Boycott par l’Union Européenne : Pas de place pour les pêcheurs artisans du Sri Lanka.

Le Quotidien « The Hindu » de Chennai (Madras) a publié, le 4 novembre 2014, un article de Joeri Scholtens et Ahilan Kadirgamar sur la grave crise que subissent les pêcheurs du Sri Lanka. Cité par ICSFDC Daily News Alert, du 4 Novembre.
Extraits

Le 20 octobre, des centaines de pêcheurs artisans sri lankais ont manifesté devant le ministère des pêches à Colombo contre le boycott des produits de la mer exportés par le Sri Lanka vers l’UE et la promotion des sociétés conjointes avec des sociétés de pêche de l’Asie de l’Est. Année après année, il y a eu de nombreuses protestations de la part des pêcheurs du Nord du Sri Lanka contre les incursions des chalutiers indiens. Les dernières manifestations sont le signe d’une grave crise des pêches au Sri Lanka ; les pêcheurs sont confrontés à l’exclusion et craignent la fin de leur mode de vie…
Les pêcheurs du sud du Sri Lanka engagés dans la pêche hauturière étaient relativement peu touchés, à l’exception de quelques arrestations dans les eaux indiennes ; cette flotte de pêche hauturière est célèbre dans le monde entier pour déployer ses bateaux de 10-16 mètres, assez petits, chargés de glace , d’eau et de vivres pour des marées de plusieurs semaines et des traversées de plusieurs milliers de kilomètres dans l’Océan Indien, à la recherche de thons et de requins.

Pourtant, de manière choquante, l’Union Européenne, le 14 octobre, a annoncé le boycott des produits de la mer du Sri Lanka, à partir du 15 janvier 2015. Ceci risque d’avoir de graves conséquences économiques pour les pêcheurs du Sud, car 70% des exportations de produits de la mer du Sri Lanka vont vers l’Europe. L’UE considère que le Sri Lanka n’a pas coopéré pour éliminer la pêche illégale (INN). Selon la presse, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la découverte de bateaux battant pavillon sri lankais dans la ZEE de Diego Garcia, un territoire britannique de l’Océan Indien. [1]
Comment en est-on arrivé là ? l’une des raisons est l’allocation critiquable de licences à des bateaux de pêche, assez grands, d’Asie de l’Est. [2] Ces sociétés conjointes sont liées à des objectifs hyperambitieux d’augmentation des captures, inspirés par le modèle de croissance rapide du Sri Lanka d’après-guerre. Les bateaux sri lankais sont régulièrement repérés dans les eaux étrangères, ce qui est contraire à la rengaine européenne sur la pêche contrôlée et la traçabilité. Mais ce sont les bateaux étrangers sous pavillon sri lankais qui ont été repérés pêchant illégalement dans les eaux de Diego Garcia. Oui, ce boycott est louche ! La base de données de la Commission thonière de l’Océan Indien révèle qu’en 2013, la flotte de 2230 bateaux du Sri Lanka a capturé 10% du thon tandis que l’UE a capturé 16% des thons pêchés dans l’Océan Indien. La flotte européenne est constituée de 81 bateaux industriels qui ont chacun en moyenne 50 fois la capacité d’un bateau du Sri Lanka. La contribution de cette flotte européenne à l’emploi et à la sécurité alimentaire est non seulement nulle pour les populations de l’Océan Indien, mais elle est aussi marginale pour les Européens eux-mêmes. Comment les flottes européennes sont-elles arrivées dans l’Océan Indien ? Et comment l’UE peut-elle sanctionner le Sri Lanka parce qu’il pêche près de Diego Garcia ? Selon la Convention de 1982 sur le droit de la Mer, un traité qui ajouta aux eaux territoriales une extension à 200 milles, appelée ZEE, des droits exclusifs d’exploitation des ressources ont été accordés à des pays européens occupant des îles coloniales stratégiques. Ainsi, en 1982, le Royaume-Uni a obtenu des droits exclusifs d’exploitation sur une zone de 6390000 km2 autour de Diego Garcia, un archipel désert utilisé par une base américaine. Depuis lors, les pêcheurs indiens et sri lankais sont considérés dans ces eaux comme des pirates, sujets aux sanctions de l’UE.
Si on se place dans une perspective historique, boycotter les exportations sri lankaises de thon au nom de la durabilité et du refus d’obéissance est à la fois paternaliste et très contestable. Au Sri Lanka, fonctionnaires et pêcheurs se sont demandés pourquoi l’UE n’avait pas appliqué les mêmes sanctions contre la pêche illégale intensive du Tamil Nadu dans les eaux du Sri Lanka.

Quand la loi menace les existences
Il est certain que la pêche nécessite une réglementation. Cependant, actuellement, la loi internationale, la gestion basée sur la science, les considérations de souveraineté et les territoires ainsi que les visions grandioses de développement déterminent de plus en plus les politiques des pêches. Les intérêts des pêcheurs ont été ignorés dans le grand jeu des intérêts des Etats…
Les incursions des chalutiers indiens, les sociétés conjointes sri lankaises avec des bateaux d’Asie de l’Est et le boycott de l’UE ont le même impact. Les pêcheurs artisans sont bloqués, impuissants face aux décisions prises au niveau des Etats et des forums internationaux…

Traduction : Alain Le Sann

[1L’ensemble de la ZEE des îles Chagos, dont fait partie Diego Garcia, a été déclaré réserve intégrale interdite à toute pêche par le gouvernement britannique, à la demande de Pew, contre la volonté de certains des anciens habitants qui réclament le droit de retourner sur l’île. (NDT)

[2En 2013, le Sri Lanka a négocié avec une société japonaise l’entrée de 4 bateaux et a prévu celle de 26 bateaux chinois. En 2013, 9 bateaux étrangers ont pêché sous pavillon sri lankais.
http://fis.com/fis/worldnews/worldnews.asp?l=s&id=60943&ndb=1 (NdT)

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