Plancton : bien commun

, par  CHEVER, René Pierre

L’équipe "Objectif Plancton" avait invité les citoyens à sa soirée de lancement de la saison 2022, le 25 mars à 18 heures, dans l’historique Station marine de Concarneau. Récemment sorti de ma léthargie concernant le plancton, grâce à Pierre Mollo et à mes petits-enfants, j’avais décidé de me rendre dans ce grand port de pêche, comme je l’avais fait des dizaines de fois au cours de ma carrière au service des professionnels de la pêche maritime. Je voulais me poser en observateur et apprendre car mon but était de créer mon propre laboratoire minimaliste dans mon nouvel abri de jardin, à deux cents mètres de la mer.
Arrivé et à la station, j’ai été gentiment reçu par Molène Le Roy (Explore coordination sur Concarneau), Noëlle Maquignon (Cap vers la nature médiation), Nalani Schnell (scientifique du MNHN ), puis apparut Cyril Gallut (maître de conférences à la Sorbonne Université)

Ce que j’ai retiré de la réunion

Le plancton [1] est constitué d’organismes généralement unicellulaires vivant dans les eaux douces, saumâtres et salées, le plus souvent en suspension et apparemment passivement : gamètes, larves, animaux inaptes à lutter contre le courant (petits crustacés planctoniques, siphonophores et méduses), végétaux et algues microscopiques, toutes les banques de données le savent. J’ai noté au passage que l’on pouvait tout simplement le classer en temporaire ou permanent et qu’il variait avec le temps. Son importance apparaissant tous les jours plus cruciale pour la vie future sur terre, de nombreux projets se sont mis en marche, dont "Objectif Plancton" [2], qui se revendique une initiative locale de science participative, avec des supplétifs qui collectent des données sur un territoire large (?) et des chercheurs qui assurent à l’ensemble de la recherche l’onction du protocole scientifique. En l’occurrence nous avons un triangle amoureux entre la science, les citoyens et le protocole. Personnellement, j’aurais rajouté le plancton car sans lui aucune recherche n’est possible et je suis certain qu’il répond si on lui pose les bonnes questions. Cette zone large semblerait se situer dans les quelques milles marins autour de trois spots : Rade de Brest, Baie de Concarneau et Rade de Lorient [3], soit quelques dizaines de Km2. pour chaque zone.

Noëlle Maquignon nous a rapporté que grâce aux plaisanciers, en l’occurrence de Concarneau, les prélèvements étaient pratiqués (planning néanmoins bousculé par le Covid), à moindre coût, dans chaque point de prélèvement, aux moments prévus, dans la joie et la bonne humeur, ceci depuis 2014. Les petits filets utilisés sont préparés pendant l’hiver par l’équipe de scientifiques et les plaisanciers impliqués. Ce sont des outils adaptés aux bateaux plaisanciers qui permettent de rechercher les algues toxiques, les larves de poissons et de crustacés dans les échantillons ramenés aux labos. C’est ce qu’on appelle la science "participative", qui inclut naturellement une restitution à la base.

Cyril Gallut est intervenu ensuite pour expliquer comment cela se passait concrètement à bord des navires avec les plaisanciers [4]. Il y a d’abord la préparation de la sortie en mer, et le départ de Concarneau vers les points de prélèvement. La pêche proprement dite qui se déroule à l’aide des filets ad hoc pour les différents planctons. Les précieux échantillons sont ramenés au laboratoire vers 16 heures. Plus tard, ils sont filtrés pour séparer le plancton du reste du contenu de l’eau, cela permet d’essayer d’identifier leur nourriture. Le phytoplancton est conservé en chambre froide (pas plus d’un an), les observations se font en "automatique" ou au microscope classique. Les nano phytoplancton [5], les diatomées et les dinoflagellés sont catégorisés par taille. Pour lui, l’intérêt premier d’"Objectif Plancton" c’est d’avoir toute une zone facilement couverte en même temps, ceci grâce aux plaisanciers.

Nalani Schnell a continué la présentation en élargissant le propos à l’Ouest de l’Europe, plantant tout de suite le décor : la première et seule publication exhaustive concernant le Golfe de Gascogne (au sens large du terme) date des années 68 et 69, bien agitées par ailleurs.. La plus récente étude portant sur la mer du Nord est vieille de dix sept ans. La dernière publication concernant les eaux autour de la péninsule ibérique date de 2009. Je constatais que le plancton européen, source de vie pour nous tous, souffre d’un manque criant de données actualisées. Sans doute invisible comme beaucoup de choses. Venant d’une jeune scientifique, originaire de Stuttgart, recrutée par le Muséum national d’Histoire naturelle (de renommée mondiale), cela força mon attention. C’est elle qui va étudier toutes les larves trouvées par les plaisanciers de Concarneau, mais son problème actuel tient plutôt du matelotage : comment fabriquer des filets avec des mailles adaptées qui puissent pêcher des œufs de poisson de toute taille [6] pour les identifier ? Elle cherche aussi des informations sur des rubans [7] d’œufs que les pêcheurs (y compris les pêcheurs professionnels) pourraient croiser en mer. Elle a conclu en informant les participants que depuis février 2022 il semblerait y avoir beaucoup d’œufs dans le plancton...

