Baleines et dauphins : concilier la pêche avec leur protection, l’exemple canadien

, par  LE SANN Alain

Depuis 2017, les pêcheurs canadiens comme leurs confrères américains sont confrontés à de sévères interdictions de pêche au nom de la protection des baleines noires. Ces dernières, avec le réchauffement rapide des eaux de cette zone, se sont déplacées vers le Nord, jusqu’au Golfe du Saint Laurent. Décimées par la chasse au 19ème siècle, leur nombre s’était stabilisé autour de 500 individus, mais leur changement de comportement les menace à nouveau ; il n’en reste plus que 336 et, au rythme actuel, elles pourraient disparaître d’ici 20 ans. Depuis 2 ans, dans les eaux canadiennes, les mesures ont permis d’éviter tout décès de baleines. Mais cela se paie au prix fort par les pêcheurs canadiens.

Des limitations sévères pour les engins dormants.
Lorsqu’une baleine est repérée, une zone de 2000 km² est interdite de pêche pour tous les engins dormants durant 15 jours. Si durant cette période, une baleine est à nouveau repérée dans la zone, l’interdiction est prononcée pour toute la saison.
Ces mesures touchent sévèrement les pêcheurs côtiers et hauturiers qui utilisent des casiers (homard et crabes) ou des filets. Elles sont plus sévères qu’aux Etats-Unis où il faut 3 signalements pour l’interdiction saisonnière de la zone. Mais les Etats-Unis envisagent de durcir les mesures. Au Canada, le gouvernement est soucieux de ne pas subir des interdictions d’exportation de homards vers les Etats-Unis. Le Marine Mammal Protection Act prévoit de telles mesures et les ONG environnementalistes se chargent de rappeler leurs exigences au gouvernement.

Des scientifiques qui s’appuient sur les savoirs des pêcheurs pour protéger les baleines
Clairement, le gouvernement canadien donne aussi la priorité à la protection animale sur la protection de l’avenir des pêcheurs. Les organisations de pêcheurs, en particulier l’Union des Pêcheurs des Maritimes (UPM), s’appuient sur des scientifiques engagées auprès des pêcheurs pour rechercher de meilleures solutions qui permettraient de mieux concilier la pêche avec la protection des baleines. En s’appuyant sur les savoirs et les observations des pêcheurs ; elles analysent le comportement des baleines et dégagent des conclusions qui permettraient de modifier la loi.
Ainsi, les baleines sont menacées lorsqu’elles sont en phase d’alimentation. Elles risquent alors de s’empêtrer dans les orins et les filets. Par contre, lorsqu’elles sont en déplacement, elles sont capables d’éviter les engins de pêche. L’observation précise de ces comportements permettrait de limiter les fermetures.
Par ailleurs de pêche concerne aussi des zones peu profondes, proches de la côte, où les baleines ne sont pas présentes. On pourrait donc retirer l’interdiction des engins dormants dans ces zones, sans danger pour l’espèce. Mais le gouvernement refuse pour l’instant de modifier la loi. Cette expérience de collaboration entre des scientifiques respectueux du travail des professionnels et l’organisation des pêcheurs constitue un bon modèle pour organiser la coexistence de la pêche avec les mammifères marins.

Et en France, comment protéger les dauphins ?
En France, dans le Golfe de Gascogne, on peut faire le rapprochement avec le problème de la protection des dauphins ; dans ce cas, il y a une différence importante, puisque le stock de dauphins et de marsouins est abondant et n’est pas menacé d’extinction, il est donc possible de prendre un peu de temps pour adapter les pratiques de pêche. Les pêcheurs sont soucieux de continuer à pêcher en limitant les prises accidentelles de dauphins. Pourtant les ONGE et les scientifiques préconisent des mesures radicales d’interdiction de pêche au filet et au chalut pour une durée de 4 à 6 mois. La dernière proposition d’un enseignant-chercheur d’Agrocampus à Rennes est radicale [1]. Les pêcheurs sont irresponsables selon lui, il faut donc arrêter la pêche pendant 6 mois et ensuite à chaque capture de dauphin, constatée par une vidéo installée à bord, diminuer sévèrement le quota. Autant demander l’arrêt total de la pêche et la fermeture des ports de pêche de la Côte Atlantique. On mesure la différence d’approche entre un tel scientifique, sans compétence particulière sur le sujet, et des spécialistes de la protection des cétacés comme Lyne Moricette [2] et Dounia Daoud [3]. Pour leur part, elles n’accusent pas les pêcheurs mais s’appuient sur leurs savoirs et leurs observations pour élaborer avec eux des mesures de protection efficaces compatibles avec le maintien de la pêche. Elles préconisent une approche inclusive en intégrant les pêcheurs dans la dynamique. Puissent-elles être entendues.

Les deux scientifiques à Lorient au Festival Pêcheurs du Monde

Alain Le Sann, mars 2022

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