17 ans de négociations. Les acteurs locaux s’y sont en effet opposés au début, le considérant comme une « perte de liberté ». Rapidement, les représentants des pêcheurs se sont finalement impliqués dans les discussions pour éviter la politique de la chaise vide quand ils ont compris que le parc allait se faire avec ou sans eux. Cet outil fonctionne aujourd’hui plutôt bien, avec 4 des 10 objectifs de gestion qui concernent la pêche. Le Conseil de gestion surtout est un organe de gouvernance inclusif, où l’on retrouve tous les acteurs autour de la table. Une critique a cependant été soulevée : les représentants des pêcheurs sont présents mais il manque des gens sur le terrain pour échanger avec les pêcheurs directement. Finalement, le PNMI est présenté comme une zone laboratoire où l’on peut tester des mesures et étendre celles qui fonctionnent ensuite au-delà du périmètre du parc.

Le conseil de gestion dispose par ailleurs d’un outil présenté lors des entretiens comme innovant et qui lui donne du pouvoir : l’avis conforme. Il permet d’agir sur des projets à terre pouvant impacter le milieu marin, comme les extensions de porcherie. L’efficacité de cet outil reste cependant à nuancer puisqu’il s’applique uniquement sous certaines conditions (taille, budget, etc.). Par exemple, pour une extension de porcherie, un avis conforme du parc est obligatoire uniquement à partir d’une certaine taille. Ces limitations laissent également une porte ouverte à l’installation de champs éoliens marins.

Le cantonnement de l’île de Sein, outil des pêcheurs

Le cantonnement de l’île de Sein a été mis en place par les pêcheurs suite à la dégradation du stock de langoustes rouges. Il se situe au sein du PNMI, ce qui permet une collaboration entre les représentants des pêcheurs, les pêcheurs eux-mêmes, l’équipe du parc faisant partie de l’Office français de la biodiversité (OFB) et les scientifiques de l’Ifremer. Cela permet d’avoir des financements et d’assurer un suivi pour voir si cette zone est efficace.

Les premiers résultats sont encourageants, avec une population de langoustes de plus en plus abondante et surtout la présence de juvéniles, ce qui n’était plus le cas auparavant. L’efficacité de cette zone reste cependant à nuancer puisque le stock de langoustes se porte mieux sur toute la façade Atlantique. Cette amélioration est donc forcément liée à des phénomènes plus globaux.

Ce cantonnement constitue un point de départ pour élaborer un plan de gestion de la langouste à plus grande échelle et prendre des mesures comme l’augmentation de la taille de capture à 110mm, la fermeture de la pêche de janvier à mars ou l’interdiction de pêcher des femelles grainées toute l’année. La prochaine étape consiste à homogénéiser la taille de capture avec notamment l’Espagne et le Portugal.

Le comité des pêches, opérateur du site Natura 2000 des Roches de Penmarc’h

Le site N2000 des Roches de Penmarc’h est particulier puisque le comité régional des pêches en est l’opérateur et l’animateur, notamment grâce au Comité local du Guilvinec de l’époque et au comité régional qui se sont battus pour faire partie du réseau N2000. Etre au cœur des décisions était essentiel pour les pêcheurs puisque l’activité de pêche est très importante en Bretagne et qu’environ 50% des eaux territoriales bretonnes sont classées en N2000.

Cet outil est cependant critiqué par rapport à son utilité, que ce soit par les associations pour la protection de la nature et de l’environnement (APNE) ou par les représentants des pêcheurs, parce qu’il manque de moyens financiers et humains. Il ne s’agit pas d’un outil de gestion à proprement parler et son cadre est imposé par l’Europe. La gouvernance ne se fait donc pas par les acteurs locaux et la capacité de décision n’a rien à voir avec le PNMI.

L’analyse de risques pêche est désormais obligatoire afin d’évaluer le risque de dégradation des habitats par les engins de pêche. Les associations environnementales interrogées ne sont pourtant pas satisfaites de ce système. Enfin, les périmètres des zones N2000 n’ont pas forcément de sens d’un point de vue écologique et il est pour l’instant très compliqué de les faire évoluer.

Le SMVM du Golfe du Morbihan, un dispositif à l’arrêt

Le SMVM se veut être un outil d’aménagement du territoire pour une gestion intégrée de la zone côtière. Le premier sur le Golfe du Morbihan date de 2006, tandis qu’un second a vu le jour en 2020. L’objectif est de réguler les multiples usages existant sur le Golfe du Morbihan et d’apporter une approche globale. Sa mise en place a été conflictuelle puisqu’il est issu de l’Etat et remet ainsi en cause les actions des élus locaux. Le SMVM offrait cependant un espace de concertation intéressant, permettant de réunir tous les acteurs locaux.

Le SMVM ne dispose cependant d’aucun moyen d’action à terre, au-delà de la bande des 100 mètres, alors que la qualité de l’eau est un enjeu extrêmement important dans le Golfe du Morbihan ; cela renforce le clivage terre-mer.

Il faut également noter qu’il ne s’agit pas d’un outil de protection de la nature selon les associations environnementales. Surtout, le SMVM est aujourd’hui à l’arrêt et apparaît dépassé par les autres outils existants, notamment le Parc Naturel Régional du Morbihan, défini lors des entretiens comme un outil de promotion touristique. A cela s’ajoutent le SCoT, le SAGE, les PLU et PLUi, etc. Cela met en évidence un millefeuille d’outils aux acronymes peu lisibles et pousse à s’interroger sur la nécessaire simplification des outils.

