Des films autour des pêcheurs et des enjeux pour les océans Nourrir le monde et sauver les océans, un autre regard sur les pêcheurs !

, par  CHEREL, Jacques

Les Reflets de la 13 édition du Festival de films Pêcheurs du Monde auront lieu au 20 septembre au 26 septembre dans 7 communes du Morbihan. C’est l’occasion de renouer avec des projections en public, de relancer le débat public sur l’avenir de la pêche et des océans, de retrouver le cinéma entre rêve, beauté et évocation des futurs possibles !

Voir le programme : https://www.pecheursdumonde.org/edition-festival/films/

Le cinéma a toujours porté un grand intérêt pour les gens de mer et les océans. Aujourd’hui de nombreux films interrogent pour éviter les raccourcis et les prises de position simplistes ! Peut-on vraiment affirmer que supprimer la pêche résoudrait l’avenir des océans ? Au contraire les gens des mers ne sont-ils pas les meilleurs protecteurs du vivant en fournissant l’alimentation nécessaire aux populations ? Plusieurs questions sont posées

La mer kidnappée par des intérêts privés ?

Dans le film « Who Owns The Oceans ? » Monika Hielscher et Matthias Heeder montrent comment les pays les plus développés procèdent à un accaparement des mers. Au Sri Lanka, en Inde, au Costa Rica, des politiques de développement, des entreprises privées et des ONG « conservationnistes » dictent leurs lois au détriment des communautés littorales. Celles-ci résistent comme des pêcheurs du Gujarat en Inde, pour protéger le littoral et ses ressources.

Maltraitance des hommes et de la nature : une même logique ?

La fondation Environmental Justice met en garde contre cette double réalité avec des films chocs. « Out Of Reach : Taiwan’s Failure » dénonce la pêche illégale qui s’accompagne d’exploitations violentes de travailleurs migrants. Le court métrage « Shinning The Light » montre un désastre écologique et humain au Ghana !
Dans "Ghost Fleet" les réalisateurs Shannon Service et Jeffrey Waldron présentent un véritable réquisitoire contre ce type de pêche. Le film suit le travail d’une femme hors du commun, Patima, dont l’action a contribué à sauver plus de 5000 « pêcheurs esclaves ». Directrice du Labor Rights Protection Network, elle a été proposée pour le Prix Nobel de la Paix. Les réalisateurs ont réussi à nous faire vivre le quotidien de ces pêcheurs forcés, démunis, battus, séparés des leurs durant des années en pleine mer, vivant plus ou moins clandestinement sur des îles oubliées d’Indonésie : "Ghost Fleet" montre la réalité de l’esclavage aujourd’hui. Mais le film en appelle aux consommateurs : cette détresse humaine est le résultat d’un commerce des produits de la mer qui cherche avant tout le moindre coût ! Il permet aux Etats-Unis et à l’Europe d’importer des crevettes, du poisson à un prix de revient très bas. Ici on interdit la pêche, là on pille et réduit en esclavage !

Changer de vision pour sauver les pêcheurs et les océans

Le film « Fish And Men » des Américains, Darby Duffin et Adam Jones décortiquent toute cette logique commerciale qui inonde les États-Unis de six millions de tonnes de fruits de mer importés, 91% de leur consommation. Cette importation menace les communautés locales de pêcheurs et la santé publique. Or n’est-ce pas le choix des consommateurs qui stimule ce commerce mondialisé des produits de la mer ? A Gloucester (Nord-est des Etats Unis), pêcheurs, femmes et restaurateurs proposent d’inverser la loi du marché !

Le film alerte sur les effets de la standardisation de produits qui formate le gout du consommateur. Aux Etats-Unis le poisson est livré sous plastique, sans précision sur son origine. Congelé à bord de chalutiers-usines, expédié en Chine, décongelé pour être transformé, puis recongelé pour être transporté puis livré dans les restaurants et les supermarchés. Qui sait vraiment d’où il vient ? La pêche aux États-Unis étant très contrôlée, l’opinion pense que la filière pêche a disparu et qu’il faut acheter à la Chine des bâtonnets de poisson, des cocktails de crevettes… Le Massachusetts a perdu ainsi 5000 emplois et 830 bateaux. Qu’en est-il des kilomètres alimentaires, des gaz à effet de serre, de l’économie locale, de l’économie mondiale ? Le consommateur s’habitue au poisson sans goût comme le tilapia - poisson d’élevage en eau douce, sorte de « poulet aquatique », mangé avec des sauces. Peu de consommateurs font le lien entre la fin de la communauté des pêcheurs et la marchandisation mondialisée des produits.

Rompre avec la politique de la demande, prendre ce qu’offre l’océan…
Dans le monde, le marché repose sur la demande de quelques espèces phares sans tenir compte de l’offre des océans. Mais c’est impossible d’éviter les « prises accessoires », cela coûte cher au final, c’est du gaspillage, une perte de ressources. Auparavant aux Etats Unis, le homard ne valait rien, sinon comme engrais dans les champs. Tout dépend de la manière dont on perçoit les espèces de poisson. La propagande qui déclare « Ne mangez pas de poisson », « Nos océans se vident » ont détourné la clientèle du poisson. Pour la santé publique, n’est-ce pas un grand pas en arrière ? Or aujourd’hui on reconstruit les stocks. Les pêcheurs s’efforcent de préserver l’océan, c’est leur gagne-pain. Le consommateur devrait se réjouir d’avoir du poisson pêché aux USA. Une collaboration entre pêcheurs et scientifiques s’est organisée : fixation de prix plancher, coordination avec l’industrie qui achète le poisson, échantillonnages pour l’évaluation des stocks par les scientifiques. Les pêcheurs donnent leur avis sur les diverses régulations.