Animation sur le port de Sanary avec Pierre Mollo.

Molène Le Roy intervint la dernière pour remercier chaleureusement les plaisanciers de Concarneau, rappeler que le rapport d’activité 2021 se trouvait désormais en ligne et qu’un livret pédagogique à destination du grand public serait disponible cet été.

Ce que j’en pense

Force est de reconnaître l’excellent travail réalisé par les plaisanciers des sites concernés : Brest, Concarneau et Lorient. Bravo à ceux qui ont eu l’intelligence de faire appel à eux. Coopération qui va jusqu’à la préparation des filets pendant la mauvaise saison, ce que j’ai trouvé attendrissant. Une chose est de faire une sortie en mer aux beaux jours, une autre est de venir en plein hiver dans la station marine à peine chauffée, échanger et mateloter sur le meilleur moule [8] pour pêcher du plancton. Cette forme de science participative a le mérite d’exister et doit être encouragée. Probablement la science pourrait-elle faire appel à eux pour bien d’autres projets, en particulier en zone côtière, surtout dans le cadre d’un Parlement de la mer.
Naturellement, j’ai demandé où se trouvaient les pêcheurs dans ce plan génial d’exploration du plancton ? Apparemment nulle part en tant qu’organisation, bien qu’une réunion se soit déroulée sur le sujet à Carhaix, d’après Cyril Gallut, voici de nombreuses années. Les lycées maritimes, peuplés de centaines de futurs pêcheurs, dotés de navires écoles, ne rechigneraient certainement pas à faire de la science participative, d’autant que certains d’entre eux sont déjà spécialisés dans la qualité des eaux côtières (les lycées maritimes ostréicoles). De plus, beaucoup de pêcheurs se préoccupent du plancton et depuis longtemps. Dès les années 1970 l’ISTPM [9] recherchait les larves de langoustines dans le plancton à l’aide de navires professionnels partant de tous les ports du Golfe de Gascogne. Plus proche de nous, le regretté Philippe Déru de Concarneau participait à la recherche sur le plancton et à sa protection avec Pierre Mollo. Il connaissait parfaitement son importance [10]. Un laboratoire plancton est en projet pour les pêcheurs du port de Saint-Guénolé. Pour moi, la Thalassa de l’Ifremer qui fait du bon travail en passant quatre semaines au large du Golfe de Gascogne recherche d’abord des œufs d’anchois [11] et ne peut remplacer les pêcheurs européens répartis dans chaque kilomètre carré des 200 milles.
En relisant l’article du bulletin de Pêche & Développement N°199 de mars 2022, intitulé "Baleines et dauphins : concilier la pêche avec leur protection, l’exemple canadien ?" [12], je me suis pris à rêver. Grâce au Forum mondial des pêcheurs artisans nous pourrions avoir des projets de conciliation entre la pêche maritime et l’amélioration de la biodiversité marine allant de la baleine au plancton en passant par les dauphins du Golfe de Gascogne. Tout ça à condition de respecter les pêcheurs professionnels. L’Océan Atlantique est finalement juste un peu plus large que la Manche et on le considère déjà dans son ensemble en gérant le thon rouge, par exemple.

Je suis sorti de cette réunion ragaillardi. D’une part je venais de participer à l’un des multiples exemples de ce que j’appelle l’halioécologie pratique et d’autre part, en tant que nageur de l’océan Atlantique, plus on surveillera les dinoflagellés, mieux je me porterai en buvant la tasse.

René-Pierre Chever, membre de Pêche & Développement
Loctudy le 31 mars 2022

[1Plancton : vient du grec ancien et signifie instable, errant, voyageant, etc. Ils avaient tout compris !

[2Voir : https://www.oceanopolis.com/connaitre-nos-missions/conservation/objectif-plancton , programme essentiellement financé par Océanopolis et les laboratoires Brothier (Matériel médical, dont certains à base d’algues), projet dirigé par Céline Liret.

[3200 milles français : 11 millions de Km2

[4Prochaine sortie le 30 avril. FaceBook" Objectif Plancton – Concarneau est à nouveau actif ! Donc n’hésitez pas à nous rejoindre. Ce groupe permet de vous tenir informé des dernières actualités mais aussi de partager vos photos/vidéos/témoignages lors des sorties « Objectif Plancton ».

[5De l’ordre du millionième de millimètre !

[6La pêche du plancton s’étale du nanomètre au millimètre.

[7Une femelle lotte peut fournir un million d’œufs en ruban, ce que de vieux pêcheurs locaux ont vu.

[8Le moule est un accessoire qui va servir de base à la formation des mailles, il peut avoir une section ronde, mais aussi rectangulaire. Ses bords doivent néanmoins être doux car le fil va frotter sans arrêt dessus. La taille du moule va déterminer la taille d’une demi-maille du filet.

[9ISTPM : Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes, un des ancêtres de l’IFREMER actuel, grâce à Anatole Charruault, spécialiste de la langoustine.

[10Voir le film "Le bar à la barre". https://peche-dev.org/spip.php?article395

[11Projet Pelgas.

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