Dans plusieurs articles récents, notamment dans la revue Neptunus [1], elle a développé des analyses et des concepts qui confortent nos propres réflexions. Elle dénonce ainsi la privatisation des océans sous diverses formes comme les quotas transférables, mais aussi la mainmise sur des espaces marins par des multinationales au nom de la Croissance bleue, ou encore la création de grandes AMP interdites à la pêche au nom de la conservation. Tout cela se fait aux dépens de la pêche :« le secteur de la pêche, perçu comme un obstacle sinon comme un concurrent par les nouvelles industries de la mer, fait aujourd’hui trop souvent figure de bouc émissaire, au mépris des efforts faits par certains et réduits à néant par d’autres [2] ». Dans le même temps : « Des acteurs privés, souvent étrangers, peuvent ainsi bénéficier de droits exclusifs sur de vastes parties de l’espace maritime national, de surcroît situées parfois très au large des côtes ».
Pour Nathalie Ros : « La démarche peut alors relever du colonialisme bleu, quand le partage de l’espace s’opère systématiquement au détriment des populations locales, en faveur d’industries étrangères » [3] . Ce colonialisme bleu est promu par de grandes ONG environnementalistes anglo-saxonnes que nous dénonçons depuis longtemps : « Se proclamant représentatives de la société civile et de l’opinion publique qu’elles manipulent en réalité d’autant plus aisément via les nouveaux moyens de communication, il n’est pas neutre que la plupart de ces ONG environnementales plaident quasi exclusivement en faveur d’une conception de l’AMP no take interdisant toutes activités de pêche mais pas forcément les autres usages industriels de la mer.
De par leur philosophie conservationniste, leur mode de financement, comme du fait de leur gouvernance corporatisée qui n’est pas représentative mais cooptative, ces ONG sont le fer de lance du colonialisme bleu. Au-delà de leur implication dans la création des AMP, elles sont en effet les acteurs d’une véritable gouvernance environnementale privée des océans, en tant que gestionnaire direct ou indirect des AMP.
Le colonialisme bleu n’est pas un colonialisme d’Etat ; c’est un écocolonialisme : le conservationnisme au service du tourisme et de l’accès aux ressources minérales ». Et elle termine ainsi : « La conclusion est donc sans appel : il n’y a pas de justice bleue en particulier pour les plus pauvres et les plus dépendants de l’océan qui sont souvent déjà les populations les plus vulnérables ».
Une telle analyse rejoint celle de Catherine Le Gall dans « L’imposture océanique » [4], elle-même confirmée par André Standing dans un article argumenté [5] . « La nouvelle génération des chefs de file de la conservation provient des milieux de la finance et du conseil, où les idéaux de la démocratie et de la délibération sont contre-intuitifs. Leur univers est caractérisé par la vitesse et le désir de triompher, et ses valeurs sont la dissimulation, la ruse et la compétition ». Il fut un temps où lorsque nous développions ces thèses, nous étions accusés de complotisme. Il existe aujourd’hui suffisamment d’arguments validés par des enquêtes et des analyses universitaires pour balayer ces dénis. Mais il faudra sans doute encore du temps pour contrebalancer la puissance médiatique, politique et financière des lobbies qui planifient l’exclusion des pêcheurs. Doit-on se consoler avec la réflexion d’Anatole France ? : « A mesure que l’on avance en âge, on s’aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser ».
Alain Le Sann