Sauver les océans et les pêcheurs, en changeant les pratiques du consommateur.
Une grande partie de la biomasse prélevée dans l’océan n’est pas prise par des opérateurs familiaux, mais par de grosses sociétés commerciales sans ancrage local. Leur personnel s’apparente plus à des ouvriers qu’à des pêcheurs. Elles utilisent le capital pour effectuer des bénéfices pour les actionnaires, sans se préoccuper de développement. Au final, ces importations de poisson provoquent des problèmes de surpêche pour les pays qui ne réglementent pas leur pêche, ont une énorme empreinte carbone et sont même dangereuses pour la santé. La plupart des crevettes congelées ou fraîches contiennent des taux élevés d’antibiotiques. Au Vietnam, des produits utilisés en aquaculture sont interdits aux Etats-Unis… Le thon est soumis par les transformateurs à un gazage au CO2, pour conserver sa couleur rose et brillante. Or ce traitement produit de l’histamine, qui peut provoquer la mort par empoisonnement.

Recréer un lien entre le consommateur et le pêcheur :
A Gloucester « Dock to Dish » fonctionne comme une pêcherie soutenue par les restaurants. Au lieu d’avoir un restaurateur qui se rend au marché pour dire ce qu’il veut, celui-ci s’adresse au pêcheur qui rentre et qui lui livre sa pêche. Tout le monde s’y retrouve : maintien de l’emploi, pouvoir se nourrir, maintien des écosystèmes résilients. S’il n’y a pas de pêcheur, il n’y a pas de poisson. On utilise tout le poisson en inventant des plats adaptés ; les poissons abîmés et invendables servent pour faire un magnifique ragoût... La « New Hampshire Community Seafood » permet de trouver du poisson local transformé local et livré dans les écoles à un niveau de prix acceptable : pas du cabillaud, pas de flétan, pas de saumon… mais du lieu, du merlu et de l’aiguillat. Il faut exiger le traçage des poissons, car ils ont une histoire, avec des valeurs. S’ils proviennent de quelqu’un qui fait main basse sur les quotas, qui nuit aux voisins etc. on n’est pas obligé d’acheter, selon un pêcheur cité dans « Fish and Men », Mais on peut le faire « si cette personne agit de façon responsable, si elle est du coin, si c’est de la pêche artisanale, quelqu’un qui va transmettre à son fils son savoir et ses valeurs. Je crois que, autant nous tentons de sauver les océans, nous tentons aussi de sauver ceux qui nous permettent l’accès aux océans. De façon à ce que les pêcheurs puissent retrouver dans la société une place qu’ils ont, à juste titre, gagnée, une place d’honneur ». Et en fin de compte, sauver les océans, c’est sauver les pêcheurs et réciproquement.

Les effets pervers de certaines campagnes de protection des océans.
Les zones littorales ont de tout temps été très peuplées car non seulement elles permettaient les échanges mais elles fournissaient une bonne part de l’alimentation. Etre pêcheur était un métier essentiel jouissant d’un réel prestige. Aujourd’hui cette fonction parait dégradée alors que les zones marines subissent une mainmise sans précédent ! Des médias diffusent une image négative des pêcheurs, présentés comme les prédateurs et destructeurs de la biodiversité marine. Des campagnes d’opinion en font des obstacles à la préservation des océans, des gens n’ayant d’autres préoccupation que leur survie catégorielle égocentrée. Non seulement cette vision jetée sur cette profession est réductrice, mais elle permet de fait de libérer des espaces maritimes que d’autres s’empressent d’occuper. A la question : « comment nourrir les populations ? » certains répondent par le développement de l’aquaculture. Alors que chacun sait que, avec la pisciculture, l’élevage du tilapia, l’alimentation des cages de saumons, dorades etc nécessitent de pêcher des poissons, avec des effets néfastes sur l’environnement. Plus encore, l’aquaculture fait entrer le secteur maritime dans celui de « l’agro-chimique business » en multipliant les intrants et en intégrant la transformation. Alors qu’une partie des consommateurs prônent une agriculture bio libérée du joug du système agroalimentaire, faut-il plonger le secteur alimentaire maritime dans ce même système ?
La mer n’est plus envisagée comme bien commun et les droits traditionnels d’utilisation par les communautés locales sont bafoués. Pêcheurs et habitants des côtes sont privés de leurs moyens de subsistance. Un processus progressif de privatisation, de nationalisation, de commercialisation profite à des sociétés internationales, des organisations ou des États. Cet « accaparement des océans » se traduit ici par des permis de pêche négociables, là par une privatisation pour des projets industriels et touristiques, ou encore au nom de mesures de protection de l’environnement… « L’initiative carbone bleu » sert souvent de prétexte à l’exclusion des anciens utilisateurs locaux, on peut parler de « colonialisme bleu ».

De nombreux réalisateurs, journalistes, reporters …ont mené des enquêtes et réalisés des films qui analysent toutes ces impasses, et qui montrent combien les pêcheurs, par leurs activités, offrent en réalité des voies qui convergent avec une approche qui préserve la biodiversité et les océans. Plus encore, ils montrent combien la défense de l’environnement et de la justice sociale dans le monde sont liées. La sélection 2021 des Reflets du Festival de films Pêcheurs du Monde présente plusieurs réalisations particulièrement éclairantes et les films lauréats de cette édition bousculée par la pandémie.

Jacques Chérel, Président du Festival

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