Pour une approche globale et démocratique du littoral

Cette étude met finalement en évidence le besoin d’avoir une approche globale et démocratique du littoral, à travers quelques pistes de réflexions.

Entre ONGE « hors-sol » et APNE territorialisées

Si des pressions existent de la part d’ONG environnementales, il est nécessaire de différencier les associations de protection de la nature territorialisées et les ONGE « hors-sol ». En Bretagne, des associations comme Bretagne Vivante et Eaux et Rivières agissent sur le territoire. Leur objectif n’est pas de marginaliser la pêche et les entretiens montrent une volonté de collaboration entre ces associations et les représentants des pêcheurs. Les deux parties reconnaissent d’ailleurs avoir un objectif commun puisque le pêcheur est dépendant de la bonne qualité de l’environnement. A l’inverse, le dialogue est complètement coupé avec des ONG comme Sea Sheperd.

Les positionnements diffèrent également selon que ces associations soient territorialisées ou hors-sol. Les acteurs interrogés ont évoqué un degré de militantisme différent ainsi qu’une approche parfois simpliste de la pêche, dans le sens où Sea Sheperd ne ferait pas bien la différence entre les différents types de pêche aux yeux du grand public. Surtout, ces grosses ONGE ont des moyens financiers et médiatiques importants.

Les ONGE soutiennent actuellement deux sujets principaux : l’interdiction des arts trainants dans les aires marines protégées, notamment le chalut de fond, et la lutte contre les captures accidentelles de mammifères marins. Le comité des pêches du Finistère considère ce dernier point comme un tournant qui sera déterminant pour le secteur.

L’enjeu pour les pêcheurs est donc de garder la main sur la gestion de leur activité, ce qui n’empêche pas des collaborations avec d’autres organismes ou scientifiques par exemple. Ils défendent pour cette gestion une approche ascendante impliquant les acteurs locaux.

Une 3ème voie, entre dispositifs de « papier » et exclusion

Trouver une 3ème voie consisterait à trouver un juste milieu entre ne rien faire dans des AMP de papier et l’exclusion totale des activités humaines. En premier lieu, le conseil de gestion du parc marin d’Iroise peut apparaître comme un modèle de gouvernance. Même s’il est imparfait, il s’agit de l’outil le plus abouti et il implique les acteurs locaux en leur donnant un véritable pouvoir de décision. Celui-ci pourrait par exemple inspirer une révision du cadre de décision de Natura 2000 afin de donner les moyens qui correspondent aux ambitions.

Ensuite, l’idée d’une ceinture bleue bretonne, c’est-à-dire d’une aire marine protégée tout autour de la Bretagne, a été proposée en entretien. Les avis sont très partagés sur la question. Cela permettrait en effet d’éviter le mitage actuel des zones de protection et d’avoir une vision globale de la défense de la bande côtière pour répondre à la fluidité du milieu. Cependant, l’existence d’une zone comme le PNMI, suffisamment grande mais dans un périmètre tout de même restreint, permet d’avoir un site laboratoire pour tester des mesures et les exporter uniquement si ça fonctionne. Les entretiens soulèvent surtout la question des moyens financiers et humains, des réglementations et de la gouvernance.

Trouver une 3ème voie ne peut finalement se faire sans avoir des outils adaptatifs et participatifs. Adaptatifs d’un point de vue de l’espace car la mer est un milieu fluide et d’un point de vue temporel car le milieu évolue dans le temps. Participatifs pour garantir un pouvoir de décision aux acteurs locaux et une réelle implication. Les pêcheurs disposent par exemple d’outils qui fonctionnent. Impliquer les acteurs locaux, c’est aussi garantir une meilleure adhésion et donc un meilleur respect des règles pour une aire marine protégée plus efficace.

Des enjeux dépassant les périmètres des AMP

De nombreux enjeux dépassent désormais largement le périmètre des aires marines protégées. Il est donc fondamental d’avoir une approche globale terre-mer. La qualité des eaux est une affaire terrestre et maritime puisque la majeure partie des pollutions que l’on retrouve en mer proviennent des bassins versants en amont, et les outils actuels ne permettent pas d’agir correctement là-dessus. A ce propos, le plancton est bien représentatif de la nécessité d’une approche globale puisque c’est un indicateur de la qualité de l’eau. Il est très sensible aux apports de nutriments qui proviennent de la terre et modifient complètement l’équilibre planctonique. Cela n’est pas sans conséquence puisque le plancton se trouve à la base de la chaîne trophique. Malheureusement, le plancton n’est pas médiatique contrairement aux dauphins.

La question qui se pose finalement pour le futur de la pêche professionnelle est celle de l’espace. Les usages de la mer se multiplient et de nombreuses activités s’y développent, que ce soit le tourisme, les énergies marines renouvelables, les extractions de granulats, l’aquaculture, etc. A cela s’ajoutent les aires marines protégées et les zones de protection forte, défendues par les ONGE. Pour reprendre les mots de Julien Dubreuil, du Comité régional des pêches de Bretagne, on est passé d’une guerre des ressources à une « guerre de l’espace ».

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